Erwan Rambourg, ancien du marketing chez LVMH et Cartier et analyste financier chez HSBC a sorti en Septembre 2014 The Bling Dynasty: Why the Reign of Chinese Luxury Shoppers Has Only Just Begun, un ouvrage qui explique pourquoi, contrairement a ce que clame la presse et certains patrons du secteur, la consommation chinoise des produits de luxe n'est pas en déclin et sera rapidement dominante.
Darkplanneur : « Quelle est l’idée qui se cache derrière votre titre « Bling Dynasty” ? »
Erwan Rambourg : « La dynastie Ming a dominé la Chine et construit, consolide la grande muraille (the Great Wall). La dynastie “Bling” est cette nouvelle génération chinoise qui vient à dominer la consommation de luxe (the Great Mall). Comme toute dynastie, il y a cette idée que ce n’est pas un contrôle éphémère. La consommation de luxe était essentiellement européenne il y a 20 ans, japonaise il y a 10 ans, elle est désormais influencée par les consommateurs chinois et bien que la presse pense que cette présence va diminuer a l’avenir sous l’influence de la campagne anti-corruption et l’émergence d’autres nationalités (indonésienne, brésilienne, nigériane etc), mon livre a pour finalité de démontrer que les chinois vont continuer à contrôler les destinées des sociétés de luxe sur les 10 ans à venir. »
D : « Vous diagnostiquez une ressemblance de plus en plus forte entre le client luxe chinois et américains, pouvez-vous nous l’expliquer ? »
ER : « Le client chinois devient “plus américain” dans son approche dans le sens où il est de plus en plus informe et a une approche qui change de “je veux acheter du luxe pour m’intégrer quel que soit le prix” il y a 10 ans a une approche beaucoup plus “value for money / je veux acheter au meilleur prix” plus typique de la consommation américaine. Les consommateurs de luxe américains quant à eux ont pour longtemps été plus frileux (sentiment de culpabilité suite aux événements du 11 septembre et a la crise financière post Lehman) et commencent à accepter plus facilement de dépenser plus sur les biens de consommation haut de gamme et dans ce sens deviennent plus “chinois” dans leur approche. L’influence de certaines minorités (hispaniques, américains d’origine asiatique) en termes de consommation de luxe aux Etats-Unis a été très positive et montre la voie pour l’ensemble du pays. »
D : « Quels sont les comportements de la jeunesse chinoise face au Luxe ? N’est-elle pas influencée par deux obsessions la « Value for Money » et l’expression de son individualisme » ?
ER : « L’approche “value for money” est assez récente et permet l’émergence, notamment sur la maroquinerie et accessoires ou les cosmétiques d’une série de nouvelles marques. Le voyage, les blogs et forums en ligne ont développé la connaissance d’un plus grand nombre de marques et alors qu’il y a 10 ans, les consommatrices chinoises connaissaient Louis Vuitton ou Gucci en sac a main, elles ont désormais la possibilité d’effectuer des arbitrages parmi plus d’une vingtaine de marques qu’elles connaissent. Cette plus grande connaissance permet une plus grande distinction même si les valeurs de confucianisme et l’esprit de groupe feront que les achats de nouvelles marque se feront avec une validation du regard de l’autre plutôt qu’avec un rapproche marginale / rebelle / trop originale.
D : « Quelles sont les marques de luxe/mode les plus désirables pour la jeunesse chinoise ? »
ER : « J’entends souvent que la consommatrice chinoise n’est pas fidèle, je pense en réalité que les changements de consommation et l’arbitrage d’une marque a une autre se font parce que les marques sont trop lentes à s’adapter à une clientèle beaucoup plus jeune qu’en Europe ou aux US, beaucoup plus connectée et du coup exigeante. Les marques de référence aujourd’hui peuvent être différentes demain. Pour les jeunes femmes qui commencent simplement à dépenser sur des produits premiums, les marques traditionnelles européennes sont désormais sous la pression de marques « lifestyle américaines » et d’autres propositions “value for money” en provenance de Corée. »
D : « Quel est l’impact des jeunes créateurs chinois sur cette jeunesse ? Ils revendiquent un fier « made in china », sont-ils entendus ? »
ER : « Peu de consommateurs chinois regardent les marques locales car dans la phase initiale du développement du luxe, ils recherchent des “role models”, une aspiration pour les marques étrangères qui sont plus établies. L’artisanat et les savoir-faire du luxe en Chine ont été mis à mal fin des années 1960 sous la politique de destruction des quatre vieilleries (“destroying the four olds”) pendant laquelle l’administration de Mao, dans le but de développer le pays pour la génération à venir, s’est attelé à éliminer les anciennes idées, habitudes, coutumes et éléments culturels. L’émergence des créateurs chinois est donc très lente dans la mesure ou ils doivent écrire leur histoire – alors que des Chanel, Dior, Saint Laurent et autres peuvent réinterpréter, adapter la leur. L’émergence de marques locales reste pour l’heure un épiphénomène mais à surveiller sur les 10 ans à venir car en effet après la découverte du monde, les chinois voudront sans doute découvrir leurs propres richesses et culture à nouveau. »
D : « Les internets chinois sont-ils dangereux pour la singularité des marques de luxe ? Quelle est la marque de luxe qui a mieux concilié digitalisation chinoise et protection de sa singularité ? »
ER : « C’est la vue de la plupart des marques de luxe un peu “old school” qui vont craindre le marketing digital ou la vente en ligne, pensant que cela peut endommager leur “brand equity” plutôt qu’espérer que cela favorise le recrutement de nouveaux consommateurs. Nike et Apple se sont engagés de manière très positive dans l’aventure digitale. En luxe, en dehors de Burberry, très peu ont investi suffisamment et transformer ce qui était perçu comme un problème pour en faire une opportunité. Burberry, du coup, sort du lot avec la jeune génération chinoise et a pu s’établir comme la seule marque britannique ayant une légitimité globale dans le luxe et avec un attrait lie aussi à l’association de la marque avec des groupes de musique rock alternatifs. »
D : « Vous pointez la désirabilité coréenne en Chine, quelles sont les marques premium/luxe coréennes à surveiller ? »
ER : « La vague coréenne (“Hallyu”) a démarré il y a plus de 15 ans avec l’émergence de la K-pop, les soap operas et les cosmétiques, trois sous-segments qui ont fascine culturellement la jeune génération chinoise depuis des années. Avant de se traduire en produit, la vague coréenne a été essentiellement une vague culturelle. En cosmétiques, les marques des groupes Amore Pacific et LG H&H sont parmi les plus belles réussites en Corée et en Chine. Ailleurs, nous assistons a l’émergence d’alternatives “value for money” en sac à main et accessoires (MCM, Couronne, Louis Quatorze et bien d’autres). Mais cela va au de la du luxe et premium avec le développement d’un attrait pour tout ce qui provient de la Corée (habillement, nourriture, musique…). »
D : « Hurun a classé Apple comme marque de Luxe la plus désirable en Chine, comment expliquer cette performance ? »
ER : « En effet, Apple est désormais une marque de luxe plus qu’un groupe de tech et cette marque est devenu le plus féroce concurrent de Louis Vuitton ou Cartier en capturant les plus beaux emplacements retail, en recrutant les meilleurs décideurs (dans le luxe et ailleurs) et en vendant du rêve bien plus que de la technologie. Les moyens financiers colossaux d’Apple et l’approche décomplexée en stratégie digitale par rapport à des marques luxe plus timorées a permis une transformation fondamentale de la perception de valeur des plus jeunes consommateurs. »
D : « Comment voyez-vous l’avenir du Luxe en Chine ? »
ER : « Même si récemment l’administration chinoise a commencé à mettre en place des mesures pour stimuler la consommation domestique (baisse des taxes à l’importation, à la consommation, développement du duty free domestique a Hainan…), je pense que la consommation de luxe chinoise se déroulera en dehors de Chine pour toute une série de raisons: prix plus modérés, voyages favorisant un état d’esprit plus adapte, validation sociale, plus grande confiance dans les produits achetés à l’étranger, plus grande confiance dans la connaissance des vendeurs au sein des marques et parfois plus grand assortiment produit. Ainsi les marques de luxe vont-elles probablement plus investir à l’étranger pour capter la clientèle chinoise (au Japan, en Corée, en Thaïlande, Australie ou aux US) qu’ouvrir en Chine. Les investissements en Chine viseront plus une plus grande diversification de l’experience en boutique plutôt qu’un plus grand nombre de points de vente. »