Voici le texte d'une recension réalisée à la demande de la revue Paysans, à laquelle je collabore depuis peu.
On ne naît pas psychanalyste, on le devient ; tel pourrait être le leitmotiv de ce livre à la forme atypique qui paraît à l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Françoise Dolto. L’occasion de revenir sur un héritage aujourd’hui controversé, et sur une vocation révolutionnaire.
Comment devient-on psychanalyste ? Et plus loin, comment devient-on psychanalyste pour enfants ? Si c’est bien le fait de réaliser sa propre analyse qui forme l’analyste, on peut supposer que c’est l’enfance de Françoise Dolto qui a déterminé sa vocation : « docteur d’éducation » déclarait-elle vouloir être, toute enfant. Et le parti pris de narration de Sophie Chérer – elle-même auteur pour enfant - prend l’enfance comme fil directeur, agrégeant autant de chapitres biographiques nourris de lettres, de souvenirs de Françoise Dolto, que de passages à proprement parler autobiographiques, et de récits d’analyses d’enfants réalisées par la grande psychanalyste. Un ensemble parfois un peu lâche, mais très accessible, dont les récits au style direct et simple qui portent une même certitude : ce qui est en jeu, c’est une éclosion, la mise au jour de forces de vie retenues par un barrage de non-dits ou de mensonges qui empêchent la personne qu’est l’enfant de vivre en cohérence avec le monde qui l’entoure.
Françoise Dolto le sait depuis son enfance : les enfants comprennent tout. Tout, et surtout ce qu’on voudrait leur cacher ! C’est pourquoi, dès les années 40, elle se consacre à la « cause des enfants », proposant aux adultes une révolution fondamentale dans leurs conceptions de l’éducation. Et les plaçant par la même occasion dans une délicate position. Après Dolto, il va falloir apprendre à équilibrer la délicate balance de la compréhension des enfants avec le poids encombrant de l’autorité des adultes. Au risque de l’évacuer tout à fait. Apprendre à considérer l’enfant comme une personne à part entière, en conscience, mais une personne en puissance, dont les forces de vie et de mort ne sont pas encore canalisées. Prendre au sérieux l’enfant et maintenir, face à lui, l’adulte.
La grande force de Françoise Dolto, telle que la donne à voir Sophie Chérer, est d’avoir senti battre ses blessures d’enfants, failles originelles de l’empathie et de l’analyse, au sein de sa vie d’adulte et de femme. Le prisme narratif de ce livre, classé non en biographie, non en sciences humaines, mais en littérature, permet d’entrer dans une connaissance intime de son héroïne et dans une compréhension vivante de la pyschanalyse. Sans échapper au risque hagiographique, dont les récits de guérison parfois miraculeuses sont porteurs, et à un certain didactisme un peu naïf mais non dépourvu de bon sens, qui nous rappelle combien nos vérités viennent de nos cœurs d’enfants.
Sophie Chérer, Ma Dolto, Paris, éd. Stock, 2008, 303 p., 19 €.