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Althusser, Lacan, Foucault, Claude Lévi-Strauss écrit à Garaudy (1967)

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit

(À propos d'une conférence de Roger Garaudy sur le "Structuralisme")

15 avril 1967

COLLÈGE DE FRANCE
2, rue des Marronniers 16e
Paris, le 15 avril 1967

Mon cher collègue,
Je vous remercie de m'avoir communiqué le texte de votre belle conférence que je vous retourne ci-joint après l'avoir lu et admiré son élégance et sa force.
Sur beaucoup de points, je me sens d'accord avec vous. Il se trouve que je n'ai pas lu Althusser et je n'en parlerai donc pas. Pour Lacan, j'ai suggéré dans l'interview des Lettres françaises des réticences que j'éprouve, en fait, de manière beaucoup plus vigoureuse, mais je n'ai pas voulu engager une polémique. A propos de Foucault enfin, j'ai reconnu ma pensée dans vos critiques : comme vous, je suis sidéré par le mépris souverain avec lequel Foucault traite l'expérience. Jamais les interprétations ne sont dégagées des
faits ; il les promulgue par un décret arbitraire et dispose des exemples à sa fantaisie pour faire croire que la réalité s'y conforme.
Cela dit, et pour sensible que je suis à l'offre que vous me faites d'un assez confortable fauteuil dans un petit Purgatoire entre le Paradis marxiste et l'Enfer pseudo-structuraliste, je ne crois pas que je m'y sentirais à mon aise. Pour préciser ma pensée sur la question qui vous préoccupe, je dirais en effet ceci :
1) Dans les recherches auxquelles je me consacre, la considération du sujet n'est pas pertinente. Sans vouloir donner une réponse définitive, je constate que je n'ai pas besoin de cette hypothèse. Mais je ne prétends pas interdire à d'autres d'y recourir : on nous jugera aux résultats.
2) Je me sens profondément affecté par la faillite de la morale humaniste qui, depuis plusieurs siècles, n'a pas seulement échoué à prévenir tant d'horreurs et d'abus, mais qui s'est révélée toujours prête à leur fournir des légitimations.
3) Il me semble que la raison de cette faillite tient au fait que l'humanisme a prétendu restreindre à l'homme seul le champ des valeurs morales. Elle l'a ainsi rendu vulnérable sur ses frontières, faute d'un glacis, si j'ose dire, où livrer les combats d'avant-garde nécessaires à sa sécurité. Il aurait fallu protéger, non une partie ou un aspect de l'homme, mais l'homme entier ; non l'être pensant, mais l'être vivant ; et, pour garantir le respect de l'homme, l'inclure dans un respect plus vaste s'étendant à toutes les manifestations de la nature et de la
vie. Si je devais formuler une morale, je dirais donc que la première tâche est de mettre l'homme en lisière ; de reconnaître que le plus grand ennemi de l'homme est l'homme même ; et, pour mieux le sauver à long terme, de faire pour un temps passer d'autres intérêts avant les siens. Cet humanisme châtié et humilié ne rencontrerait sans doute guère d'écho chez ceux dont on associe trop souvent le nom avec le mien. Mais je crains bien qu'aussi il ne soit fort éloigné de vos propres soucis...
Veuillez croire, mon cher collègue, avec encore tous mes remerciements pour vos paroles cordiales, à mes sentiments les plus dévoués et les meilleurs.
Claude Lévi-Strauss. Lettre citée dans le livre Mes témoins, Roger Garaudy, pages 47-48 (Deux autres lettres de Lévi-Strauss à Roger Garaudy, écrites en 1964 et 1966 figurent dan le même ouvrage)
Ce que Garaudy pense à l'époque du structuralisme: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2012/01/structuralisme-et-mort-de-lhomme.html

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