10 sept 2015 - 3 janv 2016
Intro : Thierry Raspail, Directeur artistique
J'ai souhaité placer cette 13 e édition de la Biennale de Lyon sous le signe de Moderne. C'est avec ce mot que j'ai invité Ralph Rugoff à assurer le commissariat de La vie moderne, qui donne son titre à la Biennale, et qui se tient à la Sucrière, au mac LYON et dans la salle 15 du Musée des Confluences. C'est également avec ce mot que j'ai choisi d'élargir la Biennale à trois autres expositions : Ce fabuleux monde moderne, Rendez-vous 15, et Anish Kapoor chez Le Corbusier. Deux plateformes complètent la nébuleuse 2015 : Veduta, l'école de l'amateur, qui rayonne sur la métropole, et Résonance, vers laquelle converge le meilleur de la création Rhône-Alpes et internationale. Moderne et la modernité ont évidemment une histoire trop longue pour que j'essaie d'en rappeler ici tous les épisodes. En revanche, " le retour du moderne ", à la fois inédit et inattendu, mérite que l'on s'y arrête quelques instants.
Tout d'abord, il faut dire que pour les historiens d'aujourd'hui, Moderne désigne aussi bien la période néolithique que l'âge du bronze, avant son effondrement soudain il y a un peu plus de trois mille ans. Mais Moderne apparaît clairement en Occident, et en France en particulier, avec la fameuse querelle des Anciens et des Modernes autour de la personnalité de Charles Perrault en 1684. Elle correspond à la découverte simultanée de l'histoire grecque d'une part, et de civilisations prestigieuses jusque-là ignorées par l'Occident d'autre part : la Chine, le Japon, l'Asie du Sud-Est, le sous-continent indien, le Mexique, le Pérou... C'est à cette époque qu'apparaît le mythe du bon sauvage, qui dialogue avec les meilleurs esprits du temps. Et c'est déjà une troisième mondialisation ! Depuis cette époque, nous avons inventé la Nation et l'Universel, c'est-à-dire simultanément la frontière et l'absence de frontière ; puis nous avons créé leurs avatars funestes : le colonialisme et l'orientalisme. Le colonialisme a cherché par tous les moyens à produire du semblable en imposant par la force ses valeurs à l'" Autre ", tandis que l'orientalisme a cherché le moyen de produire de la différence irréductible en imposant à un Semblable des valeurs qui le métamorphoseraient en " Autre ". Dans les deux cas, l'" Autre " est un subalterne et l'invention est occidentale. La parabole Moderne a été ensuite revue, corrigée et élargie par de nombreux auteurs, poètes et artistes parmi lesquels Baudelaire, pour qui "il faut être absolument moderne", Walter Benjamin, Charlie Chaplin, Jacques Tati... Dans les arts plastiques, Moderne est radicalement actualisé dans les années 1950/1960 par l'historien et critique d'art Clément Greenberg aux États-Unis. Il en donne une interprétation dictatoriale et formaliste en imposant à l'art de se conformer à son " essence ", la planéité pour la peinture, le volume pour la sculpture. Cette quête d'une pureté absolue exclut la plupart des artistes Modernes de l'époque qui contestent cette conception étroite. Le débat se prolonge jusqu'en Europe et dure trente ans. Lire la suite...