« Pour moi, on n’est écrivain qu’à condition d’être poète ». Sony Labou Tansi (1947-1995) est connu et célébré comme romancier et dramaturge. Mais qui connaît son œuvre poétique ? De cette terra incognita, seuls témoignaient quelques poèmes éruptifs lancés à la volée dans la presse et aussitôt relégués aux oubliettes de l’éphémère. À la mort de l’écrivain, on découvre dans ses papiers une multitude de poèmes manuscrits, inédits. L’ensemble constitue une mosaïque de recueils et de fragments qui obéit à un dessein aussi cohérent que son théâtre et son œuvre romanesque. La présente édition génétique les reprend tous dans le continuum chronologique de leur écriture autographe, telle qu’elle a pu être reconstituée à partir des manuscrits, de la correspondance et des entretiens. (Quatrième de couverture).
DIX
Le jour
Sort
De la nuit
Pour balayer
Les étoiles
Ces voix
Ces souffles
Ces ombres dans les blés fatigués
Des gestes sans épis
Où sont-ils partis
Cette longue fusillade de tams-tams
Cette lente germination des ancêtres
Dans les hanches noires du silence
Où sont-ils partis
Ces morts chéris
Qui grouillaient
Dans l’écorce translucide
Des chansons
ONZE
Le soleil pose
sa blanche mélancolie
sur la [xxxx] nuque des vagues froissées
Cette mer est bien aveugle
Qu’est-ce qu’elle cherche
Avec sa gendarmerie de vagues
Dans le sang
De ce disque languissant-bondissant
Je m’assois dans la nuit
Je songe mes petits dieux
D’argile
Jetés à la mer – et par simplicité
EtMon cœur applaudit
La sombre souplesse des vagues
Qui s’agitent
Comme
Des oliviers –
DOUZE
La nuit tombe
Comme un fruit
Dans mon cœur –
Les voix de la mer
sont
Comme des noms
d’amis
Les voix dans la mer
sont
Comme des noms
Mal dits
Je m’échoue sur cette plage
Ponténégrine
Et chaque vague en se levant
Vient saler
Mon âme insipide
Les gestes de la mer
sont comme souples comme
Un corps de femme –
Le ciel dans la mer
Est placide
Comme les racines d’une caresse
TREIZE
Deux hommes bien sages sages
Ont coupé la tête d’un Noir
Qu’ils promènent dans le village
Comme un message très sale à voir –
Deux soldats bien blancs
Pataugent dans le sang noir
Qui sort par les yeux encore tremblants
Pauvres dents Pauvre langue Pauvres mâchoires
Pauvres portugais – le sang tangue comme le temps
Courage mes frères d’orgueil
Nous ne sommes pas faciles à insulter
A insulter
Cheu Ceux qui fuyaient Hitler
Distrayent l’écureuil dans son verdoyant
Repos – Jetez vos ventres
Donnez vos têtes comme des fleurs
Sur leur défilé
Donnez tout votre sang à saboter
Mais chez nous rien n’a jamais
Pesé moins lourd
que sept fois sept milliards de Portugais
Rien ne pèsera moins lourd
Que sept cent Mississippi de sperme
Portugais.
QUATORZE
Mettez ce siècle
À ma place
On rapièce mon sang
Mettez votre charité Chrétienne
À ma place
Elle s’agite dans ma chance
Mettez votre Civilisation
À ma place
Elle me crève les yeux
Mettez vos pays à ma Place
Ils tr trottent tous
Dans mes entrailles
Mettez-vous à ma place
Je Tout s’amuse
Dans mes nerfs d’argile
Du pain quotidien
Aux fleurs des marxismes –
Tout me prie de prêter garder mon sommeil
D’île dans la mer
Sony Labou Tansi, « Les Yeux de l’espoir », in Poèmes, édition critique, coordonnée par Claire Riffard et Nicolas Martin-Grand, en collaboration avec Céline Gahungu, coll. Planète Libre 1240 pages, 45€, CNRS Éditions, 2015, pp. 499 à 503.
bio-bibliographie de Sony Labou Tansi