Série abrégée (extrait)
Cela s’appelle sentiment mais son vrai nom est-il pensé ?
Les lunes dans leurs sphères ne sont pas aussi fades que celles-ci.
Un O rond déclare que je ressens et tous acquiescent.
Marchant parmi beaucoup d’autres dans les rues de Londres
en un désarroi qui me porte
je regarde visage après visage comme un chien qui avance
dans cette démocratie sociale de solitude.
Plutôt se mouvoir à travers un chatoiement
alentour de beauté raciale pleurant comme un objet précieux qui
éclate en yeux pétillant sur la peau.
Extrait de : Denise Riley : Selected Poems, Reality Street 2000. Traduit de l’anglais par Jean-René Lassalle.
A shortened set (extrait)
It is called feeling but is its real name thought?
Moons in their spheres are not so bland as these.
A round O says I feel and all agree.
Walking by many on London streets
in a despair which carries me
I look from face to face like a dog going
in the social democracy of loneliness.
May move instead through a shimmer
around me of racial beauty crying like something expensive which
breaks into eyes sparkling all over skin.
Extrait de : Denise Riley : Selected Poems, Reality Street 2000
•
Dérive
Avancée rapide et floue comme la trainée d’un doigt vite passé le
trait instable du coin d’un œil une tache de rien
de solide juste secouant les fragments d’un tenté-stoppé-retenté
beaucoup de bruit qui n’a blessé personne, garder tête baissée garder
mains enveloppant la tête, plantées serré dans les yeux
les oreilles bouchées couvertes de doigts durs – vers le nord
tu peux courir courir jusqu’à ce que tes pieds se vitrifient au sol
miraculeuses particules de glace se larment tintent cliquètent aux battements
des vents, visage sculpté penche dans le blanc mordant d’une nuit arctique
digne refuge pour les ours qui l’encerclent de leur urine ambrée sur la
neige, non, bouche asséchée déchirée en jeter les jacassants
lambeaux dans n’importe quel lac ruisselant les hacher les plonger
dans un sillage déchiqueté. Dérive bâillonnée. Un nuage flotte sous
les eaux gelées, arceau d’ailes laiteuses, son ombre descend
tourbillonner criante – comment atteindre une froideur mesurée ? si je baisse
mon bouclier l’horreur de la perte se décoche cinglant ma gorge alors
prenez-moi aux épaules, stabilisez-moi, une pichenette le pourrait
jusqu’à ce que solidité rejaillisse et si la causette légère doit
reprendre d’accord je la tiendrai même s’il risque de pleuvoir
dans la maison : terrible loi – ce dont tu as besoin tu ne l’auras que lorsque
n’en ayant plus besoin tu le recevras, tu tomberas au travers de
rivières rouges bondées de poissons trapus, traversant le bousculant
flot bruyant de ces rivières musculeuses pulsant depuis abîmes boueux jusqu’aux
surfaces dansantes noyées d’air en brillantes échelles d’un temps
écarlate. J’entends une voix calme nourrir cette force droit dans les dents
du mal. Apprends une fierté sexuelle correcte et où elle se loge.
Ces phrases viennent vite, ne me donnent aucun remords – cela signifie-t-il
que tout leur ton est faux et que leur flux gicla
d’un distributeur d’aise au rabais ? Oh comme cet homme hurle.
Attends, appuie-toi à la plus haute fenêtre, embrasse cette ville du regard
dans son énergie gravement vigoureuse la lune pendue orange dans le
ciel bourdonnant, la profonde respiration l’air électrique, les hauts
immeubles répandant leur lueur, un cri de pur renard, dans les jardins obscurs
des mares charbonneuses, la mince rumeur du trafic lointain, jamais dormant
hautes hélices de sirènes descendant en spirales sur la route et les très pâles têtes
de roses béantes lavées dans leur propre lumière contre
la meule grinçante des bus démarrant quand dans cette nuit un solitaire
passager file rentrer au travers de tout ce qui fait une vie, ses
hésitations craintives, ses bondissants sursauts accélérateurs ; au point du jour
la blancheur d’une heure se dépose en plis balayés par aucun
écran d’ombres, j’agis en éventail, je trouve l’apaisement d’une âme.
Extrait de : Denise Riley : Selected Poems, Reality Street 2000. Traduit de l’anglais par Jean-René Lassalle.
A Drift
Move swift as a blur a fast drawn finger's smudge a
corner of the eye's unsteady streak a smear of nothing
solid only shaking fragments of tried-stopped-tried a
lot of noise which hurt nobody, keep head down keep
hands wrapped round head, jabbed down tight into eyes
ears keep blocked covered with hard fingers — to the north
you can run you can run till your feet glaze to the ground
miraculous ice particles keen out, chime, rattle in whipping
winds, carved face leans into stinging white of arctic night
a noble post for bears to circle with their amber urine in
the snow, no, shred drained mouth and toss the chattering
bits to any rapid driving lake to chop and drag them down
a tattered slipstream. Silenced drift. A cloud swims under
frozen waters, milky arch of wings, its shadow whirls
down screaming — how to a measured cool? if I lay down
my shield the loss dread darts up flicking in my throat so
take me by the shoulders, steady me, a finger-tip could do
until some solidness wells back and if the sweet talk's going
to come why then I'll talk it though it's going to be raining
indoors: a bad law — what you need you shall not get until
once you no longer need it then you will, will fall through
jampacked rivers red with thickset fish, through thrashing
muscled rivers' noisy dash pulsing from mud depths up to
air-drenched jumping surfaces in brilliant scales of scarlet
time. I hear the calm talk nurse this power right in the teeth
of harm. Learn proper sexual pride and how that's placed.
These sentences come fast, give me no grief — does that mean
that their whole tone is false and that their flow slid out
of some cheap ease machine? Oh how that man do howl.
Wait, lean from the topmost window, see over all this city
in its gravely vigorous life the moon hung orange in the
humming sky, the deeply breathing the electric air, tall
houses dropping glow, one fox-pure shriek, dark gardens'
charcoal pools, faint droning far-off traffïc, never sleep
high twists of sirens spiral down the road and palest heads
of swimming roses gape awash in their own light against
the grind of buses starting out as in this night a single
traveller flies home through everything inside one life, its
fearful hesitations, pouncing leaps of speed; at daybreak
an hour's whiteness cornes to lie in folds not brushed by
any shadow screens, I act as a fan, 1 find soul settlement.
Extrait de : Denise Riley : Selected Poems, Reality Street 2000
•
Savoir dans le monde réel
Une lueur jaune glisse depuis les maisons de briques.
Quelques nuages d’acier s’enflent au-dessus d’elles.
L’heure d’un après-midi se consume jusqu’à ce qu’une rouille
colorant la lumière descende dans le soir
ou à chaque moment quand je tombe à l’intérieur
de moi pour heurter comme le sol strié d’une
piscine asséchée pour l’hiver, aucune
profondeur verte mais une jonchée de feuilles noircies.
Puis le froid vient resserrer l’air. Depuis ma pièce
j’entends des voitures et la neige qui voltige dans la rue.
Je ne suis pas en dehors de tout : je ne suis pas non plus en-dedans.
Il n’y a pas de démocratie dans la beauté, j’ai à suivre
les regards humains. Bien que les gens loin virevoltent, ne
nous sentons pas rejetés par leurs vies énigmatiques, plus tard les vies
sécrètent leur sens. Le soleil rouge appuie sur la pluie.
Où dois-je me placer, si la vie publique est détruite.
Réussir seulement quelque chose d’aveuglément doux. Je suis
trop âgée maintenant pour vouloir être prudente. Ne l’ai pas été.
Ce que tu vois est ce que tu pourrais obtenir facilement. Tu
pourrais. Ou emmène-moi à la maison. Autre sorte de pensée,
liquide derrière la parole, et qui en saigne absolument.
J’ai lavé mon fils dans le lait du matin.
Coupée dans l’éclat du moment, une main sur une lame.
Blessure, en racine pivotante à son jour, sa rouge fleur dans la lumière.
Les nappes de vent fouettent la mer en ruchés champs de blé.
Ange, poisson, paradis, pluie de cerises.
Extrait de : Denise Riley : Selected Poems, Reality Street 2000. Traduit de l’anglais par Jean-René Lassalle.
Knowing in the real world
A yellow glow slips from the brick houses.
Some steely clouds swell up over them.
One afternoon hour burns away until a rust-
coloured light sinks in towards evening
or any time at all when I fall straight through
myself to thud as onto the streaked floor of
a swimming pool drained out for winter, no
greeny depths but lined in blackened leaves.
Then the cold comes to tighten the air. In my room
I hear cars and the snow flying around the street.
I'm not outside anything: I'm not inside it either.
There's no democracy in beauty, I'm following
human looks. Though people spin away, don't
be thrown by their puzzling lives, later the lives
secrete their meaning. The red sun's on the rain.
Where do I put myself, if public life's destroyed.
Only to manage something blindingly sweet. I'm
too old now to want to be careful. Then I wasn't.
What you see is what you could have easily. You
could. Or take me home. Another kind of thought,
liquid behind speech, bleeds away from it altogether.
I washed my son in the morning milk.
Sliced into the shine of now, a hand on a blade.
A wound, taproot in its day, its red blossom in light.
The wind sheets slap the sea to ruffled wheatfïelds.
Angel, fish, paradise, rain of cherries.
Extrait de : Denise Riley : Selected Poems, Reality Street 2000
Choix et traduction de Jean-René Lassalle
bio-bibliographie de Denise Riley