Un film de Yann Demange (2014 - UK) avec Jack O'Connell, Paul Anderson, Sam Reid, Sean Harris, Richard Dormer, Charlie Murphy, Barry Keoghan
Haletant. Dur et violent. Hyperréaliste. Désespérant.
L'histoire : Belfast, 1971. Gary, jeune soldat britannique, qui vient de terminer ses classes, arrive en Irlande du Nord. Il pense protection, défense, paix ; il va rapidement être confronté à la haine, à l'esprit de vengance, à la guerre totale. Après une attaque, gravement blessé, pris au piège dans un quartier catholique, il tente de rejoindre sa troupe, poursuivi par les hommes de l'IRA qui veulent sa peau... mais aussi par son propre camp, après qu'il ait découvert de sombres manigances...
Mon avis : Un des plus beaux films sur le conflit d'Irlande du Nord. Un des plus hard aussi. On en ressort lessivé par tant de noirceur, d'abomination, de haine qui, encore une fois, semblent tellement vaines et injustifiables... Je me disais qu'après avoir vécu un truc comme ça... je partirais m'installer dans une île déserte et je ne voudrais plus voir un être humain de toute ma vie !
Quasiment pas de prologue. Un dernier entraînement, un déjeuner avec son fils. Puis, comme le jeune héros (parfait Jack O'Connell), nous entrons tout de suite dans le vif du sujet. On y va la fleur au fusil, comme lui, qui demande à ses hommes de mettre leur béret et non leur casque, car il s'agit d'une mission de contrôle et qu'il faut montrer à la population catholique qu'on vient pour préserver l'ordre, simplement. Et on s'en prend plein la figure... Les femmes qui claquent les couvercles des poubelles sur les trottoirs pour prévenir les indépendantistes que les British sont là, le bouclier humain qui se forme et avance contre eux, déterminés, menaçants, l'écume aux lèvres, grands et petits, hommes et femmes. Et puis les coups de feu...
Terrible scène encore que celle ou le petit garçon anglais, dix ans, douze ans, aide le soldat à retrouver sa base, en parlant de son père mort au combat, en invectivant ces "sales catho" dont il faut débarrasser le terrain au plus vite. Dément.
Et l'autre, côté catholique, où cette fois on demande à un adolescent qui s'est engagé auprès des combattants, de tuer le soldat... Farouche et fier d'appartenir aux troupes indépendantistes, le voici soudain face à la mort qu'il va donner et soudain il doute, il doute...
Le fait d'utiliser ces jeunes héros est une idée formidable (sur le plan "histoire" et "sociologie") car on a tendance à penser que les enfants-soldats, c'est juste en Afrique. Et ben non. Ca m'a profondément touchée. Comme cette "sale" guerre que l'on découvre, en même temps que le héros idéaliste, où tous les coups sont permis pour aller au-delà des ordres et des codes éthiques, pour sa petite gloire personnelle pour "bouffer" de l'ennemi à satiété.
Traumatisant.
La réalisation colle parfaitement au propos et aux scènes. Plongée, contre-plongée, plans séquences, caméra secouée pendant les poursuites, gros plan sur les visages et les larmes, images sombres, très sombres, mais nettes, et audacieuses : un enfant mutilé, un visage éclaté, c'est dur mais c'est réel. Sensation d'étouffement, d'oppression. Waouh.
Finalement, le bémol, c'est que j'ai trouvé ça trop court : j'aurais aimé que ce soit plus développé, mieux expliqué, car au début j'ai eu un peu de mal à comprendre ce que trafiquaient les British ; j'ai même cru un instant qu'il s'agissait d'infiltrés de l'IRA. En même temps, c'est peut-être exprès, pour qu'on se perde et qu'on comprenne bien le message : d'un côté ou de l'autre, peu importe, l'homme est une brute sanguinaire. Et ça va si vite qu'on a l'impression que tout se passe en une seule journée (c'est peut-être le cas, du reste, je n'ai pas fait très attention à cet aspect). Mon côté bisounours me fait croire que - bon - c'est pas tous les jours comme ça ! Ils exagèrent ! Un peu plus de longueur aurait mieux ancré le film dans une réalité sordide. D'autant que son universalité (pas de bons et de méchants, juste des rivalités exacerbées qui tournent mal ; utilisation des enfants ; manipulation par les élites) fait écho à tous les conflits de la planète. Le jeune Gary n'est pas sans évoquer le Candide de Voltaire... La symbolique méritait d'être plus longue.
Je ne suis pas trop films de guerre, mais des comme ça... ça me bouleverse. Et c'est le premier long de Yann Demange, Français installé à Londres depuis l'enfance avec sa famille. Punaise, quelle maîtrise !
'71 a été encensé par la presse, le public, et multi-récompensé ; ce n'est que justice.