Les Ganuchaud, une famille au service du patrimoine – II : le Fils

Par Artetvia

Il y a quelques mois, Artetvia vous proposait en entretien avec Marc Ganuchaud, architecte du patrimoine, qui nous a présenté de manière vivante et vraie son métier, notamment au service de la ville de Saumur, qui compte près de 50 monuments historiques. Aujourd’hui, nous rencontrons Joachim Ganuchaud, son fils, architecte lui aussi, qui évoquera d’autres aspects, non moins intéressants, du métier.

Bonjour Joachim, comment ta vocation d’architecte t’est-elle venue ? J’imagine que ta famille n’y est pas étrangère…

Il faut l’avouer, j’ai indéniablement été influencé par mon père et mon grand-père. Cela dit, le choix de la carrière d’architecte n’est pas venu d’eux, mais de moi ! Il est vrai que très tôt, j’ai été confronté à la « réalité » de l’architecture. Pour moi, ce n’était pas un mot abstrait vide de sens : c’était d’abord la table à dessins, les innombrables stylos, les maquettes, les photos qui encombraient le bureau de mon père. Ensuite, ce sont les chantiers, que je partais visiter avec lui ; cela me plaisait beaucoup. Et puis, j’ai vu de mes yeux la construction d’une maison : celle de notre famille. A partir d’une ruine très ancienne, nous avons reconstruit une belle bâtisse, bien agencée, pratique et très belle à la fois. Cela m’a beaucoup marqué ! Pour moi, observer qu’à partir d’une idée et différents matériaux (sable, bois métal, pierre) que l’on assemble, on peut réaliser une construction habitable, a toujours été fascinant. L’architecture c’est cela : on imagine un concept, on le mûrit doucement, on le dessine (deux dimensions), on construit une maquette (trois dimensions) et enfin on construit le bâtiment. Outre l’aspect programmatique, c’est avant tout une question de forme et de structure, le reste (matériaux, couleurs, textures, etc.) viendra ensuite.

Ce n’est pas tout de vouloir faire ce métier, encore faut-il le pouvoir !

J’ai commencé très jeune, en construisant des Lego et des cabanes dans les arbres ! Plus sérieusement, j’ai passé l’option arts plastiques au bac avec une thématique sur le patrimoine en péril. Ensuite, je suis entré à l’école d’architecture de Nantes. En 5ème année (sur les 6 ans d’études), je suis parti à Hambourg, en Allemagne.

Avant le passage de l’architecte… (cliquez sur les photos, cela rend mieux)

...après

Pourquoi Hambourg ?

L’école de Nantes est réputée, mais reste très conceptuelle. A l’occasion d’un échange entre mon école et celle d’Hambourg, organisé en 4ème année, j’ai pu découvrir une autre facette et une autre approche de la formation au métier d’architecte. Et j’ai trouvé cela génial. J’ai donc décidé de passer une année complète en Allemagne et d’y faire mon stage de fin d’étude. Là-bas, un peu comme à Nantes, mais en beaucoup plus grand, nous avions un terrain d’expérimentation « grandeur nature », avec la réhabilitation des friches portuaires. J’ai beaucoup appris, notamment l’importance des détails et l’urbanisme. Cela m’a bien servi par la suite. En effet, c’est bien d’avoir un excellent concept, mais le diable et la qualité d’un dossier se niche dans les détails ! Nous vendons de la réalité, pas un simple plan.

Diplômé en 2003, j’ai rejoint l’agence de Pascal Prunet, architecte en chef des Monuments Historiques.

Un nouveau domaine…

Oui et non. Par exemple, à Nantes, j’avais suivi un séminaire organisé sur ce thème : nous étions très peu nombreux. Rétrospectivement, je me rends compte que c’est assez affolant : dans le cursus commun, il y avait très peu d’histoire de l’architecture. Cela paraît impensable et pourtant, c’est vrai : on inculque aux élèves un amas considérables de notions, sans savoir d’où elles viennent. Sans racines, on risque de faire n’importe quoi !

Pour parfaire ma formation, en plus de mon travail à l’agence Prunet, j’ai suivi l’école de Chaillot qui m’a donné le titre d’architecte du patrimoine.

Cela m’a permis de me confronter au terrain en connaissance de cause, les cours de l’école de Chaillot étant la « théorie », le travail à l’agence, la « pratique ». Le travail était passionnant : établissements de relevés – c’est-à-dire, l’ensemble des mesures d’un bâtiment – et d’état sanitaire (noter tout ce qui est dégradé), études historiques, structuration de Projets Architecturaux Techniques pour validation par un inspecteur de la commission des Monuments Historiques….

J’ai eu la chance d’intervenir sur des projets très intéressants : les remparts de Guérande, le château d’Apremont, la flèche de l’église Saint-Nicolas de Nantes, reconstruite par mon grand-père dans les années 1950, le château de Tiffauges…

Et maintenant ?

Depuis quelques années, je travaille quasi uniquement pour la réhabilitation d’immeubles parisiens. Cela permet d’allier les aspects patrimoniaux et la créativité de l’architecture actuelle. De nouveaux aspects sont apparus, moins prégnants dans les dossiers de Monuments Historiques : les délais, la gestion des entreprises du bâtiment, les permis de construire, la réglementation, le travail avec d’autres corps de métier comme les paysagistes…

Actuellement, je commence un chantier de réhabilitation lourde de plus de 20 000 m2, avec un bâti très hétérogène (des bâtiments du XIXe siècle, d’autres des années 1950) : le défi est de trouver de l’homogénéité là-dedans pour obtenir un ensemble architectural cohérent. C’est passionnant !

Avant

Après

Parlons un peu de la règlementation, est-ce contraignant ?

Oui, il faut le reconnaître. Et de plus en plus. Les normes handicapés, les normes de sécurité, les normes de développement durable… C’est une réelle contrainte, mais il faut être malin et ne pas se laisser accaparer. Au final, je me rends compte que cela ne bride pas trop l’imagination et la créativité, peut-être que cela me pousse à être encore plus créatif ! Et je citerai là le grand architecte André Bruyère qui disait que « l’Architecture, c’est mouler une tendresse sur une contrainte »

Plus de dix ans après tes débuts, quel regard portes-tu sur le métier ?

Cela me fascine toujours, heureusement. C’est un métier très complet : c’est à la fois conceptuel, créatif et aussi très concret. L’esthétique, quoiqu’on en dise est toujours essentielle dans un projet architectural. Après, au contact de mes prédécesseurs, j’ai appris la rigueur de la réflexion… et de la pratique. C’est bien d’avoir de belles idées, mais il faut être précis et rigoureux, sinon, c’est fumeux. Après, l’architecte ne peut pas tout : si le maître d’ouvrage tire vers le bas, avec toute la bonne volonté du monde, il sera difficile à l’architecte de créer un bâtiment de qualité.

L’éternelle question est vraiment : que va-t-on laisser aux générations suivantes ? L’architecture a ceci de particulier qu’elle est un art dont les œuvres durent, très longtemps parfois, donc autant ne pas se tromper et bien faire !

Merci Joachim !