« C’est devenu ça, cette gauche qui l’a enthousiasmé, plus jeune. D’une part, ceux qui ont gardé une condescendance justifiée par l’exotisme : qu’on laisse les basanés s’épanouir entre le tapis de prière et trois sourates, ça suffira à leur intellect. Et, en face, ceux qui s’approprient la laïcité pour sommer les fils d’immigrés d’être les plus zélés des renégats, toujours prêts à se désolidariser de leurs semblables afin de gagner la médaille de l’intégré exemplaire. La docilité, de part et d’autre, c’est ce qu’on attend de l’Arabe – qu’il se soumette à la barbarie des siens ou à la violence de l’Etat français, peu importe, pourvu qu’il renonce à sa dignité pleine. Et derrière l’Arabe, c’est le précaire qu’on vise : ce que ses collègues de gauche réclament, au fond, c’est que le plus démuni apprenne à souffrir en silence. »
J'ai terminé le tome 2, présenté en cours de lecture dans le précédent billet.
« Il a aimé ce pays, à la folie. Son école, ses rues propres, son réseau ferroviaire, son orthographe impossible, ses vignobles, ses philosophes, sa littérature et ses institutions. Mais autour de lui, les Français n’habitent plus la France qui l’a enchanté. Ils souffrent. (...) Quand ça a commencé, quand il a entendu les Français s’en prendre aux immigrés au son d’un tonitruant « pinard et saucisson », il a fait comme tant d’autres : il a préféré feindre ne pas comprendre. Tout était dit, pourtant : voilà l’idée qu’ils se faisaient du pays des droits de l’homme. Du vin et de la cochonnaille. Tel est leur grand programme culturel. Même de la droite, on attendait autre chose. »
Virginie Despentes ne s'est pas laissée enfermer dans ce qui aurait dû être logiquement l'agonie sociale d'un SDF, son principal personnage.
«les keufs ont ramassé et interrogé tous les zonards du parc, un par un. Quelques sans-papiers ont réussi à s’éclipser, mais ça leur faisait quand même du monde, au commissariat. Olga se demandait, à voix haute, combien ça coûte à l’Etat, de les faire chier comme ça. Ils n’auraient pas plus vite fait de les loger quelque part ? »
Au contraire, l'histoire ne s'achève pas dans le pathos, elle décolle. Probablement parce que l'auteure met en scène des personnages crédibles, d'âges, de milieux et de parcours différents qui deviennent comme aimantés par Vernon Subutex qui a établi ses quartiers d'été aux Buttes-Chaumont....
« C’est une règle : on ne laisse pas les précaires se rassembler au même endroit trop longtemps. On a trop la trouille que ces cons se trouvent une grande gueule pour les diriger vers le supermarché le plus proche – pillages, manifestations. Le jour où les démunis se mettront à attaquer les commerces, l’armée n’aura plus qu’à sortir les chars. Ils sont tellement nombreux, à mendier. Alors on évite les rassemblements. »
Comme toujours au détours d'une page, l'auteur écrit un paragraphe en forme de message bien senti...
« Il faut être bête comme un trou du cul bouché de merde séchée pour frayer avec l’extrême droite, quand on est un prolo, comme lui. Elle ne risque pas de le plaindre. Les gens comme elle, oui, elle peut comprendre qu’ils trouvent leur intérêt dans la poussée de l’extrême droite. Beaucoup se placent à des postes mirifiques, qu’il leur aurait fallu attendre des années sans cette opportunité. Ils devraient réussir à s’exonérer d’impôts plus confortablement, le jour où on pourra fusiller les responsables syndicaux en les accusant de terrorisme. Mais un minable comme Loïc, il attendait quoi ? Une place dans la milice ? »
A lire avant la sortie du 3ème tome...