Marie-Paule Huet fait le constat d’une filière du livre incomplète en Guinée. Si on note la présence d’éditeurs, de quelques librairies en « dur » ou « parterre », le manque de diffuseurs et de distributeurs nuit énormément à la promotion des livres. Certes, cela fait un coût de moins pour les éditeurs locaux dans la chaine du livre. Mais la réalité est évidente. L’éditeur ne bénéficie pas du réseau, des techniques de promotions et de la logistique nécessaire.
Etat des lieux de la filière du livre dans un pays d'Afrique de l'OuestIl est important de souligner le gros retard qu’a accumulé la Guinée dans le rapport aux livres de ses lecteurs. Sous la première république, autrement dit sous le régime de Sékou Touré, il n’y a eu qu’un seul éditeur d’état. Les premières maisons d’éditions véritablement libres ont vu le jour au début des années 90. Il faut noter la faible présence du réseau de libraires à l’intérieur du pays. Cette faible couverture des libraires sur l’ensemble de la Guinée s’accompagne d’une méconnaissance de la production littéraire africaine, de manière générale. C’est un fait récurrent au niveau du continent, un cloisonnement des œuvres littéraires dans un espace national hermétique, en dépit de tentatives de coéditions entres éditeurs de pays différents. Ces coéditions permettent de réaliser des économies importantes sur les coûts de production et d’améliorer la diffusion de ces livres sur l’Afrique de l’Ouest (exemple du livre de Lilian Thuram Mes étoiles noires co-édité par 12 éditeurs dans le cadre de l’Alliance des Editeurs Indépendants et qui permet la diffusion de ce livre à un prix ne devant pas dépasser l’équivalent de 5 Euro en Afrique. soit le tiers du prix du même livre édité en France).
Librairies en dur, librairies par terreA noter une tendance, pour les libraires de Conakry à aller se fournir sur la place parisienne ou avec des fournisseurs intermédiaires installés au Sénégal. Les librairies « par terre » fonctionnent très bien. Ces filières “collent” très bien aux besoins de leurs lecteurs en leur fournissant les romans du programme, de la littérature à l’eau de rose, ou des romans d’action. Le passage à la librairie en « dur » est plus complexe, induisant des charges beaucoup plus importantes et une rigidité qui empêche l’épanouissement de ce genre d’initiatives.
Enfin, les grandes librairies ne font pas véritablement la promotion de la littérature africaine. Le public qui les fréquente est essentiellement constitué d’expatriés, d’étudiants et de grands lecteurs ayant des moyens financiers suffisant pour consacrer un budget important à l’achat de livres. Carine Jaffal, directrice de la Maison du livre à Conakry indique cependant ceci :
... et en ce qui concerne la littérature africaine, nous avons régulièrement les classiques et nous essayons d’avoir un maximum de livres qui concernent la Guinée ou bien écrits par des auteurs guinéens.Les éditions Ganndal en Guinée
Marie-Paule Huet est directrice littéraire pour les éditions Ganndal. Cette maison d'édition produit principalement des ouvrages scolaires, de la littérature de jeunesse et de la littérature générale. Les œuvres de fiction sont beaucoup moins présentes, même si on peut noter dans le catalogue cet éditeur de jeunes auteurs Guinéens comme Hakim Bah, dont le recueil de nouvelles Tachetures est paru en 2015.
A la question des opportunités qu’offre la numérisation des fonds éditoriaux, Marie-Paule Huet répond avec toutes les réserves possibles. Le numérique offre des perspectives à coté desquelles il ne faut pas passer. Mais il reste à régler un certain nombre de problèmes concernant la protection des œuvres ou la sécurité des fichiers électroniques.
Joss Doszen, Nadia Origo, KaarKassonn, Isabelle Grémillet - Source Librairie Galerie Congo
Remise en cause de la chaine du livreCet échange fait écho à une rencontre par Joss Doszen qui eut lieu sur Paris en avril 2015 à propos de l’économie du livre en présence d’Isabelle Grémillet, directrice de L’Oiseau Indigo, diffuseur et distributeur en France d’éditeurs d’Afrique de l’Ouest, Kaar Kaas Sonn écrivain, musicien, enseignant en marketing et auto-éditeur et Nadia Origo, directrice des éditions La Doxa. En particulier sur le constat du caractère incomplet de la chaîne du livre et l’échec de la distribution des œuvres dans l'espace francophone vu le caractère défaillant des réseaux postaux et l’impact extrêmement lourd d’un fret aérien qui se répercute violemment sur le prix du livre sans compter la gymnastique aux douanes de ces multiples pays. Malgré la complexité de cette chaîne, son e-transformation paraît encore plus hypothétique. Certes, le livre numérique impose, en dehors de l’insécurité autour des données, des contraintes technologiques lourdes et parfois onéreuses pour le lecteur : la possession d’un terminal de lecture (smartphones, liseuses numériques, tablettes, etc.), la possibilité de recharger ce matériel, une connexion haut débit raisonnable pour tout téléchargement de fichier acheté en ligne ou encore la mise en place de moyens de paiement en ligne efficaces. Ces zones d’ombre soulignent, pour l'instant la non-maturité de bon nombre de pays africains en termes d'infrastructures numériques.
Cependant, il demeure étonnant dans l’attitude des acteurs du livre sur le continent de constater le peu d’engagement des acteurs du livre en Afrique envers cette opportunité disruptive qu’offrent les nouvelles technologies, quand on fait le triste bilan de faillite de la chaine du livre...