En consultant les données spectrales de trois sondes spatiales en orbite autour de Mars, deux chercheurs ont constaté que les grands gisements de carbonates sont peu nombreux à la surface de la planète rouge. Dans l’hypothèse où l’atmosphère martienne, jadis beaucoup plus dense, fut en grande partie séquestrée dans son sol, ces observations ne s’accordent pas. Pour les auteurs de cette étude, l’atmosphère s’est enfuie, pour une grande part, par le haut, et peut-être même, était-elle moins épaisse qu’on ne l’imaginait.
L’idée que Mars, deux fois plus petite que la Terre, fut jadis plus chaude, humide et bleue (voire même habitable), s’est forgée peu à peu au cours de ces dernières décennies. On l’imagine volontiers, en effet, recouverte en ces temps reculés, de vastes océans d’eau liquide où viennent se déverser des fleuves et des rivières, ainsi qu’en témoignent ses paysages creusés de vallées. On entendrait presque les vagues se fracasser sur les rochers et la pluie qui tambourine le sol… C’est qu’il y a environ 4 milliards d’années, l’atmosphère de la Planète rouge était vraisemblablement plus épaisse et dense qu’aujourd’hui, argue-t-on. C’est en la perdant qu’elle est devenue ce monde aride et hostile observé actuellement.
Pour expliquer la disparition de son atmosphère, très riche en dioxyde de carbone (95 %), deux possibilités sont invoquées (concomitantes) : soit elle s’est en grande partie volatilisée dans l’espace, soit elle s’est majoritairement réfugiée dans le sol, comme c’est le cas sur Terre, créant de fait des dépôts conséquents de carbonates. C’est cette dernière hypothèse qui avait la faveur des scientifiques, mais en consultant les sondages réalisés par les orbiteurs Mars Global Surveyor (MGS), Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) et Mars Odyssey, au cours de ces dix dernières années, Christopher Edwards, chercheur à l’U.S. Geological Survey (USGS, à Flagstaff, en Arizona) et sa collègue de Caltech, Bethany Ehlmann ont plutôt constaté une faible présence de gros gisements. « Le plus grand dépôt de carbonates détient, au maximum, deux fois plus de carbone qu’il n’y en a actuellement dans l’atmosphère de Mars, explique dans le communiqué de presse de la Nasa, la coauteure de l’étude sur ce sujet, publiée dans la revue Geology. Même si vous combinez ensemble tous les réservoirs de carbone connus, on est encore loin d’être suffisant pour séquestrer l’épaisse atmosphère qui a été supposée pour la période où des rivières coulaient sur la surface martienne. »
Image composite d’une partie de la région de Nili Fossae, le plus grand dépôt de carbonates connu à la surface de Mars, créée à partir des données de MRO (Mars Reconnaissance Orbiter). Les roches riches en carbone sont en vert. Le brun indique les sables riches en olivine et le violet, la présence de basalte — Crédit photo : NASA, JPL-Caltech, JHUAPL, University of Arizona
Mars était-elle plus froide qu’on ne le pense à la fin du noachien ?
Les deux chercheurs ont calculé que si, à la fin du noachien (première ère géologique martienne), l’atmosphère de Mars était beaucoup plus épaisse — et ainsi favorisait la présence de l’eau à l’état liquide —, il faudrait au moins 35 gisements de carbonates comme celui de la région de Nili Fossae, le plus vaste (à peu près la taille de l’Arizona) connu à la surface de Mars, pour l’enfouir presque tout entière par ce processus chimique. Même s’il parait peu probable que de grands dépôts se dérobent à la vue des sondes spatiales, cachées à de plus grandes profondeurs, les deux chercheurs estiment que s’ils existaient, ils ne suffiraient toujours pas à expliquer l’actuelle atmosphère ténue.
Dans ces conditions, il vaut peut-être mieux examiner la possibilité qu’elle se soit enfuie par le haut, dans l’espace, plutôt que par le bas, via une séquestration de son ingrédient le plus abondant. Après tout, « peut-être que l’atmosphère n’était pas si épaisse lorsque le réseau de vallées s’est formé [fin noachien, début de l’hespérien, NDLR]_, estime Christopher Edwards. Au lieu d’être humide et chaude, Mars était peut-être froide et humide, avec une atmosphère déjà amoindrie. » Pour le géophysicien, il n’était nécessaire qu’il fasse très chaud, il y a plus de 3,7 milliards d’années, pour que les vallées soient creusées par l’érosion. « Dans plusieurs endroits, on pouvait avoir de la neige et de la glace à la place de la pluie. Il suffit pour cela d’être au-dessus du point de congélation pour que la glace d’eau fonde et coule occasionnellement, ce qui ne nécessite pas beaucoup d’atmosphère », précise-t-il.