Dans le cadre de notre série d’entretiens avec des éditeurs, nous avons posé quelques questions à Louis-Baptiste Huchez, directeur de collection des éditions Ofelbe.
Jeune maison créée en 2014, Ofelbe est spécialisé dans l’édition de light novels et cherche à ouvrir le grand public européen à ce genre si populaire en Asie. La maison est partenaire des éditions Ototo dont elle publie la version light novel de certains de leurs mangas. A l’heure actuelle, trois licences sont actuellement publiées par Ofelbe. Rencontre avec ces nouveau-nés de l’édition française.
Ofelbe est spécialisée dans l’édition de light novel. Pourriez-vous nous expliquer précisément de quoi il s’agit ?
Au Japon, où il est né, le light novel est une littérature jeune adulte, destiné aux lecteurs de 10 à 25 ans environ. Évoluant très souvent dans un univers fantastique, les personnages sont généralement de l’âge de la cible du roman afin de permettre au public de s’y identifier. Grandes épopées, les light novels s’étendent sur plusieurs tomes, jusqu’à 25 pour les plus longs d’entre eux.
Leur autre caractéristique majeure est qu’il s’agit d’une littérature cross média : le light novel sort en premier et constitue l’oeuvre de base qui se décline ensuite en manga et/ou en animé. Par exemple, Spice and Wolf en France existe aussi en manga chez Ototo notre partenaire et Log Horizon existe dans sa version manga chez Kana et en animé chez Anime Digital Network. Chaque support possède ses qualités propres, la narration change en fonction de chacun : l’aspect parlé est proéminent dans la version manga de l’oeuvre, et l’animé apporte la musique. Chaque support constitue une redécouverte, une adaptation d’un même récit et les fans aiment pouvoir combiner les trois visions d’un même titre afin de saisir l’oeuvre dans sa totalité.
D’un point de vue matériel, le format du light novel japonais est plus petit que le format manga traditionnel. Précisément, le format est un ¾ poche. Pour l’anecdote, si le format est si petit, c’est parce que le Japon est surpeuplé et que leurs librairies sont petites, il faut donc des livres qui ne prennent que peu de place pour pouvoir en ranger davantage. De plus, les Japonais adorent lire dans le métro, souvent bondé, et par conséquent les livres doivent être faciles à transporter comme à lire debout.
Les light novels contiennent 95% de textes et quelques illustrations en couleur en début et fin de volume, auxquelles s’ajoutent d’autres dessins en noir et blanc au fil du texte. Certaines illustrations comportent des encarts détaillant les caractéristiques de certains personnages par exemple, ou permettent d’autres fois d’illustrer une scène qui ne serait que peu décrite par le texte.
Évidemment, tel quel, l’objet ne trouverait pas sa place dans une librairie occidentale. C’est pourquoi nous avons fait plusieurs choix éditoriaux dans le but d’élargir le public du light novel, ce qui est notre volonté de départ. La tomaison est différente en France où l’on est moins friand du format épisodique et c’est pourquoi un tome français réunit deux tomes japonais. Le sens de lecture est bien sûr rebasculé de gauche à droite et le format est agrandi car les tous petits gabarits ne se vendent pas bien en France. Le ¾ poche japonais devient donc un 14×21 en France. Encore une fois, nous n’avons pas choisi de dénaturer l’oeuvre mais bien de l’adapter aux standards français afin de faire découvrir ce genre de littérature à un public plus large.
Nous n’avons pas choisi de dénaturer l’oeuvre mais bien de l’adapter aux standards français afin de faire découvrir ce genre de littérature à un public plus large.
C’est principalement par la littérature jeunesse que j’ai découvert le monde du manga. Harry Potter, Narnia, Artemis Fowl ou encore Oksa Pollock plus récemment sont des séries jeunesses que j’ai encore plaisir à lire aujourd’hui. Intéressé par ce genre de romans, j’ai voulu en découvrir l’équivalent asiatique et j’ai commencé à lire du manga puis très vite du light novel qui constitue la synthèse, la fusion entre le manga et le roman occidental jeunesse. De plus, puisque le light novel constitue la version première d’un oeuvre, lorsqu’on le lit on a l’impression de découvrir l’original d’une série, l’interprétation la plus proche de ce que l’écrivain a voulu dire et pas une adaptation que constituent les versions manga et animé. Lorsque l’on est un fan, c’est important.
La maison a été créée en 2014, alors que l’on entend partout que l’édition se porte plutôt mal. Qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans la création d’une maison ? Comment avez-vous franchi le pas ?
En 2009, les éditions Hachette ont tenté de publier des light novels, pour la première fois en France avec notamment la licence de Haruhi Suzumya. Cherchant également à occidentaliser le produit, ils ont pris le parti de supprimer toutes les illustrations, qui font pourtant partie intégrante du récit dans leur version originale. La conséquence de ce choix a été unanime : les fans ont été véritablement déçus par cette adaptation occidentale de leurs mangas préférés. Hachette a très rapidement cessé l’édition de light novels et ce format de roman a disparu du marché français.
Avec Ototo, nous nous sommes dit qu’il fallait rebondir sur cet échec et surtout ne pas tourner le dos aux fans hardcore pour que cela fonctionne. Nous étions déjà en contact avec les fans par l’intermédiaire des salons et savions par expérience que l’attente existait réellement. A vrai dire nous n’avons pas eu peur de nous lancer, le public de fans existait déjà, il suffisait de lui donner ce qu’il voulait. Le genre était en pleine explosion au Japon depuis 2005, et en France les amateurs commençaient vraiment à se demander ce qu’était ce light novel battant des records de ventes au Japon. Alors, depuis 2010, nous avons commencé à parcourir les salons afin de mesurer cette attente et c’est là que nous avons véritablement pris conscience de la frustration qu’avait entraîné l’échec d’Hachette.
Nous avons véritablement pris conscience de la frustration qu’avait entraîné l’échec d’Hachette.
Deux ans plus tard, quel est le bilan ? Êtes-vous toujours les seuls sur le marché français ?
En tant qu’éditeurs spécialisés en light novels, nous sommes effectivement les seuls. En revanche des éditeurs de manga publient de temps à autre des romans de ce type. Je pense notamment à Lumen qui a publié Kings Game, une sorte de light novel écrit sur téléphone, un genre très populaire au Japon.
Pour le moment nous sommes très satisfaits des premiers retours, nous avons conquis le public de fans mais il reste encore à séduire le grand public, ce qui reste notre objectif principal. De plus, il reste encore à déterminer si cette demande n’est qu’une curiosité momentanée pour le genre ou si elle reste tenace. Nous n’avons pas assez de recul à l’heure actuelle pour pouvoir répondre à la question. Quoiqu’il arrive, nous sortirons bel et bien plusieurs nouvelles licences en 2016.
Quelles sont les étapes de la publication d’une licence ? Combien de personnes travaillent sur chacune d’entre elles ?
Pour les premières licences, il nous suffisait de piocher directement dans les gros succès mangas déjà publiés chez Ototo. Aujourd’hui c’est plus compliqué. Nous devons commander les parutions japonaises afin de choisir celles qui rentrent dans notre ligne éditoriale. Par exemple, nous écartons les genres typiquement japonais comme le genre coquin, le hentaï, et nous regardons si le manga en questions possède déjà son public de fans en France. Il est possible par exemple d’aller chercher directement l’information en salon et de demander aux fans si les titres qui nous sont proposés les intéressent.
Une fois notre choix arrêté sur une licence, notre agent japonais intervient auprès des éditeurs japonais et s’occupe des négociations commerciales. C’est seulement après toutes ces étapes que débute le travail éditorial.
La publication d’un light novel nécessite un long travail de traduction qui se fait sous la surveillance des éditeurs japonais à qui l’on fait valider le travail régulièrement et notamment concernant l’adaptation de certains codes qu’il n’est pas possible d’exporter tels quels. Mais attention, la fidélité accordée aux dires originaux de l’auteur est notre première exigence et nous préférons toujours ajouter des notes explicatives à une référence typiquement japonaise plutôt que de l’adapter. Nous cherchons vraiment à respecter l’oeuvre et nous sommes de l’avis que c’est également ce que les fans attendent de nous.
A l’inverse d’une publication traditionnelle de roman en Europe, vous ne travaillez donc pas du tout en collaboration avec les auteurs ?
En effet, les contacts avec les auteurs se réduisent à leur présence sur les salons ! C’est là la grande différence avec l’édition classique. En revanche, les auteurs Japonais sont souvent très heureux de pouvoir rencontrer leurs fans français et sont de plus en plus nombreux à se déplacer en Europe. Ils découvrent pour la plupart avec surprise les formats des light novels adaptés à l’occidentale. Bien sûr, ils peuvent être amenés à donner leur avis sur quelques éléments éditoriaux, mais c’est vraiment très rare. De notre côté, c’est arrivé une seule fois chez Ototo qu’un auteur demande la modification d’une couleur. Et d’ailleurs, les échanges ne se font jamais en direct, mais toujours par l’intermédiaire de l’agent et des éditeurs japonais. La confiance est de mise pour ce genre de contrat et si nous n’échangeons pas directement avec l’auteur nous lui promettons de rester fidèles à ses volontés. C’est pour cela également que venir de chez Ototo est un plus pour nous, nous n’avons plus rien à prouver et les éditeurs nous font confiance, ils savent que nous ne sommes pas des débutants et que nous sommes rigoureux.
Le plus important de salons dans notre secteur est bien sûr la Japan Expo. Avec ses 200 000 visiteurs c’est le plus grand d’Europe. En 2015, c’était la première fois que nous y étions en tant qu’éditeurs avec des titres déjà parus… Et nous avons vendu l’intégralité de notre stock sur tous les romans ! Les retours ont été très bons et nous ont confortés dans l’idée que nous avions fait le bon choix de nous lancer. Les fans nous ont dit avoir vraiment apprécié les échanges avec les auteurs Japonais.
Plus globalement la France compte de nombreux salons vraiment intéressants comme Paris Manga, la Japan Touch à Lyon, le Toulouse Game Show. J’affectionne particulièrement le Made In Asia qui se déroule en Belgique, c’est là que nous avons décidé d’annoncer le lancement des éditions Ofelbe et le public a été très réceptif.
Nous cherchons vraiment à respecter l’oeuvre et nous sommes de l’avis que c’est également ce que les fans attendent de nous.
Si je suis un fan français de light novels, où puis-je m’en procurer facilement à l’heure actuelle ?
Interforum, notre distributeur, est très performant et nous avons la chance d’être présent dans plusieurs types de magasins. Nos meilleures ventes se font bien entendu en FNAC et dans les magasins Cultura. A ce propos, je tiens à préciser que nous avons demandé à figurer au rayon jeunesse et pas dans celui des mangas, afin de permettre à des non-amateurs de genre de pouvoir s’y frotter. Nous existons également dans des librairies spécialisées comme Komikku, le Mangacafé ou encore Junku, mais nous privilégions actuellement les mises en avant dans les FNAC et les médias non spécialisés afin d’élargir notre public au maximum.
A propos de médias, quel est le rôle des réseaux sociaux dans votre communication ? Est-il un outil privilégié compte-tenu de votre cible ?
C’est presque un euphémisme de dire qu’ils sont au coeur de notre communication. Le lancement d’Ofelbe s’est fait grâce à eux, nous avons tout misé sur le buzz que pourrait créer une rumeur. Pendant un salon dédié à la littérature japonaise en Belgique, nous avons simplement déposé une bâche annonçant la sortie prochaine de Sword Art Online en version light novel. Et nous avons laissé les choses se faire d’elles-mêmes ! Quelques jours plus tard, la rumeur s’était amplifiée, les fans cherchaient à savoir s’il s’agissait d’une fausse information. C’est là que nous avons lancé la page Facebook de la maison, avant même de penser au site. Immédiatement, la page a rassemblé tous les fans de la série, ravis de voir que ce lancement n’était pas une plaisanterie. Nous sommes nés sur les réseaux sociaux et c’est aujourd’hui là que nous communiquons le plus. Le site a davantage vocation à rediriger les professionnels en demande de contact et de faire le point sur les licences en cours de publication. Il n’est pas du tout notre priorité.
Parlons un peu de Sword Art Online, la licence de votre lancement. Pourquoi votre choix s’est-il porté sur cette dernière ?
Sword Art Online est la série à l’origine du boom des light novels au Japon. Lors de sa sortie en 2012, il était l’animé le plus vu de ces dix dernières années. Éminemment populaire, la série a fait parler d’elle jusqu’en France. C’était donc un choix évident pour nous qui cherchions à implanter le genre en France. De plus, nous voulions lancer notre maison avec un titre fort, qui permettrait par la suite d’en publier des moins connus, et donc d’asseoir notre légitimité dans le secteur. En un mot, Sword Art Online était la licence parfaite pour un lancement.
Rapidement, l’histoire est celle d’un groupe de joueurs de jeux vidéo, appelés à testés un nouveau MMORPG (jeu de rôle en ligne massivement multi joueur) en réalité augmentée. Une fois à l’intérieur du jeu, ces derniers s’aperçoivent qu’ils sont prisonniers et forcés de terminer le jeu pour en sortir, sachant que leur mort dans le jeu déclenche automatiquement leur mort physique. Le light novel relate le parcours de Kirito, un joueur solitaire bien déterminé à terminer le jeu en solo, jusqu’à sa rencontre avec Asuna qui va bouleverser ses convictions et bousculer ses tendances misanthropes. Bref, ce roman combine action, aventure, fantaisie et même une pointe de romance et permet par conséquent de viser un public très large. Par-delà l’aspect fantastique de l’aventure c’est surtout les nombreuses questions qu’il soulève quant aux possibilités futures qu’offre la réalité augmentée qui en fait tout l’intérêt. Ce sujet concerne tout le monde aujourd’hui. Sword Art Online permet le glissement tant recherché de l’univers manga vers le grand public, comme a pu le faire Dragon Ball par le passé. Voilà pourquoi nous avons choisi de commencer par cette licence.
En un mot, Sword Art Online était la licence parfaite pour un lancement.
J’imagine qu’il y a des genres différents / des sous-genres dans le light novel, comme dans le roman ou le manga. Souhaitez-vous vous concentrer sur un seul genre avec Ofelbe ou vous élargir avec le temps ?
Il existe effectivement tous types de light novel, de l’épistolaire au théâtral. Avec l’équipe, nous affectionnons particulièrement le genre fantastique mais il s’agit également du genre le plus populaire en France et c’est pour cela que nos trois premières licences sont de ce genre là. Je suis de l’avis que le regard japonais sur la fantasy est très intéressant pour un occidental, ça jure avec ce que nous avons l’habitude de lire. L’éclairage est vraiment captivant et en particulier sur ce genre-ci. C’est également un genre sur-représenté au Japon et c’est par conséquent celui parmi lequel on peut trouver les meilleurs titres.
Concernant notre ligne éditoriale, nous sommes ouverts à tout et prêt à aller là où les tendances nous entraîneront. Pour le moment, nous recevons des dizaines de demandes par jour, des demandes de fans qui nous réclament directement ce qu’ils souhaiteraient voir édité et évidemment, cela oriente énormément nos choix éditoriaux. Nous sommes prêts à publier d’autres genres, mais nous avons surtout souhaité commencer par le genre fantastique pour les raisons que je viens d’évoquer. Ce qui est certain en revanche, c’est que nous resterons dans le young adult.