Un Faux Boulot

Publié le 11 septembre 2015 par 7bd @7BD

Titre: UnFauxBoulot Auteur : Le Cil Vert Editeur : Delcourt Collection : Shampooing Année : 2015 Page : 128 Prix : 15,50€ Résumé : Tout démarre avec un souvenir d'enfance du héros, nommé Jean. Souvenir curieux de ses jeux et d'une... amie imaginaire ! Jean a grandi. Aujourd'hui, il travaille comme accompagnateur de personnes handicapées en vacances. Jean les appelle les vacanciers, terme moins exclusif que handicapés. Il n'est pas seul dans cette tâche ardue, heureusement. Au cours de différents séjours, nous allons découvrir les angoisses de Jean et comment les personnes qu'il accompagne vont pouvoir, à leur manière, sans le savoir, l'accompagner lui. Ses relations avec les autres accompagnateurs, sa mère, le monde, son inconscient ressortent aussi au fur et à mesure des chapitres de cette BD. Et toujours ce diable qui rôde quelque fois en bas de page, sans qu'on sache trop ce qu'il cherche, ou bien même s'il est vraiment là... Mon avis : Le Cil Vert – c'est le nom de l'auteur – parvient à m'entraîner à sa suite sur un sujet doublement difficile. Difficile une fois, car il n'est guère facile de rendre attirant la plongée dans les angoisses d'un auteur qui se met en scène de manière indirecte. Je vous entends déjà : « Ah non, encore un qui va nous faire partager ses névroses ! ». Et difficile deux fois car le statut d'accompagnateur pour personnes handicapées et les mésaventures qui y sont liées pourraient faire croire à une histoire dramatique et plombante. Je sais : « Oh là là, il va nous raconter le drame des handicapés, un Intouchables en BD, c'est ça ! ». Et bien, excellente nouvelle, Le Cil Vert nous réserve une bonne surprise. Le souvenir introduisant le récit fonctionne à merveille et a éveillé ma curiosité. Non, au final, une histoire pas languissante, pas dramatique, juste curieuse, intrigante, avec ces moments qui vous donnent envie de tourner la page pour en savoir plus. Et en savoir plus, c'est suivre Jean, l'avatar de l'auteur qui a exercé cette dure tâche, au travers de plusieurs séjours. On comprend rapidement que Jean a un souci. Non, pas le fait que le travail qu'il fait soit vu par sa mère comme passager et qu'elle pense que son fils devrait chercher un « vrai travail ». Il s'agit d'autre chose. Un souci plus profond, si profond qu'on l'oublie même au cours des chapitres de ce récit. Mais il ressurgit de temps en temps par des symptômes difficiles : crises d'angoisse, doute existentiel et autre. Cette question de fond : « Quelle insupportable casserole peut bien trimballer Jean ? » se diffuse tout au long du récit, sans vraiment le sous-tendre. Attention, nous ne sommes pas dans un thriller, mais dans une histoire de vie, de la vie de tous les jours, bon, dans des conditions un peu particulières, celles de ces fameux séjours. Ces voyages rythment l'histoire. Un séjour, un retour chez sa mère, un séjour, un retour chez sa mère et ainsi de suite. Ne vous inquiétez pas, il y en a peu et tous sont différents. Exactement comme lorsque vous partez en vacances dans un endroit génial, que vous décidez d'y retourner l'année suivante et que rien n'est plus exactement pareil. Et vous aurez au final deux souvenirs différents alors que vous avez fait la même chose, à un an près. Il y a donc une intrigue courte, « Est-ce que le voyage va bien se passer ? Jean évitera-t-il la catastrophe ? » mais qui permet de découvrir les problématiques rencontrés dans le fonctionnement et l'organisation de ces séjours, répondant ainsi discrètement à plusieurs questions qu'on se pose, et soulevant beaucoup d'autres interrogations par le regard de Jean. Mais le Cil Vert prend du recul, il ne présente pas tous les handicapés comme des gens extraordinaires avec une âme incroyablement profonde et tous les accompagnateurs ne sont pas des bénévoles angéliques qui finiront sanctifiés ! Jean nous les montre de son point de vue. Du point de vue extérieur de celui qui ne sait pas forcément comment entrer dans la tête des gens pour les comprendre – vu que c'est encore un peu compliqué dans la sienne - . Il y a donc les gens qu'il apprécie, ceux qu'il aime, ceux avec qui il se lie, ceux qu'il ignore sans s'en rendre compte, ceux qu'il découvre avec tendresse. Et dans cette histoire, ce qui est sûr, c'est que Jean ne se donne pas la belle part ! Il commet des erreurs, celles que nous commettrions sans doute à sa place, parfois légères mais parfois graves. Et tout départ appelant un retour – pas forcément d'ailleurs – Jean revient... chez sa mère. C'est une autre facette de ce personnage que nous découvrons et là aussi, il ne se donne pas forcément le beau rôle ! Vous faites une pause et vous dites : « Cela semble intéressant, mais ardu d'approche ! ». Effectivement, cela pourrait l'être mais Le Cil Vert utilise un ingrédient magique, distillé avec parcimonie, qu'il sait doser à merveille : l'humour ! Rien de pontifiant dans cette BD, juste un regard sain, honnête et surtout drôle. Le seul reproche que l'on pourrait faire à ce récit, enfin, le seul reproche que je pourrais faire à ce récit, - à chacun de se faire son avis après tout – c'est ce sentiment parfois de « chute de bas de page ». Un gag ou une réflexion qui conclut une situation en bas de page. Du coup, j'ai l'impression sous-jacente d'avoir de temps en temps un recueil de gags entre les mains, sans qu'il soit présenté comme tel puisque la narration est continue, juste coupée au rythme des séjours. Curieux, car cela m'a parfois fait sortir de la lecture. Mais j'avoue ne pas avoir eu trop de mal à m'y replonger ! Le dessin n'y est pas pour rien. Le Cil Vert, qui a écrit le récit, prend aussi les pinceaux pour dessiner cette histoire. Afin de créer une certaine distance avec son sujet, il adopte un style résolument non réaliste, presque naïf ! Ses personnages sont néanmoins expressifs et savent nous faire passer tout un panel d'émotions par leur visages, à commencer par Jean, dont ses lunettes lui créent d'énormes yeux où tout ce qu'il ressent peut se lire. Les décors sont simples, non réalistes mais plutôt stylisés de manière efficace et claire. On sait où on se trouve sans se poser de questions. Et une fois placés, ils ont la délicatesse de s'effacer pour ne garder que l'essentiel : une table, une affiche, un buisson. Parfois, ils disparaissent complètement pour laisser les émotions surgir sur des fonds de couleur unifiés. La couleur a nécessité un travail et un choix clair - non, pas dans les teintes, qui sont plutôt sombres -. La BD est en noir, blanc et une teinte plutôt ocre, qui varie au fur et à mesure de la lecture. Ce qui fait que soudain, on change d'ambiance, on passe du sombre au pus clair. En regardant bien, vous verrez que tout cela suit la logique du découpage de l'histoire : un séjour, une rencontre, un retour à la maison et à chaque fois, un changement de la palette de teintes – les professionnels du dessin me passeront cette expression pas forcément très bien adaptée -. Le découpage des cases repose sur des planches de une à trois bandes composées de une à quatre cases. Un découpage simple dont joue Le Cil Vert pour accentuer certains effets de narration ou même pour tout d'un coup briser le rythme de lecture et créer une pose en offrant une belle longue case à une situation, un moment, une réflexion. Le découpage en trois à quatre cases permet soudain d'accélérer la lecture, le temps d'un gag, d'une tension qui éclate. Ou au contraire, une case laisse à Jean le temps de la réflexion dans certaines situations difficiles à gérer et nous fait saisir à nous, lecteur, que ses neurones tournent. Le cadrage suit le choix du découpage, il reste simple. Plans larges, plans serrés, pas d'effet de mise en scène même dans les pires moment d'angoisse de Jean. Ces choix, cadrage, découpage, couleurs permettent de renforcer la narration et ainsi, Le Cil Vert peut nous offrir une belle fin, autant scénaristique que visuelle. Bien sûr, je ne vous en dirai rien pour vous laisser la surprise. Pour information, cette BD est éditée dans la collection « Shampooing » de Delcourt, dirigée par Lewis Trondheim. Une collection, qui va baisser son nombre de parutions. C'est la réponse de Trondheim, comme il l'expliquait entre autres au festival de BD de Lyon, à la surproduction en BD. Ce n'est pas contre les auteurs, contre le public ou contre les éditeurs, c'est une décision qu'il se doit de prendre, afin que les auteurs qu'il publie puisse trouver leur espace en librairie et du coup leur public, sans être noyé par les autre parutions de la collection. Si tout le monde pouvait faire pareil, on aurait sans doute moins de choix en terme de BD mais, on peut l'espérer, on découvrirait plus d'auteurs. Car aujourd'hui, dans l'offre pléthorique, combien de BD sortent sans même que nous en sachons l'existence ? Perdrait-on vraiment au change ? Je ne crois pas. Par contre, pour les auteurs, oui, cela sera plus difficile de se faire publier mais peut-être qu'ils pourraient être ainsi mieux rémunérés pour leurs travaux. En tout cas, je l'espère ! Mais c'est un vaste débat que j'ouvre ici et Trondheim a le courage de tenter d'apporter une solution. Les choix de Trondheim vont devenir plus drastiques et je suis content que Le Cil Vert, avec son récit semi-autobiographique – ça, c'est moi qui le suppose -, ait survécu à la moulinette de la dure sélection. « Un Faux boulot » est une vraie surprise ! Jean devient sympathique et sait nous rendre attachant son entourage. Ce récit complet – ou One-Shot, comme on dit aujourd'hui – vous propose un beau voyage humain, l'occasion de découvrir un milieu et de suivre un protagoniste un peu perdu qui doit encore trouver sa route. Zéda tente de rassurer Jean... David