Enseigner c’est transmettre. Cela ne peut se faire que grâce à une langue commune qui permet les interactions entre le professeur et l’élève. Ce postulat de départ souligne la nécessaire présence d’interprètes F-LSF durant les parcours scolaires des jeunes sourds, pour que chacun puisse s’exprimer dans la langue de son choix (français oral ou écrit, langue des signes française – LSF) et être compris de l’autre.
Il convient cependant de relativiser cette première assertion. En effet, il n’est pas certain qu’il faille, dès l’école maternelle ou primaire, mettre des interprètes F-LSF dans une classe. De nombreuses études en sciences de l’éducation montrent que la langue des signes, si elle est donnée à voir et si elle est enseignée dès le plus jeune âge, ne va réellement s’acquérir, se construire et être correctement structurée que vers l’âge de dix ou douze ans. À condition, bien sur qu’on mette l’enfant, dès ses premières années, dans une situation adéquate, c’est à dire avec ses pairs (des référents sourds par exemple) qui ont une excellente maîtrise de la langue des signes, et qui assurent un enseignement direct dans la classe. C’est pourquoi il est sans doute préférable que la priorité soit donnée, dans ces premières années de scolarisation, à la présence d’enseignants sourds ou entendants – mais très bons signeurs – et formés à la pédagogie adaptée aux enfants sourds ou malentendants.
En revanche, la présence d’interprètes en langue des signes en secondaire et à l’université se justifie même s’il serait préférable qu’il y ait aussi des cours en direct avec des professeurs signeurs car c’est moins fatiguant à réceptionner et cela permettrait un échange plus naturel, plus réel.
Malheureusement ces professeurs sont rares dans le supérieur car l’Education Nationale dans son organisation ne permet que difficilement aux sourds de suivre une scolarité « normale » et d’obtenir des diplômes permettant l’enseignement, d’où le manque de professeurs sourds… Bref c’est le chat qui se mord la queue.
L’interprète en milieu scolaire ne traduit pas que des cours. Il traduira aussi des réunions pédagogiques, des conseils de classe (si des élèves sourds sont, par exemple, élus délégué de classe). Il peut être amené à traduire des entretiens si le jeune a besoin de rencontrer l’infirmière ou le CPE. Moins amusant il peut être sollicité pour traduire un conseil de discipline ou un entretien avec des parents sourds convoqués suite aux comportements répréhensibles de leur fils… Il peut aussi être présent lors des examens pour traduire les consignes et éventuellement certaines questions ou problème de compréhension du vocabulaire.
Bref ses taches sont multiples, mais il interviendra cependant principalement en classe à côté du professeur
Voici donc quelques éléments d’information pour travailler en bonne harmonie avec un interprète F-LSF durant un cours.
Une remarque pour commencer : avant d’être « un interprète en milieu scolaire », l’interprète est d’abord un interprète diplômé. Comme tous ses collègues il est soumis au code déontologique de l’AFILS avec ses fameuses trois règles à savoir : secret professionnel, fidélité au message, neutralité.
Où se place l’interprète ?
Dans la salle de classe, il est généralement près de l’enseignant, bien visible des élèves sourds. Tandis que le professeur parle ou bien qu’un élève répond à une question, l’interprète les traduit en langue des signes française. Inversement lorsqu’un étudiant sourd s’exprime dans sa langue, la LSF, l’interprète traduit ses propos en français oral compréhensible par le reste de la classe. Il ne s’assoit pas à côté des élèves sourds (comme le ferait un AVS par exemple) pour les aider à suivre le cours, à faire un exercice, à prendre des notes…
Présent dans la classe il permet à ces deux communautés linguistiques de se parler, de communiquer, de se comprendre.
Que traduit-il exactement ?
La réponse est simple : tout.
J’ajouterai, néanmoins, « dans la mesure du possible » car certaines classes sont plus bruyantes ou plus volubiles que d’autres, et s’il y a sept ou huit jeunes collégiens qui parlent en même temps, la tâche devient ardue (nous n’avons que deux mains ! ). Généralement l’interprète va une première fois interrompre et expliquer gentiment : « s’il vous plaît, je ne peux pas traduire tout le monde ! » Puis le brouhaha recommençant, à la fin peut-être qu’il lâchera prise et traduira celui qui parle le plus fort, celui qui prend la parole le premier, celui que le professeur pointe du doigt…
Néanmoins son rôle reste de traduire en langue des signes tout ce que les personnes présentes entendent dans la salle. Le cours, bien sur, mais également l’élève qui s’énerve contre sa mauvaise note, le professeur qui hurle contre un élève qui joue avec son téléphone portable, les deux jeunes filles au premier rang qui se moquent trop fort du garçon assis à côté.
Quelques bruits extérieurs également, la sonnerie de la fin des cours par exemple.
Tout ce qui se dit, tout ce qui est audible dans la salle est traduit afin que les élèves sourds participent pleinement non seulement à l’enseignement mais aussi à l’ambiance du cours, ses moments de rigolade, ses instants de fortes tensions…
Parallèlement tous les signes que feront les élèves sourds seront traduits. Une question au professeur, une réponse (bonne ou erronée), une remarque désobligeante sur la qualité de la nourriture à la cantine…
Par contre, il n’explique pas, il ne reformule pas le discours du professeur, il ne précise pas un point de détail, il ne corrige pas une réponse ; simplement il traduit ce qui est dit ou signé dans l’enceinte de la salle ou de l’amphi.
Grâce à sa présence chacun est égal dans la réception des informations.
Dans l’enseignement supérieur, quand les cours deviennent denses, qu’ils se complexifient, les interprètes travaillent en binôme, se relayant toutes les 15 minutes environ. Tandis que l’un traduit, l’autre se repose mais « activement » en restant vigilant aux propos échangés afin de « souffler » à son collègue si celui-ci butte sur une phrase, ne comprend pas un concept ou n’entend pas le nom du Général de l’armée allemande prononcé au fond de la classe.
Quelle place pour l’enseignant ?
Pour un enseignant, travailler avec un interprète à ses côtés peut-être au départ déstabilisant.
Il faut d’abord s’habituer à avoir une personne à un mètre de soi qui « agite » ses mains.
Ensuite le professeur doit comprendre que l’interprète n’est pas là pour se substituer à lui. L’interprète ne le corrigera pas même s’il dit une ânerie, il n’interviendra pas pour aider les élèves sourds à comprendre le cours, à répondre à une question en leur donnant des indices, il ne dira pas non plus quel est l’élève qui a lancé la boulette de papier même s’il l’a vu contrairement à l’instituteur…
L’interprète n’est pas un pédagogue, il n’est pas expert de la discipline qu’il traduit, il ne peut pas et il n’est pas là pour « aider » le prof à adapter sa pédagogie. Mais grâce à sa connaissance des deux mondes, celui des sourd et celui des entendants, il peut donner à l’enseignant quelques judicieux conseils qui sont liés à ce qu’on pourrait appeler les spécificités de culture sourde et la nécessaire « adaptation culturelle ». Ensuite, libre à ce dernier de les suivre ou pas.
Si l’interprète peut donc aider l’enseignant à mieux comprendre le monde des sourds pour parfois adapter son enseignement, l’enseignant peut aussi aider l’interprète dans son travail de traduction :
– en lui fournissant des éléments de son cours en avance (power-point, plan du cours, vocabulaires techniques…) ;
– en utilisant régulièrement le tableau pour noter les chiffres compliqués, les noms propres, les dates… ;
– en l’informant qu’une vidéo sera diffusée (et en la lui projetant avant le début du cours) et/ou en choisissant si possible un film sous-titrés en français ;
– en s’assurant que la classe est bien éclairée, que l’interprète n’est pas placé à contre-jour, qu’éventuellement il bénéficie d’un siège ;
– en pensant à aménager des pauses dans son enseignement pour que l’interprète puisse baisser les bras.
Quand des élèves sourds sont en inclusion dans une classe d’élèves entendants, il existe souvent un fossé entre eux par manque de communication, d’échanges. Grâce à une meilleure coordination entre le corps professoral et le corps des interprètes on peut croire qu’il sera en partie comblé en respectant non seulement l’identité de chacun (élèves et professeurs) mais aussi leur autonomie.
On doit aussi espérer qu’ainsi un plus grand nombre d’étudiants sourds réussiront les concours du CAPES, du CAPEJ voire de l’agrégation et que demain, les interprètes en langue des signes traduiront régulièrement des professeurs sourds enseignant en langue des signes vers des étudiants entendants ayant besoin d’une traduction en français oral.
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© Stéphan – ( i ) LSF
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L’interprétation en milieu scolaire
L’interprète et le professeur