En mars 2011, je m’étais moqué des capacités exceptionnelles d’Alain Juppé. Déjà maire de la ville de Bordeaux, municipalité d’une importance certaine, il venait d’accepter le poste de ministre des Affaires étrangères. Il avait sans doute considéré qu’il pouvait faire face aux tâches requises par ces deux fonctions en leur consacrant 200% de son temps. Mon expérience professionnelle m’a démontré que, si l’on pouvait effectuer une semaine de 35 heures en trois jours, il n’était par contre pas possible pour un être humain de travailler au-delà de 100% de son temps.
Nous allons assister, dans des proportions moindres, à un nouveau miracle temporel. Myriam El Khomri, secrétaire d’État en charge de la Politique de la Ville, vient d’être nommée ministre du Travail. Elle n’a pas eu l’occasion de marquer de son empreinte son passage à ce secrétariat, en butte à l’opposition du premier ministre. Mais on est tenté de penser que sa charge de travail ne devait pas être considérable puisqu’elle peut être reportée sans difficulté sur Patrick Kanner, déjà à la tête du ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. Inversement, on peut considérer que Patrick Kanner ne devait pas être outrageusement chargé puisqu’on juge possible de lui ajouter les responsabilités de sa secrétaire d'État. Si l’on accroît ainsi son poids politique face à son adversaire lilloise, il est à craindre que, privé de l’aide de sa secrétaire d’État, il ne puisse exercer ses responsabilités avec toute la disponibilité requise, occupé qu’il est à guerroyer contre précisément Martine Aubry.
On peut observer que la formule de replâtrage choisie semble surtout destinée à éviter d’avoir à choisir entre les différents camps désireux d’obtenir un nouveau ministère. La promotion de madame Khomri depuis un poste plus mineur conforte l’idée selon laquelle l’essentiel de l’activité du ministre du Travail réside dans l’annonce des statistiques mensuelles du chômage. Cette nomination peut aussi être vue comme un double coup de chapeau, aux minorités visibles d’une part et à l’égalité entre homme et femme d’autre part. Comme je l’avais entendu il y a trente ans aux États-Unis après la nomination d’une femme noire à un poste important dans mon entreprise : « si elle était unijambiste, elle serait déjà présidente ! » Je me dois cependant de préciser qu’absolument rien ne me permet de prouver la validité de l’une quelconque des hypothèses émises ici.