« La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable » (Jacques Roux, Manifeste des enragés, discours prononcé devant les députés de la convention nationale le 25 juin 1793)
Puisqu’il est de bon ton, dans certains cénacles très politisés – et cela quel que soit le parti dans lequel une personne donnée milite – de se jeter à la figure des morceaux d’histoire pour justifier et illustrer ses positions politiques, qu’on me permette de répondre ici à ma modeste façon… Tel ne fut pas le cas de certains souverainistes d’hier, proches de Chevènement, pour qui tout ce qui n’est pas leur positionnement ¹ n’existe pas, et leurs opposants des incultes. Profitons donc de ce billet pour parfaire la culture de tous, y compris la mienne, et surtout la leur, en évoquant un mouvement peu connu de l’histoire de la révolution française, puisque beaucoup s’y réfèrent volontiers à gauche, mais ne semble pas la connaître, ou du moins très imprécisément. Parmi les figures bien connues de cette période, la figure de Robespierre a ces dernières années été portée symboliquement aux nues par la gauche radicale comme un étendard, l’un des plus érudits de tous, Mélenchon en tête. Je ne me reconnais pas dans cette figure révolutionnaire pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est un membre de la bourgeoisie, avocat, et figure emblématique des Jacobins, dont la politique du Comité de Salut Public conduira à la dictature et à la Terreur, avec l’élimination des opposants (dantonistes, hébertistes) et les grands procès du printemps 1794. Comment justifier cela ? Par la raison supérieure de l’état, qu’implique les positionnements nationalistes, encore et toujours, aujourd’hui encore, malgré la suppression de la peine de mort, comme on a pu le constater en mains exemples, à travers l’histoire, et parmi eux, plus récemment, celui des morts du rainbow warrior, affaire qui m’a personnellement tant indigné. Je refuse et réfute ce positionnement nationaliste là. Et je préfère mille fois m’identifier à ceux qu’on a cru bon autrefois d’affubler du titre méprisant d’enragés, un mouvement bien moins connu, et qui pourtant illustre bien davantage à mes yeux et selon mon positionnement personnel l’esprit de révolution. Par la grâce de cet extrait de Daniel Guérin que j’ai mis un peu de temps à retrouver, voici pourquoi il me parle tant :
Extrait de « La révolution française et nous » de Daniel Guérin :
« Ceux que leurs adversaires affublèrent du nom d’ « enragés » : Jacques Roux, Théophile Leclerc, Jean Varlet, furent en 1793 les interprètes directs et authentiques du mouvement des masses ; ils furent, comme n’hésita pas à l’écrire Karl Marx, « les représentants principaux du mouvement révolutionnaire ».
A ces trois noms doit être attaché celui de Gracchus Babeuf. Il ne s’associe certes que partiellement au mouvement des enragés. Il devait être davantage leur continuateur qu’il ne fut leur compagnon de lutte. Mais il appartient à la même espèce d’hommes (…) Tous quatre étaient des révoltés (…) Tous quatre avaient partagé la grande misère des masses. (…) Au nom de ce peuple qu’ils côtoyaient tous les jours, les enragés élevèrent une protestation qui va beaucoup plus loin que les doléances des modestes délégations populaires. Ils osèrent attaquer la bourgeoisie de front. Ils entrevirent que la guerre – la guerre bourgeoise, la guerre pour la suprématie commerciale – aggravait la condition des bras-nus ; ils aperçurent l’escroquerie de l’inflation, source de profit pour le riche, ruineuse pour le pauvre. Le 25 juin 1793, Jacques Roux vint lire une pétition à la barre de la Convention : « (…) La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. (…) La république n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère de jour en jour par le prix des denrées auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. » (…). Les enragés eurent le mérite incontestable, face aux montagnards enfermés dans le légalisme parlementaire, de proclamer la nécessité de l’action directe. Ils eurent aussi le courage de s’attaquer aux réputations établies, à la plus haute, à celle à laquelle il était le plus dangereux de toucher. Ils osèrent s’en prendre à l’idole populaire qu’était Robespierre. Théophile Leclerc rangeait ce dernier parmi les « quelques despotes insolents de l’opinion publique ». Jacques Roux dénonçait prophétiquement « les hommes mielleux en apparence, mais sanguinaires en réalité ». (…) La Société des Femmes Révolutionnaires de Claire Lacombe poussa la témérité jusqu’à appeler Robespierre : « Monsieur Robespierre », injure impardonnable à l’époque.
Voilà des propos qui me font toujours plaisir à lire, me touchent au cœur, et disent davantage qui je suis que ce Robespierre si hautain là, que me proposent donc de petits jacobins d’écran, dont je ne suis pas. On pourrait ajouter maintes références qui tournent autour de ce mouvement, comme la figure tutélaire de Gracchus Baboeuf bien sûr, et sa conjuration des égaux. Mais je ne souhaitais pas faire mon pédant. Juste rappeler que quand on veut étouffer le débat, et conjurer la réflexion critique de quelqu’un, on commence par tenter de le faire taire par ses propres considérations historiques. Ce n’est ni ma conception de la politique, ni ma conception du débat, ni ma conception de la connaissance, qui ne doit pas être un moyen de pouvoir et donc de domination, mais un passage de relais, de témoin, et de possibilité d’identification par d’autres pour évoluer à la fois politiquement et personnellement. Aussi, Monsieur Dim, je ne vous remercie pas. Vous n’êtes qu’un paltoquet.
¹ Un positionnement que je combats actuellement car il nous amène vers le pire : nationaliste, patriote, souverainiste et non pour la souveraineté des peuples (dont les intérêts sont contradictoires), par delà les nations.