La petite Barbared’Astrid Manfredi 4/5 (11-09-2015)
La petite Barbare (160 pages) est sorti le 13 août 2015 aux Editions Belfond.
L’histoire (éditeur) :
En détention on l'appelle la Petite Barbare ; elle a vingt ans et a grandi dans l'abattoir bétonné de la banlieue. L'irréparable, elle l'a commis en détournant les yeux . Elle est belle, elle aime les talons aiguilles et les robes qui brillent, les shots de vodka et les livres pour échapper à l'ennui. Avant, les hommes tombaient comme des mouches et elle avait de l'argent facile. En prison, elle écrit le parcours d'exclusion et sa rage de survivre, et tente un pas de côté. Comment s'émanciper de la violence sans horizon qui l'a menée jusqu'ici ? Peut-elle rêver d'autres rencontres ? Et si la littérature pouvait encore restaurer la dignité ? Subversive et sulfureuse, amorale et crue, La Petite Barbare est un bâton de dynamite rentré dans la peau d'une société du néant.
Mon avis :
La petite barbare c’est cette fille de 20 ans cloîtrée entre quatre murs à l’isolement. A part dormir, pas grand-chose à faire. Et comme le sommeil ne vient pas, elle pense, réfléchit, se rappelle et écrit.
« C’est la nuit, impossible de dormir, les flash-backs se bousculent. J’ai réclamé des somnifères mais ici on chouchoute la torture de l’insomnie pour que tu rabâches ton mea culpa. Dans le sablier le temps prend ses aises, voilà le châtiment. Alors les reliques de l’enfance font office de compagnie. » Page 17
« Le soir, à l’abri du chaos, quand les clés ont fait leur tour dans les serrures et que les hurlements sont camisolés pat les somnifères, je sors la pioche et je déterre le vampire. Telle une mourante qui n’a plus que quelques jours avant de cramer, je carbure sur la page blanche, gribouille mes merdes et m’arrache les cheveux. » Page 54
« Oui, c’est là-bas que tout a commencé et j’y suis née. (…) Je suis née belle à pleurer un jour de grand froid et d’arbres morts, de parents enterrés avant d’avoir commencé. Ils m’ont légué leur vie, leurs mauvais films et leurs fins de mois difficiles. » Page 14
Née en banlieue, elle se souvient. A 8 ans, des huissiers. A 10 ans, de la vanille dans les cheveux de sa mère et de la peur de lui ressembler. A 13 ans, de sa dyslexie qui ne passe pas, de l’âge des promesses et des envies. A 16 ans, de l’ivresse. A 18 ans, de la tournée des boites et des billets gagnés salement. Et de ses 19 ans, « l’année du film d’horreur. ».
Dans ce qui ressemble à un journal intime, on découvre une enfant mal dans sa vie et une adolescente qui choisit le mauvais chemin. La narratrice est une femme pleine de colère qui revient sur son existence trash et chaotique, tout en parlant de son quotidien en prison.
La petite Barbare a été une lecture délicate et les sentiments à l’égard de son personnage éponyme ont été en dents de scie : de la pitié pour une pauvre fille qui fait de Nabilla un exemple, du dégoût pour celle qui livre son corps sans état d’âme pour des faveurs et en échange de luxe éphémère (« ça m’a rappelé le bon temps : les sacs Marc Jacobs comme s’il en pleuvait, la bouteille de Taittinger en perfusion. Tout ça pour pas grand-chose, juste se faite bouffer la chatte. Y a pire, faut avouer. » Page 29), de l’agacement à force d’entendre toujours la même rengaine, de l’irritation face à son rejet de tout et sa lâcheté, choquée par son manque d’empathie et son détachement, et bien évidement du malaise quand elle évoque les circonstances de son incarcération.
« Ça a duré des jours entiers et plus ça allait, plus sa chair se décomposait avec des relents d’entrailles pourries. Le meilleur film d’épouvante jamais réalisé battant à plates coutures les blockbusters. Sauf que là, c’était vrai. Sauf qu’y avait pas Luc Besson pour couper la scène qui dérape. Sauf qu’au générique de fin, u a eu que nos pauvres noms de métèques infoutus de devenir des stars. Rien que des gosse enragés nés au mauvais endroit qui ont tiré la carte du religieux comme alibi de leur misère et ont tout mélangé dans le mixeur de la haine. Mauvais casting. »Page 81
Je suis tout de suite rentrée dans ce texte que j’ai lu d’une traite. Les faits ne sont faciles mais j’ai trouvé l’écriture d’Astrid Manfredi incisive, percutante et totalement juste. A l’image de cette petite Barbare, le beau côtoie l’indélicatesse. C’est un tourbillon de mots qu’elle déverse, une tornade de poésie et de vulgarité qui rendent parfaitement la complexité du personnage.
Entre l’envie de la plaindre et de la gifler, tout ne tient qu’à un mot et Astrid Manfredi les manie avec beaucoup de talent.
Avec dureté et élégance, on découvre un parcours terrible et percutant. Fille gang, la petite barbare touche (en bien ou en mal) aussi parce qu’elle est tellement juste parfois dans le regard qu’elle porte sur notre société.
« Je garde tout le temps la bouche ouverte comme une promesse. Je m’en fous de respirer, je veux mourir essoufflée. Du bruit et de la fureur, voilà ce qui germe dans le cœur de mon cœur. Ça gronde, c’est un orage et aucun présentateur ne pourra prédire où il va s’abatte. » Page 33
« Au commencement, y a pas d’idéologie ou de revendication, ni même le plaisir de faire du mal. Y a juste une progression dans l’épouvante, et elle n’est pas inscrite dans la charte du gang ni gravée sur une tablette de l’anti-loi. Ce qu’on cherche c’est la violence de la cour d’école qui nous nous a foutus dehors, mais là y a pas de pion pour nous recadrer, pas de stratégie, et notre jeu ne répond à aucune règle. » Page 51
« Oui, voilà ce que nous sommes, de grands fauves qui se gavent d’ultraviolence pour encaisser l’ineptie d’une monde préfabriqué sans notre avis. (…) C’est ça un gang, inspirer la crainte en tapant sur l’épaule. » page 52