Gianni Bigot, Faustino, 2010.
Professeur
de français, Gianni Bigot nous livre ici une œuvre mi-fiction,
mi-autobiographie (où se situe la limite ? mais est-ce bien
nécessaire de le savoir ?) qui nous plonge dans l’ambiance
pittoresque et terrible d’une cité. Entre rires et frayeurs, entre
identification et rejet, on ne peut rester indifférent à l’histoire
de Faustino. Ambitieux, le projet consiste à raconter l’amour
qu’un garçon a pour la littérature dans un lieu qui résonne
plutôt des phrases du rap. Sans tomber dans le manichéisme. Sans
sombrer dans les clichés. Juste en suivant la trajectoire tortueuse,
montagneuse façon ravins et sommets inaccessibles, de Faustino,
entouré de Proust et de Mahomet, du Coran et de madame Bovary. Ou
comment avoir le cul entre deux chaises, être tiraillé entre
l’envie de s’instruire et les amitiés contestables mais vraies,
entre le shit et la lecture comme une drogue, sans devenir
schizophrène, sans exploser en vol. Le langage est cru, mais c’est
celui de la rue. Les faits sont glauques, mais c’est la réalité.
C’est dit, on ne taira rien de ce qu’il se passe dans les halls
et dans les caves. On ne taira rien de la violence et du désespoir.
Mais on ne taira rien non plus de la réflexion sur l’origine, sur
l’accès à la culture, sur la solitude dans laquelle on maintient
les habitants des cités et sur une certaine idée de la fraternité
et de la solidarité qui y règne pourtant. On ne peut pas fermer les
yeux quand on se retrouve face à nos peurs injustifiées, à nos
idées fausses et à nos préjugés. De quoi clouer le bec aux
donneurs de leçons, à ceux qui croient savoir et à ceux qui
cherchent à nous faire peur. La réalité en pleine figure. Brute,
sans polissage, telle qu’elle est. Une réussite, en ce qui
concerne le message à faire passer. Ensuite, sur un autre plan mais
qui s’entremêle étroitement au premier, la littérature, et
l’écriture comme une cause et une conséquence de celle-ci.
L’auteur nous propose, sans complexe, de mettre à nu sa relation
avec l’écriture, de la décortiquer sous nos yeux, d’écrire
devant nous comme un peintre devant un public, comme un happening,
une improvisation inspirée. De là, la structure originale et
révolutionnaire (dans tous les sens du terme, novatrice et
circulaire), la possibilité de commencer le livre du début, de
manière classique, ou de prendre l’histoire en plein milieu,
suivant où l’on considère que se situe le commencement. Le début,
la fin, toute l’histoire de la subjectivité et des cycles. Dans
une lecture linéaire, la conclusion semble abrupte. Plus du tout si
l’on suit la logique qui nous pousse à reprendre au premier
chapitre. Qui s’appelle en fait chapitre 2. Impossible de sortir du
cercle. Non pas que le roman nous fasse tourner en rond. Plutôt, il
perturbe toutes nos perceptions et, si l’on accepte de déposer à
l’entrée du monde que Gianni crée en direct nos réticences à
aller vers l’inconnu, il fait tournoyer nos cerveaux bousculés
pendant et bien après la lecture.