En plus d'être une remarquable jeune romancière dont j'ai vanté les mérites en deux occasions, et la dernière fois pas plus tard qu'il y a dix jours lors de la chronique de son second roman "Je ne veux pas d'une passion", Diane Brasseur est aussi une personne qu'il est formidable d'interroger, tant son implication et son investissement sont entiers.
Figurez vous que, non contente de m'apporter des réponses d'une grande profondeur à mes questions, elle a tenu à illustrer ses propos par deux photos qu'elles a prises elle-même.
Il s'agit de deux visuels illustrant les étapes du processus créatif, afin de mieux faire comprendre aux passionnés de littérature toujours friands de connaitre les mystères de la création littéraires, les génèses de la construction de son récit.
Bref, de quoi rendre plus passionnante encore une discussion qui l'était déjà énormément sur le papier, comme je vous laisse vous en rendre compte sans plus tarder :
Baz'art : Bonjour Diane et merci beaucoup de prendre le temps de répondre à nos questions pour les lecteurs de Baz’art. Ma première question est assez classique : après votre premier roman – Les fidélités- qui a connu un beau succès critique et public, avez connu, comme beaucoup d’écrivains l’invoquent, l’angoisse de la page blanche inhérent au second roman ? Ou bien au contraire, l’écriture de « Je ne veux pas une passion » s’est-elle faite de façon plutôt évidente, naturelle ?
Diane Brasseur : Dès le mois de décembre, avant la parution de Les Fidélités, je me suis remise à écrire.
Je ne suis pas immédiatement partie dans la bonne direction mais je savais que c’était important pour moi d’écrire à ce moment là.
La sortie d’un livre c’est le contraire de l’acte d’écrire : on est complètement tourné vers l’extérieur dans l’attente du désir de l’autre. Ecrire c’est s’isoler, se mettre à l’abri (même s’il peut aussi y avoir une sensation de danger) seule dans un texte et à l’intérieur de soi.
Sans doute l’ai-je fait par instinct, pour rester centrée et concentrée sur l’essentiel.
Et puis, j’avais un éditeur qui m’attendait. Cela donne une grande liberté ! Je me disais : « je prends des risques, j’essaye des choses, je m’amuse, si ce n’est pas bon, il ne publiera pas ».
Assez rapidement, je lui ai fait lire quelques pages. Au mois de septembre de l’année dernière, il savait qu’il y avait un livre. Cet enthousiasme et cette confiance étaient moteurs.
Baz'art: Est-ce que le fait d’avoir réussi à publier ce second roman un an et demi seulement après le premier vous a conforté dans le sentiment de vous sentir profondément et de plus en plus écrivain, ou au contraire, dès « Les fidélités », vous aviez intégré au fond de vous ce statut ?
Diane Brasseur Sincèrement, je ne pense pas en ces termes là. Spontanément, je pense à des projets plutôt qu’à mon statut !
C’est difficile de dire « je suis écrivain » ou « je suis auteur », même après un deuxième roman. Je préfère la formule : « j’écris » parce que je crois à l’action.
Ce que l’écriture de Je ne veux pas d’une passion a confirmée, c’est qu’à ma table de travail, tous les jours, je me sens à ma place.
Baz'art :Vous aviez dit lors de la promotion des « Fidélités » que ce roman avait été construit autour d’une seule phrase (« je ne veux pas vieillir ») qui avait donnée le « la » de tout le reste du roman. Est-ce que cela a été la même chose cette fois ci : est-ce la première phrase du livre –qui est également le titre du livre- qui a déclenché toute la construction du récit ou bien la genèse a été différente ?
Diane Brasseur : Cette fois ci la construction du roman ne s’est pas passée exactement de la même manière. Je tournais autour de mon sujet : un homme quitte une femme dans un café et lui répète, « Je ne veux pas d’une passion ». (Le « Ce n’est pas ma faute » de Laclos dans Les liaisons dangereuses n’y est sans doute pas pour rien !).
Au mois de mars, j’ai écrit une douzaine de pages sur les mains du père. C’était la porte d’entrée du roman.
J’avais deux intuitions : à partir de la description des mains du père j’allais raconter l’histoire d’amour d’une jeune femme. Je savais aussi que les deux textes (« Je ne veux pas d’une passion » et « Les mains ») étaient reliés.
J’ai écrit les deux histoires l’une après l’autre. D’abord celle du père. Cela consistait à écrire des scènes, des images. Je me nourrissais de mes propres souvenirs mais aussi de ce que j’observais autour de moi, dans la rue, au parc.
Ensuite j’ai écrit toute l’histoire d’amour entre la narratrice et cet homme qui l’a quitte.
A la fin, comme pour un film, j’ai monté les deux histoires. Mais la première version ne fonctionnait pas.
Grâce à mon éditeur j’ai compris que la construction du livre devait être fondée sur une alternance systématique : chaque souvenir avec l’amoureux devait convoquer un souvenir avec le père.
A partir de ce moment là, l’écriture devient très artisanale : tableau, ciseaux, post-it, Scotch, crayon et gomme ! Dans une colonne, j’ai posé d’un côté l’histoire dans le café et avec l’amoureux. Dans une colonne en face, chaque résonnance avec le père.
Plusieurs chapitres sont passés à la poubelle mais je crois à la grande force du recyclage de l’écriture !
Baz'art : Si les deux livres proposent des problématiques et des points de vue divergents, vous conservez cependant un même – double- fil conducteur, à savoir le monologue intérieur ainsi qu'une étude, presque clinique, des affres de la passion, par le bais d’instantanés, de souvenirs passés.
Reconnaissez- vous cette similitude entre les deux romans et si oui, pourquoi ce choix ? Est ce que vous pensez notamment que le monologue intérieur est la forme idéale pour tenter de mieux disséquer la passion amoureuse, et de donner peut-être un souffle nouveau à un sujet très souvent usité dans la littérature ?
Diane Brasseur : C’est très juste ce que vous dites sur le monologue intérieur concernant mes deux romans. Pourtant, cela n’était pas prémédité.
Une autre similitude : ces deux monologues se déroulent (comme une longue pelote de laine) dans une unité de temps et d’espace. Le bureau dans Les Fidélités et le café « Au Rêve » dans "Je ne veux pas d’une passion".
Le monologue intérieur est spontanément la forme dans laquelle je me sens le plus à l’aise. Pour l’instant, il me serait difficile de ne pas utiliser le « je » parce que c’est ce point de vue là qui m’intéresse.
Dans un domaine aussi épineux que les relations amoureuses, je me méfie des vérités générales. La première personne du singulier n’engage que celui qui prend la parole.
Cela me permet d’éviter toutes explications psychologiques : la narratrice décrit des faits.
En déroulant le fil de son histoire d’amour, en se remémorant chaque étape fondatrice –la rencontre, le premier dîner, la première fois qu’ils font l’amour, le test HIV qu’ils font ensemble – elle va comprendre le sens de cette phrase : « Je ne veux pas d’une passion » et pouvoir passer à l’action.
Baz'art : Le paradoxe – et la force- de votre roman résident sans doute également dans la dichotomie entre le sujet- l’étude des relations passionnelles- et le style, distancié presque détaché, de la narratrice. Qu’est qui vous a guidé dans ce parti pris là ?
Diane Brasseur : C’est une question qui m’a été posée l’année dernière à la librairie Kleber pour Les Fidélités. Je m’en souviens très bien parce qu’à l’époque j’avais été incapable d’y répondre pour la simple et bonne raison que je n’en avais pas conscience.
J’écris des phrases courtes, sèches, blanches parce que c’est aussi ce que j’aime lire. De manière générale, qu’il s’agisse d’un bouquet de fleur, de décoration intérieure d’une phrase, je n’aime pas ce qui est chargé.
Dans Je ne veux pas d’une passion, je crois être allée encore plus loin avec des chapitres courts, des paragraphes brefs et espacés.
Je cherchais une forme pure, fluide.
Néanmoins, comme pour le statut, c’est quelque chose que je cherche à ne pas trop intellectualiser pour ne pas rester figée. Il y a dans l’écriture une part inconsciente, spontanée et intuitive, très précieuse.
Cette voix distanciée en fait partie.
Baz'art : Votre roman tisse un lien de causalité évident entre une passion amoureuse d’un homme et une femme et la passion que cette dernière a éprouvé pour son père (j’ai d’ailleurs pensé à la chanson « le plus fort c’est mon père » de Lynda Lemay pendant toute ma lecture). Est-ce que cette idée résulte pour vous d’une évidence que vous avez pu constater autour de vous, ce parallélisme manifeste entre lien filial et histoiressentimentales futures ? Autrement dit, est-ce que pour vous une jeune femme construit forcément ses amours à venir en fonction de son rapport paternel ?
Diane Brasseur : A la fin du roman, il y a ce paragraphe :
« Tout se répète.
Enfant, j’écoutais mon père, adolescente, je voulais lui désobéir, devenue adulte, je lui ressemble.
J’emprunte les mêmes chemins, je caresse les mêmes rêves, je partage les mêmes craintes, je tombe dans les mêmes excès. »
Dans Je ne veux pas d’une passion les hypothèses que j’avance n’engagent que moi. Je n’ai pas cherché à expliquer les liens complexes qui unissent un père à sa fille. Ni à simplifier : c’est parce que la narratrice a une relation forte avec son père qu’elle n’arrive pas à être en couple.
J’ai voulu explorer ce lien fondateur qui peut être tendre, complice, conflictuel et qui évolue avec le temps, en le faisant résonner avec une histoire d’amour.
Baz'art :Votre roman- comme « Les fidélités » d’ailleurs- s’impose aussi par son écriture très cinématographique, à savoir une écriture par fragments, courte, précise, extrêmement visuelle. Par ailleurs, les personnages masculins, très virils mais vulnérables en même temps de vos deux romans renvoient, je trouve, à des archétypes évident d’un certain cinéma français, notamment celui de Claude Sautet. Est que vous pensez que le fait d’être scripte pour le cinéma influence forcément- consciemment ou pas- votre plume et le choix de vos personnages ?
Diane Brasseur : Je m’inspire de mon expérience de cinéma pour écrire.
L’écriture scénaristique, qui est différente de celle du roman et qui n’est pas toujours très agréable à lire puisqu’il s’agit d’une étape dans la fabrication d’un film, m’influence beaucoup.
Un scénario, c’est au présent. C’est la description de faits audios et visuels qui traduisent des émotions. Dans un scénario on ne lit pas, « X est triste », on lit : « X pleure ».
Sur un plateau, à force d’enregistrer mentalement les costumes, les accessoires, les gestes de comédiens et leurs déplacements pour qu’ils soient raccords, j’ai développé une mémoire photographique dont je me sers beaucoup pour écrire.
Et surtout, comme un jeu, une capacité non pas à me souvenir de tous les détails mais à pointer celui qui raconte, selon moi, l’essentiel.
Je ne crois pas avoir beaucoup d’imagination mais j’aime observer, photographier une situation pour la décrire avec des mots simples.
Baz'art : Dans Les Fidélités, vous assumiez le fait que livre soulève un nombre important de points d’interrogations pour bien peu de réponses au final. A la fin de « Je ne veux pas d’une passion », pensez vous avoir trouvé plus de certitudes ou bien la balance reste elle toujours la même ? Bref, pensez vous ainsi comme Oscar Wilde que « L'incertitude est l'essence même de l'aventure amoureuse » ?
Diane Brasseur : « Certitudes », c’est un bien grand mot mais je crois avoir trouvé quelques pistes.
L’idée à laquelle je suis arrivée en écrivant Je ne veux pas d’une passion, c’est que pour construire, pour passer de l’aventure amoureuse à l’histoire d’amour, il faut peut-être accepter, à un moment ou un autre, de renoncer à l’intensité.
Cela n’est pas une mauvaise nouvelle !
Il semble exister quelque chose de plus précieux, de plus profond et je crois de bien plus fort que les incertitudes des débuts.
Baz'art :J’ai une petite question un peu plus légère. J’avoue avoir un peu tiqué arrivé à la page 173 de votre roman lorsque votre personnage déclare , je cite : « Au cinéma, je change de rang dans la pénombre en pleine séance, mais les décisions importantes je les prends vite et sans regrets. », Considérez vous donc, contrairement à moi, que le choix de sa place au cinéma n’est pas une décision importante à prendre ? :o)
Diane Brasseur : Dans ce chapitre, au parc Monceau, la narratrice n’arrête pas de changer de bancs car celui d’à côté qui se libère a systématiquement l’air mieux.
Patiemment, son amant va la suivre et en la taquinant, évoquer pour la première fois le projet d’habiter ensemble: « choisir un banc avec toi c’est compliqué alors choisir un appartement ».
Cette scène des « Chaises/bancs musicales », m’a été inspirée par un film israélien : Les Méduses.
Dans ce film un jeune couple rate sa lune de miel. De guerre lasse, le jeune marié dit à à son épouse : « Tu te souviens la première fois que nous sommes allés au cinéma, tu n’arrêtais pas de changer de place pour mieux voir l’écran et à chaque fois je te suivais. Si bien que nous n’avons pas regardé le film. »
Le choix de sa place au cinéma vous avez raison est essentiel mais peut-être un peu moins lourd de conséquences que celui d’emménager avec quelqu’un !
Baz'art : Toujours par rapport au cinéma, est ce, qu’au jourd’aujourd’hui, vous avez envie de continuer votre profession de scripte malgré la place de plus en plus importante que prend la littérature dans votre vie? N’est-il pas trop difficile de passer d’un métier à l’autre ou au contraire cela vous permet de garder une prise directe avec le monde du travail ?
Diane Brasseur : C’est au contraire une grande liberté de pouvoir passer du métier de scripte à l’écriture.
Ecrire est une activité solitaire contrairement au tournage d’un film qui est un travail d’équipe.
Dans le cas de Je ne veux pas d’une passion, c’était une grande joie de rejoindre le plateau de tournage du film Marseille réalisé par Kad Merad, après quatre mois enfermée à écrire chez moi.
Chaque activité nourrit l’autre.
Quand je suis en tournage j’ingère de la matière pour écrire.
Depuis que je suis publiée, je suis une bien meilleure scripte car j’ai plus de distance. Les enjeux pour moi se sont déplacés (vers l’écriture) et cela me donne une plus grande disponibilité sur le plateau.
Avant, je crois que j’étais paralysée par une terrible envie de bien faire. Aujourd’hui je suis plus sereine et les réalisateurs avec qui je travaille le ressentent.
De manière générale, être publiée et lue a dénoué et simplifié bien des choses pour moi.
Baz'art : A ce propos, et pour finir cette longue et belle interview, j'aimerais connaitre vos futurs projets. J’imagine notamment que, de par votre profession, vous devez d’ailleurs avoir pas mal d’anecdotes et de confidences sur le milieu du cinéma en votre possession. Est-ce que vous envisagez d’écrire un jour un roman qui aurait pour toile de fond le cinéma français ou bien, pour le moment, vous n’en avez ni l’envie ni la nécessité ?
Diane Brasseur : J’aimerai en effet beaucoup écrire sur cet univers si intense et si particulier des tournages, mais pour l’instant, je n’ai pas encore trouvé l‘axe.
Je tourne autour !
On attendra donc patiemment que vous ayez fini de tourner chère Diane, et en attendant nous vous remerçions énormément d’avoir pris le temps de répondre à toutes ces questions et on souhaite une très belle carrière dans les librairies et les salons à ce très beau « je ne veux pas d’une passion »
Et pour les parisiens qui ont été intéressés par cette itw, sachez que La librairie Nordest vous invite à rencontrer Diane Brasseur à l’occasion de la parution de son deuxième roman chez Allary Éditions Samedi 26 septembre à 18h00
Lecture de Julia Piaton Dédicace et champagne « Dans sa paume, il fait sauter les capsules des bouchons de champagne qu’il collectionne comme des jetons de bonheur. » Librairie Nordest - 34 bis rue de Dunkerque - 75010 Paris - 01 48 74 45 59 - librairienordest@orange.f