Max | Jean

Publié le 10 septembre 2015 par Aragon

Quand j'ai connu Jean il allait sur ses ??? Je ne sais plus, quatre-vingt-onze je crois... C'est Monique, une amie commune qui me l'avait présenté. Elle m'avait dit quelques jours auparavant qu'elle allait me faire rencontrer quelqu'un "d'incroyable". Je ne demandais qu'à voir. 

Poussignac où il habitait est un village minuscule que je n'ai jamais trouvé, si, j'ai vu son église, antique, et son cimetière où Jean repose à présent. Pas de rues, pas de place du village, rien, mais Poussignac existe réellement. C'est "du côté" de Casteljaloux (Lot-et-Garonne). Dans les bois et les prairies. Jean était à la retraite quand je l'ai connu. Après une vie de bonimenteur comme il aimait à le dire malicieusement. Faire du gringue aux clientes pour les appâter. Il avait été marchand forain. Il avait eu un "barnum", c'était son terme utilisé pour désigner son véhicule, très gros camion équipé spécial vente, qu'il conduisait de foires en marchés dans le Sud-Ouest où il vendait toutes sortes de choses, quolifichets, sabots en bois puis plus tard en caoutchouc, balayettes de chiottes, jolies robes, charentaises, moulins à café, bassines, papier attrape-mouches, bâtons de souffre pour les barriques, etc. Caverne d'Ali-Baba et inventaire à la Prévert tout à la fois !

En amont : Enfance rude, très rude pour un fils de hobereau, son père meurt alors qu'il n'a pas huit ans, avant la guerre de 14,  faut bosser dur, dans les vignes et les champs, casser la glace dans les abreuvoirs les hivers pour gagner quelques piécettes, puis l'émancipation d'une mater familias peu amène, vient le temps du "barnum", sa vie quoi...

Jean, rendu adulte, dans ses moments de loisirs, a renoué avec l'enfance qu'il n'avait pas eue. Il est devenu tour à tour cow-boy, indien, biker. Il a eu grandes passions pour la moto, il me parlait de son "Indian" qu'il pilotait comme Marlon Brando ou Peter Fonda, à fond la caisse sur les petites routes de Caudrot, Castets-en-Dorthe, Saint-Martin-de-Sescas ou Saint-André-du-Bois qui sont toujours restés ses villages de coeur ; pour les chevaux qui lui donnaient les moyens de retrouver les chemins et les pistes du Rio Grande ou de Monument Valley.

Jean, une fois l'âge de la retraite venu est surtout devenu guérisseur. Vers la soixantaine, il a exercé ce "métier" qu'il "sentait" en lui depuis longtemps. Quand je l'ai connu les gens faisaient la queue en sa maison des bois, des champs, on venait de très loin. Réputation, talent, écoute vraie des gens, gentillesse et bonne humeur inégalée. Souvent, quand je l'attendais dans sa cuisine, j'entendais des éclats de rire venant de son "cabinet de travail". Maintes et maintes fois j'ai vu des gens sortir en se tenant les côtes, morts de rire. Il avait mémorisé des centaines d'histoires drôles, des blagues de potaches, des scénars délirants, plus vrais que nature. Une "patiente" régulière me confiait même un jour qu'elle était en parfaite santé mais qu'elle ne venait à son rendez-vous que pour se bidonner, rire et être heureuse pendant 1 heure !

"Fais ce métier à ma suite" me disait-il, "les gens ont trop besoin de rire et de voir un regard vrai se poser sur eux". Le reste n'est qu'accessoire me disait Jean, la santé est souvent liée à l'état "intérieur".  Ses longues mains fines, adoucies à l'extrême par des flacons d'huiles essentielles qu'il répandait sur les corps, les dos douloureux ou les colonnes en compote étaient étonnantes de vérité. La lumière de son âme passait par ses mains et par sa voix, pas par son visage,  ses yeux. Ses mains aimaient le monde souffrant et l'humanité. Il a exercé pendant quarante ans, étonnant les gens et son gendre médecin généraliste par son succès et les résultats qu'il obtenait. Finalement qu'est-ce qu'un guérisseur me confiait-il ? En rien un gourou, aucunement quelqu'un au "pseudo pouvoir exceptionnel", pas plus qu'un magicien. Un guérisseur c'est quelqu'un qui pose de vraies mains et un vrai regard sur la personne souffrante, c'est quelqu'un qui est en relation vraie avec son patient. Qui prend son temps, qui écoute, qui donne mais qui reçoit aussi. Le reste, le résultat, ne lui appartient pas...

A cent ans il conduisait encore sa voiture et nous allions au marché du samedi matin à Casteljaloux. Puis, il a décidé qu'il avait assez donné. Un jour il m'a dit qu'il arrêtait, mais pas d'une manière grave ou solennelle ; en rigolant presque. Il m'a dit qu'il avait envie de partir mais qu'il reviendrait me voir, le signe serait des chatouilles aux pieds qu'il me ferait dans mon lit. C'était tout Jean, ça. Il est mort à cent un ans. L'a pas tenu parole par la suite le bougre, trop occupé à raconter des histoires de Toto à des anges emplumés et morts de rire... ou alors j'ai le sommeil trop lourd. Qu'importe !

J'ai parlé de Jean aujourd'hui comme j'ai parlé de Blanche hier. Les "vieux" quand ils sont bien vieux, quand ils sont de vrais vieux, sont des êtres exceptionnels !!! Des modèles... à suivre.

 

photos : Jean "jeune", à cheval, et Jean "vieux", chez lui à Poussignac

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