Emily

Publié le 03 septembre 2015 par Mentalo @lafillementalo

Il y avait un mélange d’appréhension et d’excitation  chez Emily en cette veille de rentrée. Ses premiers pas au lycée. Chez les grands. Elle avait beaucoup attendu ce moment. Un saut dans l’inconnu. Comme tant d’autres, elle avait préparé soigneusement sa tenue la veille. Des vêtements dans lesquels elle se sentirait jolie. Une jupe, parce qu’il faisait chaud. Des sandales, aussi, elle avait de jolis pieds, et les ongles parfaitement peints de rose vif.

Emily avait toujours eu le contact facile. Son joli minois et sa ligne élancée, ses longs cheveux blonds y étaient sans doute pour quelque chose, bien sûr. Mais elle était avant tout d’un naturel souriant, et dès les premières heures, elle était entourée de nombreux lycéens tout frais, comme elle. On faisait connaissance, on frimait un peu en ce premier jour. C’était un lycée de petite ville de province, souvent les élèves venaient de loin, dans la campagne. Beaucoup d’entre eux portaient un jeans, depuis quelques années déjà, les audacieuses qui se risquaient à porter une jupe se voyaient qualifier de putes par leurs camarades du même âge. Alors on portait des jeans, et des baskets, résignées.

C’était un jour ordinaire, dans un lycée ordinaire de province. Le soleil brillait.  Emily était jolie et fraîche comme une jeune fille de quinze ans. Mais ce jour-là, en guise de bienvenue, on traita la jolie Emily de pute à cause de ses talons, on lui conseilla de rentrer chez elle se changer, de se suicider, on la harcela sur les réseaux sociaux, créant même un hashtag rien que pour déverser sa haine par centaines d’anonymes dès le premier jour de lycée, sans la connaître, sans même l’avoir vue souvent.

C’était un jour ordinaire, dans un lycée ordinaire de province. Pas dans le métro parisien hélas, où le choeur des féministes se révolte contre les mains baladeuses et les insultes auxquelles on ne répond même plus, blasées. Dans une campagne oubliée, où le féminisme, c’est surtout d’apprendre à nos gosses, au quotidien, sur le coin de la table de la cuisine,  à se respecter  les uns les autres quel que soit leur genre ou leurs vêtements.  C’était un jour ordinaire dans la vie d’une jeune fille de quinze ans ordinaire. Ou du moins, ça aurait dû l’être.