Le Prix du roman de l’Académie française, devenu Grand Prix du roman en 1984, a été décerné pour la première fois en juillet 1915. Son centenaire, en octobre 2015, est une belle occasion de faire découvrir, plus sûrement que redécouvrir, deux des premiers lauréats en édition numérique.
Paul Acker venait de disparaître sur le front de la Grande Guerre quand il fut choisi, au double titre de romancier et de mort pour la patrie, pour inaugurer le palmarès.
En 1915, le conflit pousse en effet l’Académie française à saluer, à travers les prix littéraires qu’elle décerne, des écrivains morts au combat. Charles Péguy, un des premiers disparus, reçoit ainsi, à titre posthume, l’important Grand Prix Broquette-Gonin. Alain-Fournier, le Prix Jules Davaine. Et, parmi beaucoup d’autres lauréats, mais inaugurant pour l’ensemble de son œuvre le palmarès du Prix du roman, Paul Acker. Étienne Lamy, Secrétaire perpétuel, évoque dans son Rapport sur les concours de l’année 1915 cet homme qui, « au sourire triste, à la timidité discrète, à la persévérance douce, multiplie ses œuvres qui lui ressemblent, comme pour promener sur plus d’objets sa mélancolie : ses personnages de tout sexe, de tout rang, de toute origine, passent, victimes de l’égoïsme social qui rend étrangers et rivaux les êtres faits pour se secourir et s’aimer. »
Paul Acker est né le 14 septembre 1874. Il a donc quarante ans quand il meurt pour la France, près du front de Thann, le 27 juin 1915, dans un accident. Une centaine de kilomètres, à vol d’oiseau, séparent son début et sa fin. Mais, entre les deux, il a écrit, en particulier des romans : Les deux amours, Une aïeule contait, Un amant de cœur, Dispensé de l’article 23, Le désir de vivre, La petite madame de Thianges, Le soldat Bernard, Les exilés, Les deux cahiers, pour ne citer que ceux du Rapport.
À défaut de rééditer son œuvre complète pour le centenaire de la création du Prix du roman, nous avons choisi de donner à lire Les exilés. En 1911, Paul Acker y ouvrait son cœur d’Alsacien et désignait la déchirure qui le blessait : quelle était encore l’identité d’une terre annexée par l’Allemagne en 1871 alors que ses habitants, ou du moins une partie d’entre eux, se sentaient Français ?
« Une lecture très saine et d’inspiration morale », estime Gaston de Pawlowski en commentant l’ouvrage dans Comœdia, ajoutant : « Sa simplicité dénote également une belle tenue littéraire. » Gaston Deschamps, dans Le Temps, résume la question des Exilés : « Ce sont des jeunes gens dont les parents ont opté pour la nationalité française, et qui, ayant vécu en France, parmi des études ou des plaisirs qui furent des divertissements dangereux, et pour ainsi dire des invitations à l’oubli, ne sauraient retourner en Alsace sans une certaine appréhension où se mêle un peu de remords. Seront-ils en état de grâce suffisante pour assister à l’œuvre qui s’accomplit là-bas ? »
Claude Héring, personnage central du roman, est « un Alsacien qui s’ignorait », explique André Chaumeix dans le Journal des Débats. Et cette ignorance même structure la découverte que fait Claude en même temps que le lecteur : l’Alsace « est peinte non pour elle-même mais par la connaissance qu’en prend peu à peu Claude. Le roman en se développant nous montre les figures diverses que forment pour le voyageur les villes et les champs qu’il a oubliés. »
Face à Claude, Alsacien de Paris, deux amis, Alsaciens d’Alsace, s’affrontent pour leurs idées : Reusch, qui « reste en Alsace, pour entretenir le culte de la France », et Ferrières, qui « n’est plus attaché à la France. » Albert-Émile Sorel fournit cette articulation du problème en « Une » du Gil Blas. La longueur de son article ne lui donne cependant pas l’occasion de relever combien l’opposition entre une France cultivée et une Allemagne disciplinée est caricaturale. Mais sans doute allait-elle de soi, côté français, dans ces années-là, s’il faut en croire la manière dont certains commentateurs forcent le trait encore davantage que le romancier.
Voici donc un livre très enraciné dans le territoire d’où vient son auteur et bien dans l’esprit de son époque.
Dans la même collection :
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Washington Irving. Kidd le pirate
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Manuel du plus que parfait arriviste littéraire
Henri de Régnier. Histoires incertaines
Maurice Spronck. L’an 330 de la république