Le 12 septembre dernier se tenait La rentrée du Livre gabonaisde Paris, au 26 Bis avenue Raphaël, sur le thème écritures gabonaises féminines, organisée par La Doxa Editions et qui a réuni une palette d'écrivains, d'éditeurs, et d'artistes, venus afin de promouvoir cet événement, et leurs œuvres tout autant. Alors forcément, je me suis invitée, d’abord parce que j’aime mon drapeau, ensuite parce que mon petit frère y était (la famille avant tout).
Les divers stands permettaient aux lecteurs de découvrir ou redécouvrir des auteurs et de pouvoir se faire dédicacer leurs livres. La partie conférence offrait au public la possibilité d’écouter les écrivains sur le thème central des écritures féminines au Gabon; où l’on ne pouvait ne pas féliciter le travail de deux écrivaines majeures: Angèle Rawiri et Justine Mintsa.
Personnellement, j’ai aimé aller directement vers les écrivains, leur parler d’eux. Et de fil en aiguille, j’ai glané des informations qui m’ont aidé à me faire une idée de cette (nouvelle?) génération littéraire. Je vais donc vous faire part de mes rencontres littéraires et artistiques! Du côté des écrivains, d'ailleurs de nationalités différentes, j’ai pu rencontrer Destinée Doukagha, qui a présenté ses livres, Mon Labyrinthe (Edilivre, 2014) et Terre Battue (Ed. du Panthéon, 2015). Pour le premier, l'on se trouve dans un univers africain, au Congo-Brazzaville, où l'auteure relate les difficultés rencontrées dans le passé, et comment elle a pu les surmonter. Ce premier ouvrage, se veut un encouragement pour les jeunes, ou moins jeunes, un message d'espérance. L'auteure déclare avoir été marquée par des auteurs comme Henri Lopes et Balzac. Toutefois, elle ne se reconnaît pas d'écoles ni de maîtres à penser, comme d'ailleurs nombres d'auteurs rencontrés qui revendiquent une pleine liberté.Chez Kévin Maganga, avec son recueil de nouvelles Aujourd'hui avant demain où je mourrai (ED. du Panthéon, 2015), on est dans un univers particulier dit “entrecoeuriste”. L’auteur définit ce recueil de « single littéraire », ainsi appelé parce qu'il est tiré d'un roman. Le choix du mot single a été privilégié par l'auteur car il désigne en musique l'« extraction »; et le recueil ici présenté se réfère à des « extractions d'un album » (album qui est le futur roman). En tant qu'« extraits », ils résument le projet littéraire, disent ce qu'il y a d'essentiel dans le roman », a déclaré Kévin Maganga.
Ce recueil a également un double objectif qui est premièrement celui de découvrir l'univers littéraire ; mais aussi faire découvrir le
Gaboma qui est un parlé gabonais, ou la manière de parler à la gabonaise (avec des expressions comme “Même toi-même !”; “Tu as le vampire !”). Le Gaboma n'est pas lelangage de la rue ou l’argot que l’on parle dans les quartiers populaires notamment par les tolis bangandos. Le Gaboma n'est donc pas du registre familier mais une manière de parler le français au Gabon, une réappropriation du français. Il se nourrit de l'anglais, de l'espagnol, et des langues locales. Le but de l'auteur était de ne pas tomber dans le purisme, mais de rester dans l'oralité, dans le parler de tous les jours, ne pas rester dans « la belle langue », mais produire un « texte oral », et « se sentir en présence ».Ce recueil de nouvelles donc nous amène dans la conscience du personnage, qui est “entrecoeuriste”, selon un terme que l’auteur affectionne qui signifie le « sentiment qui ne ressort que de manière figée, où le cœur agit comme un agent contrôleur ». Autrement dit, l’auteur déclare qu’il a besoin de l’espace littéraire afin d’éclore, et de sortir de soi. L’espace littéraire devient le lieu de l’émoi et du partage de ses sentiments. Le personnage (espace littéraire); mieux, la personne, “entrecoeuriste” (puisque l’auteur a avoué l’identification avec le personnage) est une personne introvertie mais qui ne se libère que par l’écriture et la parole fermée du texte, qui ne se livre que sous la contrainte de l'écriture. Le recueil, qui est autofictionnel, parle de l’auteur bien sûr mais aussi des autres. Le recueil est « un univers du désordre », où il faut essayer d'y « faire sens ». Le genre du livre est donc ici flou car on est dans des genres qui cohabitent, comme la poésie (qui ouvre le texte); avec la philosophie (qui structure le texte par son style et ses questionnements); la fiction et l'autobiographie. L'ouvrage est une aventure, aventure qu'il décrit comme une « philosophie prise pour une folie ou une folie prise pour une philosophie ».Ce désir d'écrire à sa façon, mais de manière à parler comme dans la vie de tous les jours, sans fioritures mais avec des mots qui font écho au monde, était très partagé par les écrivains. Pour Alain Alfred Moutapam, (du Cameroun) la poésie est libre et ne doit obéir à aucun code car « l'essence de la poésie c'est le langage de l'âme », et elle doit « exprimer la pensée divine ». La poésie ne doit donc souffrir d'aucune contrainte, comme l’était la parole des griots africains. La parole du poète est une « parole rare » et donc elle doit être attendue, écoutée.
Toujours du côté des poètes, j’ai pu rencontrer La Cabane éclairée (poète Gabonais) qui a publié un recueil de poèmes intitulé Florilège, des mots pensés pour panser nos maux (2013). Celui qui se définit comme un poésophe (poésie et philosophie), refuse aussi les contraintes établies car « il ne faut pas s'enfermer dans un registre particulier ». L'univers de La Cabane éclairée est quelque peu proche du paranormal. A suivre, un autre recueil qui s’intitulera Sortilège!
Chez Joss Doszen, écrivain Franco-Congolais, les œuvres adoptent des formes libres. Le tout est d’inaugurer à chaque fois et d’apporter des moyens différents pour raconter une histoire. L’auteur préfère le “comment je choisis d'écrire” plutôt que l’histoire elle-même. Il a écrit Le clan Boboto, qu'il définit comme un conte urbain, une sorte de roman choral où les personnages sont à chaque fois convoqués comme dans une chorale qui émet des sons ou des bruissements. Intéressé par l'héroïc-fantasy, la bande dessinée et la science-fiction, le livre est aussi un non-genre, une sorte d’œuvre fictive certes mais qui désire être différente dans sa forme. Le langage se veut accessible car « la littérature doit respecter la réalité ». Dans Pars mon fils, va au loin et grandis, il choisit d'utiliser un langage de la vie, sans chercher une forme châtiée. Le héros parle comme s'il avait une personne en face de lui. Chez Joss Doszen, l'histoire est mise au service du processus de création. L'auteur avoue privilégier cette recherche dans la création, (ou les moyens de dire le texte différemment) aux histoires écrites de manière linéaire, en s'inspirant de l'écrivain américain Iceberg Slim.
Chez le Gabonais Cheryl Itanda, on évoque un univers entre tradition et modernité. Le roman qui s'intitule Enomo (la saison sèche en myènè, langue parlée au Gabon) se situe dans le cadre gabonais en évoquant un jeune homme qui régulièrement se rend dans son village et fait face à ce milieu. Il se retrouve ainsi entre deux rives, et son identité se construit ainsi de ces deux sources. L'auteur dit avoir pensé en myènè et retranscrit en français. La cause des langues l'intéresse et il milite également au sein de Awanawintche pour la pérennisation des langues vernaculaires, dont le myènè. Dans le même cadre, on a rencontré C. Houbouhiry, avec Iromba, la petite écolière, qui est aussi un plaidoyer pour la survie des langues.
On a également rencontré l’écrivain Peter Stephen Assaghle, qui a commis le roman Ma mère se cachait pour pleurer (Editions La Doxa, coll. La Librevilloise, 2014), qui évoque des faits divers que l’auteur a eu à découvrir et qui relate l’histoire d’un amour interdit, un secret qui est l’inceste d’un père sur sa fille. L’auteur écrit pour dénoncer, il estime qu’il y “a assez de littératures qui vendent du rêve, qu’il y a des maux dont la dénonciation n’est pas effective, et les lois se limitent souvent au point formel, et qu’on n’a pas de véritable action sur le terrain, de véritable prise de conscience de la part des populations et des victimes”. Quant à son point de vue sur le thème de la rentrée (j’ai finalement réussi à me rappeler qu’il y avait un thème central de la journée!!!) il a aussi eu à s’exprimer, en reconnaissant le grand “boum” de la littérature gabonaise actuellement (il faudrait que j’arrête de ne lire que des livres de culturalistes et de féministes); mais aussi l’incroyable réseau de solidarité féminine : “Il y a de plus en plus d'oeuvres qui apparaissent, de jeunes auteurs, de plus en plus de solidarité entre écrivains. Ce fait est plus observable du côté des femmes parce qu’elles sont plus solidaires entre elles. J’espère que cela sera aussi le cas du côté des hommes.” Magnifique rencontre en somme, de ce jeune auteur qui poursuit des études de droit. D’ailleurs les auteurs présents n’étaient pas forcément des littéraires, ce qui cassait aussi le cliché du monde des lettres aux littéraires, ONLY!
Autre lutte, autre cadre, on a pu découvrir Barthélémy Ntoma Mengone qui a voulu rédiger sur des événements cachés par l'Histoire. Le premier ouvrage est La Bataille de Libreville (L’Harmattan, 2013) qui retrace une lutte non mentionnée dans les livres, entre français, et qui a occasionnée la mort de civils gabonais ; autre livre Les preux chevaliers noirs (L’Harmattan, qui relate aussi un événement de la guerre de 39-45 où des tirailleurs sénégalais (dont des Gabonais, probablement) ont été écrasés par des chars. Cet événement, appelé le ‘Tata de Chasseley’, est aujourd’hui rappelé par un cimetière pour honorer les héros de guerre. La bande dessinée aussi n'était pas en reste, car Joelle Esso est également venue présenter ses BD Eto'o Fils, et Petit Joss, et des livres des éditions Dagan.
Les éditions justement ont particulièrement attiré mon attention car la majorité des auteurs interrogés ont privilégié l'auto-édition. Le phénomène s'expliquerait sans doute par le refus des contraintes éditoriales, le désir de produire une œuvre qui leur ressemble. Le rejet des canons esthétiques, le refus des genres, tout cela passerait peut-être par un rejet des maisons d'éditions consacrées ?
Je dis ça je ne dis rien.Un autre bouleversement, c’est du côté artistique, avec le chanteur et guitariste Jeanrian Ondo, qui a interprété trois chansons dont Akiba (MA-GIS-TRAL) et “I’m gonna love you” (les romantiques comprendront) toutes aussi belles les unes que les autres, devant une assistance conquise, médusée. Pour ceux qui le découvraient comme moi, la ressemblance du ‘style’ avec Annie Flore Batchiellilys était assez frappante ( il faut dire que l’artiste gabonaise nous a si souvent habituée aux mélopées de sa voix suave sur fond de guitare). J’ai donc mis un 21/20 à cet artiste dans mes évaluations personnelles (GRRRR...disent les jaloux).Pour ne pas conclure, je suis allée interviewer Borelson, rappeur gabonais qui dit s’inspirer de Pierre Claver Akendengue dont il va sampler des titres bientôt (je tiens l’exclu!!!). L’artiste dont on peut apprécier des chansons sur youtube, écrit en anglais des chansons au style très U.S., comme She needs me (ma préférée), CSF et Evolution (Go and get it). L’ambiance au final, à cette édition de La rentrée du Livre gabonais de Paris était très conviviale, et vraiment sympa (eh oui!), et j’avoue que j’ai vraiment apprécié. On a vu, entendu, écouté, mangé, et le tout dans le cadre de l'ambassade du Gabon. Akiba O O!!!Pénélope Zang Mba