Comme le titre l’indique, c’est un recueil aérien. On pourrait entendre aussi un écho à la chanson de Dylan Blowin’ in the wind, mais il n’y a pas de « message » porté par les poèmes sinon celui d’un accord profond avec la vie. Il reste des difficultés, des zones d’ombre, « des grosses questions (qui) ont fait trembler notre sol / ce printemps, et jusqu’aux fondations » (p69), ou bien « sur le trottoir, un homme assis / (qui) passe les heures de sa journée à / mourir lentement » (p26). Mais cela demeure en arrière-plan, dépassé par un élan qui emporte grâce à la relation amoureuse et au rapport avec la nature.
Dans ce recueil, la poésie tient de la fleur des champs et de l’herbe folle, de la danse et de la joie malgré tout, mais sa légèreté n’est pas si facile à analyser, comme toute poésie « simple », pour autant que la poésie puisse l’être. Le poème est construit par éclats, juxtaposition de détails, collage de micro-scènes, avec un élément unifiant souvent donné au début ou en chute. Les sensations sont très présentes, précises : « les cerises tombent sur la table avec un bruit / de petit animal mort » (p62). Et chaque détail, s’il participe à l’ensemble, conserve son autonomie. Ceci donne au poème entier, dont la longueur ne dépasse pas la page, une allure de mobile ou d’envol de papillons. On pourrait penser à Eluard pour cette façon de donner un axe très lisible, et laisser graviter autour des éléments moins directement saisissables. Mais l’image chez Albane Gellé n’a rien de surréaliste, même si la rêverie peut être présente. Il s’agit plutôt d’éléments extraits de la vie quotidienne, personnelle ou familiale, rendus elliptiques parce que tronqués, sortis de leur contexte explicatif et apparemment sans lien les uns avec les autres. Un peu comme s’il n’était pas nécessaire d’en dire plus, ce qui est une des marques de l’écriture « intime ». Pour s’y retrouver, l’auteur n’a pas besoin de développer davantage, mais du coup le lecteur ressent une curieuse impression de proximité et d’étrangeté à la fois, puisqu’il n’a pas les clés, les circonstances, le cadre et les références. Pour donner un exemple court, ce poème page 57 : « un tournesol en tour Eiffel sur un espace / photographique, parmi des pierres / à la mémoire claire et certaine, / nous sillonnons des routes désertes, / des horizons tous les cent mètres, / un chien souriant mange des boules vertes, bleues, / rouges, on ramènera le cochonnet / ainsi qu’un très très petit chat / quelque chose dans nos voix / chante ». Le début désoriente: une image, une photo, une carte postale… ? « nous sillonnons » semble renvoyer ensuite à des promenades (réelles, rêvées à partir de l’image ?). Puis on a un moment précis avec le chien qui joue et bouleverse le jeu de pétanque avec boules en plastique multicolores. « on ramènera » : fin de la promenade, des vacances, du livre illustré pour enfants… avec un chaton perdu adopté au passage ? Les deux derniers vers bouclent et ramènent au bonheur familial. On voit qu’il n’y a pas cryptage ou hermétisme délibéré, mais seulement travail d’ellipse et juxtaposition rapide d’images ou d’événements qui forment comme une suite sans enchaînement. Mais la chute rassemble le tout en une image de vie heureuse. Poésie « simple ».
A la différence de livres précédents comme Je te nous aime (alternance des pronoms personnels) ou Si je suis de ce monde (leitmotiv de « Tenir (…) debout »), il n’y a pas ici de dispositif formel repris et constituant chaque poème en une variation à partir d’un cadre qui sous-tend tout le livre. Souffler sur le vent est un recueil de poèmes libres en vers libres : l’auteure joue aussi bien de la coupe du vers que de l’enjambement, les séquences du poème peuvent être liées ou séparées par des blancs, la ponctuation est absente sauf la virgule et le point d’interrogation si nécessaires, le travail sur les sonorités est sensible mais jamais appuyé ou mis en valeur pour lui-même… L’ensemble donne cette impression d’une écriture naturelle, sans recherche d’effets, qui correspond bien au projet annoncé dans l’avant-propos : « Je continue à tisser les sens avec les sons, à tendre étendre mes chantiers, à inventer, jusqu’à de nouvelles questions. Traduire ce qui arrive en face, ou des bas-côtés, aimer des poèmes-territoires, aimer, rien d’autre. »(p9).
Antoine Emaz
Albane Gellé, Souffler sur le vent,, Editions La Dragonne, 80 pages, 13,50€