Une histoire de chiffres, à en croire les titres des
chapitres : cinquante mille dollars, quatre-vingts euros, cinq francs,
vingt-sept euros, etc. Ils deviendront des dates dans la troisième et dernière
partie d’un roman où Grégoire Delacourt conserve son écriture sautillante mais
écarte quelques paillettes trop visibles dans ses trois premiers livres. On ne voyait que le bonheur, lance-t-il,
mais il semble long à venir, ce bonheur.
La vie n’a pas été rose pour le narrateur, assureur – d’où
les chiffres comme points de repère puisque tout, même la vie a une valeur qui
s’estime en fonction de critères variables. Dans son métier, il est d’une
rigueur impitoyable. Il n’est pas là pour couvrir des arnaques à l’assurance.
Les chiffres sont cruels. Et les années qui passent, pareillement. Au point de
rappeler à l’expert, un jour, qu’il a un cœur. Examinant une voiture brûlée, il
comprend qu’il s’agit d’un incendie volontaire, que sa propriétaire cherche à
toucher la prime. Et conclut, contre toute logique, que la voiture a été volée
et détruite par le voleur. Deux jours plus tard, il est viré de la compagnie.
Trente-sept ans, divorcé, deux enfants, la suite ne s’annonce pas brillante.
Autant en finir tout de suite…
Mais le roman a beau déborder de violence intérieure,
franchir les barrières de la morale avec le sens tragique de la fatalité,
exposer les peines comme pour convier le lecteur à compatir, il a beau être
tout cela, il est aussi une trajectoire au terme de laquelle la tête sortira de
l’eau.
Le paradoxe n’est qu’apparent : après tout, il faut
descendre au fond de la piscine pour donner le coup de pied qui permettra d’émerger
à la surface. Ailleurs, au Mexique, au bord de l’océan, dans une paix relative
où le désir s’exprime sans frein. Sans même connaître toutes les conséquences
de ce qu’il a fait en France, dans son autre vie. Car cet homme-là, aux yeux de
tous, est un monstre. Même et surtout aux yeux de sa fille.
Le chemin vers la réconciliation est plein de larmes
salvatrices.