Tableau d'une famille hors normes et d'un hôtel parisien, " La Rue-de-Grenelle" dont " la cache" abrita son grand-père, durant la Seconde guerre, le récit de Christophe Boltanski est tout simplement fabuleux. Sa lecture vous aspire d'un souffle bienfaisant, vous enveloppe d'un cocon protecteur, à l'instar de la rocambolesque Fiat Lusso 500 de "Mère-Grand".
Personnage central, fantasque et attachant de la dynastie Boltanski, romancière à ses heures (NDLR: sous le nom de plume d'Annie Lauran), la grand-mère du narrateur voit sa mobilité entravée par une polio contractée dans sa jeunesse. " Impotente et omnipotente" elle ne se produit à l'extérieur qu'au volant de sa voiture ou prolongée des membres de sa famille qui font office de béquilles et de curieux " mille-pattes" . Ame de la "Rue-de-Grenelle", elle soude mari et cellule familiale en une vie de bohême, de vaudeville et de fusion ...sidérantes.
" Elle s'estimait pareille aux autres. Elle était une femme, soucieuse de son apparence, attentive à sa toilette, aimant plaire, sortir, voyager. Au-dedans d'elle-même, tout fonctionnait. Son esprit galopait. Elle débordait d'énergie. Elle ne tenait pas en place. Elle se débattait, non pas comme un animal blessé, mais comme un fauve pris dans des rets. Elle était invalide qu'aux yeux des bien portants. "Marie-Elise sauve son mari,le professeur de médecine, Etienne Boltanski, de la répression antisémite nazie, orchestrant de façon notoire leur divorce et le cachant vingt mois durant dans un réduit aménagé sous le palier de " l'entre-deux " [étages] Ce dernier développe par la suite, un attachement pour ce lieu, l'englobant, curieusement, dans la dépendance affective qui le lie à son épouse,"Femme qui boite contre homme en boite"...
Alliant une écriture factuelle, fluide à un sens de la formule et du génie des situations..., Christophe Botanski signe un récit familial remarquable. De ceux qui vous imprègnent durablement, dont vous regrettez d'achever la lecture.
Je vous la recommande plus que vivement.
Apolline Elter
La cache, Christophe Boltanski, roman, Ed. Stock, août 2015, 340 pp
Billet de faveur
AE. On ne sort pas indemne, Christophe Boltanski, de la " Rue de Grenelle ", d'une telle famille d'une telle emprise utérine, matriarcale. La quitter, prendre son indépendance, c'est affronter une seconde naissance ?
CB : C'est une seconde naissance, c'est aussi une petite mort. On quitte cette maison-matrice, ce grand ventre protecteur, ce huis clos, bien sûr, pour être libre. En m'échappant de ce lieu, j'ai aussi perdu aussi une liberté que je n'ai jamais retrouvée ailleurs. Je dis qu'une part de moi souhaitait une vie sans murs. Une autre part ne se sent bien qu'une fois le porche de cet hôtel très particulier franchi. Ce livre est une tentative pour faire revivre, pour reconstruire ce monde en partie disparu. Il est conçu comme une maison de poupée, comme une maquette miniature, avec des petites briques posées les unes sur les autres.AE. Vous décrivez les joyeux, quoique frugaux repas familiaux. En quoi consiste votre madeleine proustienne ?
CB. Je pense que c'est cette soupe rouge écarlate, curieux mélange de vinaigre, de betterave, de chou et de poitrine de bœuf, que l'on appelle le bortsch. Un plat populaire en Ukraine, mais chez-nous symbole de fête. Ma grand-mère le préparait dès la veille au soir. Il lui ressemblait un peu avec son goût aigre doux, son chaud et froid (on ajoute une grosse cuillère de crème fraîche et on mange avec un pâté brioché à la viande). C'est peut-être moins élégant qu'une madeleine, mais tout aussi roboratif.