Beaucoup ont tendance à voir les féministes comme un groupe monolithique, dont les membres seraient interchangeables. Le féminisme est, plus que jamais, riche de personnalités très diverses.
J'ai donc décidé d'interviewer des femmes féministes ; j'en connais certaines, beaucoup me sont inconnues. Je suis parfois d'accord avec elles, parfois non. Mon féminisme ressemble parfois au leur, parfois non.
Toutes sont féministes et toutes connaissent des parcours féministes très différents. Ces interviews sont simplement là pour montrer la richesse et la variété des féminismes.
Interview de Nasham.
Peux tu te présenter ?
Je suis Nasham, je suis une femme cisgenre blanche, hétéro (je cumule) et j'ai 26 ans.
Depuis quand es tu féministe ; y-a-t-il eu un déclic particulier ou est ce venu progressivement ? Je ne saurais pas donner une date en particulier mais disons que je me revendique comme telle depuis à peu près 2 ans. J'ai une mère qui a énormément de défauts mais qui est féministe (plutôt mainstream hein par contre). Donc depuis toute petite j'ai entendu pas mal de slogasn féministes. Mes deux grands mères ont travaillé à une époque où ce n'était pas si courant, alors je pense que c'est familial. Le féminisme intersectionnel c'est beaucoup plus récent pour moi. Je suis devenue végétarienne puis végétalienne et j'ai rencontré un garçon formidable que j'ai converti à cette alimentation. De son coté il a réussi à me faire voir certaines incohérence du discours féministe tm et j'ai changé mon fusil d'épaule. C'est un bon alliéLe féminisme et le végétalisme (on est en cours vers le véganisme mais je n'y suis pas à 100% pour le moment) ont donc été logiquement complémentaires pour moi.
Tu précises dans ta présentation que tu es cis, blanche et hétéro, pourquoi est-ce important pour toi de préciser tout cela ?
Alors j'ai pris conscience (par le biais de groupes facebook militants mais aussi grâce à l'influence de mon copain, hétéro blanc cis lui aussi mais qui a beaucoup fréquenté les LGBT++) que toutes ces caractéristiques font que je ne subis pas un certain nombre d'oppressions systémiques (on parle d'oppressions systémique quand quelqu'un subit une discrimination qui est régulière et qui est entretenue par tout une société : média/gouvernement etc...).
Comme je suis blanche je ne vais pas avoir à batailler pour me loger/trouver du boulot (ou en tous cas je bataillerai moins, et les refus que j'essuierai, j'aurai la certitude qu'ils ne sont pas dus à ma couleur de peau). Comme je suis cis (c'est à dire qu'à la naissance le corps médical a dit que j'étais une fille et que coup de bol, je me sens être une fille) je n'ai pas à subir la transphobie je n'aurai pas à affronter des médecins qui seront persuadés de savoir mieux que moi qui je suis/ce que je veux/ce qui est bon pour moi. Je n'aurai jamais à affronter des gens qui me diront "ah mais tu es un mec en fait/une fille en fait?" "mais c'est quoi ton vrai prénom ?" "t'as quoi entre les jambes" et autant de questions indiscrètes, oppressives et violentes.Comme je suis hétéro : je n'aurai pas à subir de lesbophobie (la lesbophobie c'est le mix de sexisme ET d'homophobie que les lesbiennes affrontent). Personne ne viendra me coller une droite parce que je donne la main à mon petit ami dans la rue. Je n'aurai pas à affronter des silences gênés au repas de famille quand je le présenterai à mes parents. Je ne risque pas de perdre des amis en faisant un coming-out. Je n'ai pas à subir un tas d'autres oppressions systémiques : je ne suis pas handicapée, je ne subis pas de validisme, je ne me prostitue pas, je ne subis pas de putophobie, j'ai plutôt la ligne : je ne subis pas de grossophobie, j'ai eu la chance de faire des études supérieures et de travailler : je ne suis pas victime de classisme... Pour résumer : j'ai toutes les caractéristiques qui sont réclamées par la société pour être l'individu idéal, sauf que je suis jeune, et que je suis une femme.Tu dis que ta mère est une féministe mainstream ; que veut dire ce terme pour toi ?
Le féminisme mainstream est un féminisme qui ne s’embarrasse pas des discriminations autres que le sexisme. C'est comme si je mettais un coup de tippex sur tout ce que j'ai évoqué plus haut. Les féminismes TM (ou mainstream) ce sont des féministes qui oublient que certaines personnes cumulent plusieurs oppressions, et qui pensent que toutes les femmes doivent être libérées... mais pour correspondre au même modèle, celui qu'elles ont imaginé
Te considères tu comme une militante ? Que mets-tu derrière ce mot ?
Je ne me considère pas comme une militante. Mes amis pensent souvent que si. Alors tout est effectivement une question de perception ! Pour moi militer c'est marcher dans la rue pour le climat/la fermeture des abattoirs, la fin du harcèlement de rue, les inégalités salariales... C'est s'investir dans une asso, aller coller des affiches, faire des meeting, éditer des livres (tenir un blog féministe
Alors évidemment, si des termes français étaient forgés afin de traduire ces concepts, on peut imaginer que les gens ne pourraient plus critiquer le discours sur le fond mais bien argumenter sur la forme... Sauf que je pense qu'ils s'empresseraient de dénoncer les néologismes qu'on mettraient en place pour traduire les termes anglais : par exemple on se fait constamment emmerdé parce que "lesbophobie" n'est pas dans le dico, et que le mot "féministe" n'est pas "égalitariste", et que pourquoi on met "femmes" dans le mot si on veut vraiment l'égalité des sexes hein ?
Pour moi, nous reprocher notre jargon, c'est surtout une solution de facilité. Moi je l'ai le jargon, et je l'ai acquis rapidement (parce que quand on clique sur un lien, on tombe sur un autre mot, et qu'on le tape dans sa barre de recherche, et qu'il y a un autre article...) Pourquoi ne penses tu pas qu'il y a de petits ou grands combats dans le féminisme ? Est-ce que lutter contre le viol n'est pas plus important que lutter pour la féminisation des noms de rue ? Et bien c'est une excellente question.
Je pense que tant que les femmes ne seront pas considérées comme des individus libres, capables de leur propre choix, autonomes financièrement, adultes, bref, de vraiEs citoyenNEs, les situations les plus dramatiques seront toujours possibles.Seules 6% des rues qui portent des noms de personnalités portent des noms de femmes.
Qu'est ce que cela veut dire :
D'une part les femmes accèdent moins facilement aux postes à responsabilités, à la direction de chaînes, elles sont moins présentes dans l'armée ou dans la science. Donc ça fait moins de noms qui sortent. Mais EN PLUS quand elles y parviennent, elles sont moins choisies pour représenter leurs pairs. Ce que je veux dire par là c'est que si tu es une fille, en plus d'avoir une chance sur 6 de te faire violer dans ta vie, (les mecs qui nous lisent, c'est le moment de regarder votre cousine, votre sœur, votre mère, votre grand mère, votre voisine, et votre meilleure amie. Laquelle a été violée a votre avis ?) tu as aussi moins de chances d'occuper ces postes. Et si tu en occupes un, et que tu as du succès, et bien il y a peu de chance que ton nom soit retenu par la postérité : et oui tu [n']es [qu']une femme (et bien sûr, si tu es une femme noire, si tu es une femme handicapée, etc, tes chances s'amenuisent de plus en plus).
Donc bref, l'absence de noms de femmes sur les plaques de noms des rues ça symbolise quoi : les femmes n'ont pas leur place dans ce monde. Regardez autour de vous les noms des rues : un grand homme. Oh, et là, un savant célèbre !
Et les femmes elles ? Oh, elles ne sont pas dans la rue. D'ailleurs elles n'ont qu'à rester à la maison. Après tout, si elles sortent, elles le savent bien, elles risquent d'être victimes d'un viol (petite leçon : ça c'est du victim bashing). Et là, la boucle se boucle : tout est lié. L'absence de noms de femmes dans la rue signifie que la rue n'est pas à elles, que l'espace public n'est pas fait pour les femmes, que le monde n'est pas fait pour elles : d'ailleurs c'est logique : regardez : elles ne font rien pour le monde, sinon, leur nom serait sur ces plaques de rue. Quelques conseils de lecture de Nasham :
- La vie en rose de Brigitte Grésy (sur les stéréotypes de genre, et le double standard).
- Le Zizi des Mots chez Talents Hauts (avec un préambule sur le langage comme vecteur d'oppressions
- Riposte chez Actes Sud Junior (c'est pour le coté intersectionnel ça plutôt, ça parle de pauvreté, des clichés sur les minorités, de violence...).
- Les 30 féministes que personne n'a vus venir chez Contrepoints (ça c'est plutôt sur l'empowerment, c'est pas mon préféré de la liste mais c'est un peu plus accessible pour des bébés féministes comme lecture).