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Vernon Subutex 2 (V. Despentes)

Publié le 01 septembre 2015 par Despasperdus

« Il existe une différence de taille entre sa génération et celle de Laurent. La sienne n’adulait pas les bourgeois. Quoi qu’ils en disent, les prolos d’aujourd’hui voudraient tous être nés du bon côté du manche. A Lessines, où il a grandi, les sirènes des carrières rythmaient le temps. On méprisait les bourgeois du haut de la ville. On ne buvait pas avec le patron. C’était la loi. Dans les bistrots, ça ne parlait que de politique, la haine de classe nourrissait une véritable aristocratie prolétaire. On savait mépriser le chef. Tout cela a disparu, en même temps que l’amour du travail bien fait. Il n’y a plus de conscience ouvrière. Tout ce qui les intéresse, les gars, c’est ressembler au chef. Un mec comme Laurent, si on lui laissait carte blanche, ce qu’il désire n’est pas de forcer les nantis à partager mais d’entrer dans leurs clubs. Uniformité des désirs : tous des beaufs. Ça fera de la bonne chair à canon, ça. »

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Deuxième volet de Vernon Subutex, l'ancien disquaire SDF est recherché par ses anciens amis et quelques vautours... Virginie Despentes brosse avec talent une belle galerie de portraits, des existences a priori banales, des blessés de la vie, un monde en marge.

« Devant les casiers de tri, le matin, les gamins n’ont que le Front national à la bouche. Ça se distille par bribes, « Marine a raison sur l’euro, on s’est bien fait avoir », comme si elle ne faisait pas partie du sérail. Ça ne les choque pas de voir l’élite s’accommoder du Front national avec tant de facilité. « On est chez nous, quand même », qu’ils disent. Chez nous. Au centre de tri où il est en CDD, ils les font commencer à 4 heures 20 le matin, pour ne pas avoir à les traiter au régime de nuit. La fonction publique, « chez nous », en est là. Dans la fonction publique, c’est comme ailleurs : tout pour les cadres. Il a fallu en nommer de plus en plus, les payer de mieux en mieux, accumuler les privilèges, et tout ce qui leur a été octroyé a été volé aux agents d’en bas. Ceux qui font vraiment le travail. Bougres d’imbéciles, comment peuvent-ils ne pas comprendre qu’on les monte les uns contre les autres, quand on les chauffe à blanc pour qu’ils cognent sur leurs voisins de palier ? Les banques vident les caisses de l’Etat sous prétexte qu’elles ont fait des conneries, on collectivise leurs déficits, on privatise leurs bénéfices, et ces connards de citoyens réclament une raclée pour les Roms. »

J'ai à peine lu une cinquantaine de pages, et au détours d'un paragraphe, j'ai adoré (oui oui !) certaines fulgurances plus efficaces que de longs discours, et plus pertinentes que des reportages pour rendre compte de la réalité sociale et de certaines évolutions politiques. L'auteur ne mâche pas ses mots, et ses envolées politiques s'intègrent logiquement dans le récit.

« Mélenchon est meilleur que Marine, sur tous les plans. Son seul problème, pour plaire, c’est qu’il n’est pas raciste. Les gars se sont tellement fait nettoyer la tête, depuis dix ans, que le seul truc qui les obsède, c’est pouvoir dégueuler leur haine du bougnoule. On leur a confisqué toute la dignité que des siècles de lutte leur avaient conférée, il n’y a pas un moment dans la journée où ils ne se sentent pas traités comme des poulets qu’on plume, et la seule putain de combine qu’on leur a vendue pour se sentir moins nuls, c’est de brailler qu’ils sont blancs et qu’à ce titre ils devraient avoir le droit de mater du basané. Et de la même façon que les gamins de banlieue crament les voitures en bas de chez eux et n’attaquent jamais le XVIème, le Français précaire tape sur son voisin de transport en commun. Il reste docile même dans ses agacements : à la télé, la veille, on lui a fait savoir qu’il y avait plus dégradé que lui, plus endetté, plus misérable : le Noir qui pue, le musulman qui tue, le Rom qui vole. Tandis que ce qui constituait la véritable culture de ce peuple français, les acquis sociaux, l’Education nationale, les grandes théories politiques, a été démantelé, consciemment – le tour de force de cette dictature du nanti aura été sa manipulation des consciences. L’alliance banques-religions et multinationales a gagné cette bataille. Ils ont obtenu du citoyen sans patrimoine qu’il renonce à tous ses droits, en échange d’avoir accès à la nostalgie de son impérialisme. Là encore, camarade, tu te fais avoir : si tu crois que le trésor des colonies était pour tout le monde, déjà à l’époque on ne t’octroyait que le droit de te sentir blanc, c’est-à-dire un peu mieux traité que ton collègue qui ne l’était pas. Du mineur au mouton qui pousse son caddie, on n’aura pas vécu longtemps sous le règne du citoyen instruit. »

J'aime la littérature contemporaine quand elle s'inscrit dans le réel, à des années lumières de la soupe littéraire à la mode des experts en marketing qui exploitent leur narcissisme tourmenté de petit-bourgeois bouffis d'orgueil et d'ennui, ou le racisme ambiant avec la bénédiction des médias et des partis dominants.

A lire.


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