L’ouvrage, bilingue, propose une nouvelle traduction en français des œuvres relevant de la poésie lyrique de Marina Tsvetaeva (1892-1941). Il s’agit d’une présentation aussi complète que possible de sa création lyrique en Russie (vol. 1) jusqu’au moment où elle quitte son pays en 1922 pour passer dix-sept années d’exil, jusqu’à son retour en URSS et sa mort en 1941 (vol. 2)
Il s’agit d’une collection chronologique qui recherche l’exhaustivité.
Véronique Lossky a, on peut le dire, consacré sa vie à Marina Tsvetaeva. Elle se dit elle-même femme d’un seul amour ! La rencontre se fit en 1961, par le biais d’un premier voyage en URSS, à l’occasion d’une exposition consacrée à la France à Moscou et où elle intervient comme interprète (elle est de langue maternelle russe et totalement bilingue). Elle découvre là-bas un petit fascicule de poèmes de Tsvetaeva, une « petite ouverture dans les ténèbres kroutchéviennes. ». Mais on verra que ce n’est que tardivement qu’elle abordera la traduction de sa poésie, ayant travaillé toute sa vie professionnelle à la recherche autour de Marina et à la traduction de sa prose.
Véronique Lossky considère Marina Tsvetaeva comme une des cinq grands poètes russes du XXème siècle, les autres étant Mandelstam, Anna Akhmatova et Boris Pasternak et à part Maïakovski. Elle met ce dernier à part pour des raisons politiques car dit-elle, même s’il s’est suicidé, il fut le porte-parole d’un régime honni par les quatre autres.
Elle fait remarquer aussi que c’est un fait tout à fait exceptionnel que deux de ces cinq immenses poètes soient des femmes. Marina Tsvetaeva et Anna Akhmatova sont des « grands » du XXème siècle dans un pays où les femmes, en littérature, se comptent sur les doigts d’une main.
C’est un peu par hasard qu’elle s’est enfin tournée vers la traduction de la poésie, il y a quelques années. Lors d’une conférence à Meudon, elle dut traduire à la volée quelques poèmes pour illustrer son propos et un jeune homme russe est venu la voir à la fin de la rencontre pour lui dire qu’il n’avait encore jamais entendu Tsvetaeva en français de cette façon-là et il aurait même ajouté qu’il fallait qu’elle arrête tout le reste et que toutes affaires cessantes, elle se consacre à la traduction de la poésie lyrique de Marina.
Véronique Lossky estime qu’environ un cinquième seulement des œuvres ici présentées ont été traduites en français. La première traduction, en 1950, fut le fait d’Elsa Triolet qui connaissait Marina. Puis il y eut nombre de traductions éparpillées, donc certaines excellentes, mais rien de cohérent. De plus elle pense qu’il était important qu’existe une traduction d’une seule main, qui montre bien le mouvement et l’évolution de de la poésie de la poète russe.
Marina a donné treize livres de poésie (le 4ème et le 13ème sont très longtemps restés inédits en Russie). La traduction reprend donc ces deux livres, les poèmes de jeunesse et donc, ce que Marina appelait son « dernier livre », ou encore « la douzaine du diable », ce treizième livre auquel elle n’a pas donné de nom. Les derniers livres relevant de la part la plus difficile de sa poésie, empreinte de philosophie, de métaphysique, de mystique au point qu’un critique soviétique qui avait eu un des livres en main en avait parfaitement compris la portée mais avait préféré décréter qu’il relevait du formalisme dont le public russe n’avait pas besoin.
Véronique Lossky a commencé en effet par ce dernier livre, dont une édition bilingue est parue au Cerf en 2011 avant d’entreprendre le projet actuel.
Elle dit aussi que la retraite lui a permis de nouer les fils de sa recherche sur la poète et interrogée sur les raisons qui l’ont tellement attirée vers la poésie de Tsvetaeva, elle avance le caractère de vérité de cette écriture et l’extraordinaire qualité des formes, « le zigzag d’idées et l’élan d’enthousiasme qui, s’il était faux, serait intolérable ». Elle a cette belle image d’une Tsvetaeva sur son épaule qui la guide et lui permet d’avancer, tout en reconnaissant à quel point cela peut être périlleux.
Florence Trocmé
A paraître le 22 octobre 2015
Marina Tsvetaeva, Poésie lyrique (1912-1941), édition bilingue, traduit du russe et annoté par Véronique Lossky, préfaces de Georges Nivat et de Tatiana Victoroff.
Volume 1, Poèmes de Russie, (1912-1920), 900 pages, 20 €
Volume II, Poèmes de la maturité (1921-1941), 800 pages, 20 €
Coffret, 40€
Éditions des Syrtes, 2015.
Poezibao rappelle l’important dossier publié sur le site au moment de la parution, chez le même éditeur, des Carnets de Marina Tsvetaeva.
Dossier spécial Carnets, 1, 2, 3
Photo : Véronique Lossky, ©florence trocmé