La voix de l'IndeVers une politique du Sudpar Rajni Kothari
Rajni Kothari 1928-2015
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Cette situation a engendré des tensions sociales sévères et des confrontations entre couches sociales, identités régionales et ethnies, ce qui a fait naître dans plusieurspays un fondamentalisme qui appelle à une réjection mondiale en bloc de la vision séculaire mondiale en place.
On espérait dans les pays du Sud que la lutte de nombreux pays pour leur ndépendance, qui avait souvent été accompagnée de soulèvements nationalistes et d'une renaissance culturelle, souhaitant ainsi faire leur entrée dans le monde moderne d'une façon authentique et créative, les rendrait capable de trouver des chemins nouveaux vers le "progrès". Cet espoir aussi a été démenti et la condition de ces pays est devenue de plus en plus dépendante des centres de domination mondiaux. Cet état de dépendance est, d'une certaine manière, bien pire que la colonisation. Et en plus, ce qui peut sembler paradoxal, c'est un état de dépendancequi devient plus réel avec l'augmentation d'aide économique, technologique et desoutien destinés à aider de développement des pays soi disant sous-développés actuellement, et depuis plusieurs années, on conseille à ces pays de s'intégrer àl'économie mondiale, de devenir compétitifs à l'échelle internationale et, pour accomplir ceci, de s'adresser aux largesses que peuvent leur offrir les multinationales.
C'est un jeu cruel à l'égard des pays et des cultures qui naguère encore s'efforçaient de transposer la liberté politique en suffisance économique et en autonomieculturelle afin de n'être plus lié avec les structures globales du capitalisme international. Une excessive importance donné aux relations Nord-Sud ont fourni une échappatoire aux élites du Tiers Monde qui peuvent faire des discours éloquents à des tribunes internationales alors qu’ils subissent dans leur pays exploitation et répression.
Un autre défaut important dans la manière de penser les problèmes du Sud c'est unepréoccupation presque exclusive des régimes du Tiers Monde plutôt que du peuple, de la société civile ou des communautés. Bien des discussions sur le développement et sur d'autres problèmes tels que l'environnement, la paix et les droits de l'homme sont restés extérieurs à la politique parce qu'on a exagéré le rôle des gouvernements comme s'ils étaient les principaux acteurs sur l'arène internationale. Cela fut même la manière de penser d'intellectuels et d'hommes d'Etat, convaincusde la nécessité de découvrir des stratégies alternatives pour le développement et pour créer un monde juste et plus équitable.
Ceci est particulièrement vrai des penseurs occidentaux s'occupant des problèmes du Sud dans son affrontement avec le, Nord, qu'on le veuille ou non, leurs efforts qui dans des colloques internationaux s'efforcent de défendre le Tiers Monde, comportent parfois la défense d'intérêts éminemment élitistes et oppressifs dans leur pays, si bien que la promotion de la démocratie et des droits de l'homme pose des problèmes gênants. Ceci -disons le en passant- est une des principalesraisons pour lesquelles des groupes d'oppositions dans le Sud considèrent le mouvement global pour un développement alternatif trop abstrait et trop élitiste.
Dans toutes les discussions sur la situation des peuples du Sud et sur le rôle du Nord on a prêté trop peu d'attention au véritable impact des modèles de modernisation technologique en particulier sur l'obsession de la technologieet de l'idéologie des privatisations au cours des années 80. Gandhi était ainsicomplètement oublié et c'est seulement maintenant que ses avertissements contre l'obsession technologique de l'esprit moderne refont surface. Mais il est peut-être trop tard.
La plupart des critiques des stratégies du développement qui ont été jusqu'ici avancées soit dans la variante marxiste soit dans sa variante écologique sontenracinées dans une conception de la modernité et du développement tel quele conçoit l'Occident. Nul n'a été capable de s'accrocher au phénomène d'exclusion systématique de millions de gens dans le monde pour une bonne part parce qu'ils pensaient au développement comme quelque chose qui doit être réalisé par les élites plutôt que par les peuples eux mêmes. S'ils avaient centré leur réflexionsur cet aspect, ils auraient accordé la priorité non pas à la technologie mais à la politique et aux transformations sociales qui en découlent.
Ceci ne peut être fait que si l'on résiste à la tentation de l'idéologie de la privatisation et de la globalisation de l'économie par des transferts de capitauxet de technologie.
Ainsi s'accentuent les divisions dans le Sud parce qu'il se crée un "Nord" dans le Sud. Le problème n'est pas de rendre le Nord plus compréhensif et plus généreux. Notre tâche est plutôt d'ouvrir une voie différente en réaffirmant la nécessité de briser notre liaison avec le marché mondial.
C'est seulement en adoptant une voie plus autonome et démocratique que ces pays seront capables d'agir collectivement et ainsi être en mesure de reprendre le dialogue Nord-Sud. Ce dialogue n'a même pas encore commencé et il ne lesera pas tant que ce ne sera pas un dialogue avec le peuple. D'abord avec lespeuples du Sud ensuite entre le Sud et le Nord.
Revue « A contre-nuit », n°8, mars-avril 2000, pages 19 à 21