Par Francis Rosenstiel
Ce jour là de I942, l'année de la Conférence de Wannsee qui décida au plus haut niveau de la "solution finale «le grand chef d'orchestre allemand, Wilhelm Furtwaengler dirige à Berlin la IX ème symphonie de Beethoven avec l'Ode à la joie, devenue, sous la baguette de Karajan, l'hymne européen.
Un frisson d'effroi, renouvelle jusqu' à l'infini, me traverse.
Dix fois, cent fois je revois cette vidéo je ne parviens pas à m'arracher à ces singulières et cruelles images. Un blasphème en musique !
En effet, la philharmonie de Berlin joue sur une estrade fleurie, parsemée d'oriflammes immenses à croix gammée, devant un extraordinaire parterre des principaux dignitaires nazis avec leurs épouses.
Emus, recueillis, les généraux, toutes décorations pendantes, des hauts gradés, dont certains portent des pansements au visage, des ministres, au premier rang desquels Josef Goebbels, fidèle entre les fidèles du Führer, futur suicidé "en famille" du Bunker, sont tous là, Ils écoutent recueillis, participent dans un silence complice à un amalgame sordide et diabolique où le sublime rejoint l'horreur et l'absurde.
Or l'indifférence n'est pas de mise, ces choses là n'ont pas de passé, elles se consument au présent, dans les flammes de l'éternité.
Peut-être Dieu a-t-il failli mourir ce soir là. A moins qu'il n'ait été déjà fou de l'inhumanité des humains.
Certes on n'assassine pas Beethoven, apôtre de la liberté, mais quelle épreuve posthume ! Quelle épreuve aussi pour tout être pensant aujourd'hui encore et toujours, pétrifié par ces images et ces sonorités agonisantes : "Alle Menschen werden Brueder" "tous les hommes seront frères :" pauvre Ludwig, pauvre Schiller : prostitués malgré eux.
L'Europe et son hymne, reviennent de loin !
Les exilés de Vienne et de Berlin en I933 : que n'ont ils pu emmener dans leurs malles, la mémoire de tous ces Maîtres malmenés et souillés !
Certes la Musique est éternelle, mais elle ne saurait être indifférente au contexte ; elle n'est ni marchandise, ni fourrage pour enrichir la pâture des dictateurs.
Ces prises de vues de 42 ont besoin d'un exorciste pour renaître de leurs propres souillures. Elles ne sauraient être recyclables à l'infini, telles les filles d'un cabaret berlinois des années trente !
Francis .Rosenstiel.
(Ambassadeur de bonne volonté du Conseil de l'Europe)
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