Le quatrième roman, Bain de lune, de Yanick Lahens a reçu l'an dernier le
Prix Femina du roman français (six voix au deuxième tour, contre quatre à Joseph, de Marie-Hélène Lafon). L’on finira bien par dire : Prix
Femina du roman de langue française, puisque l’écrivaine est haïtienne, comme
René Depestre ou Dany Laferrière, couronnés respectivement par le Renaudot et
le Médicis. Et, l’annnée précédente, c’était Leonora Miano, une Camerounaise, qui avait
reçu le Femina…
Bain de lune est
un roman magique qui parle notamment des secrets enfouis sous terre,
inaccessibles à ceux qui ne sont pas capables de les percevoir, alors que la
population d’Anse Bleue a l’habitude de vivre en leur compagnie. Il s’ouvre sur
une scène dont l’explication nous sera donnée progressivement : « Après une folle équipée de trois
jours, me voilà étendue là, aux pieds d’un homme que je ne connais pas. Le
visage à deux doigts de ses chaussures boueuses et usées. Le nez pris dans une
puanteur qui me révulse presque. »
Une femme parle et sa voix ponctue le roman d’un récit par
bribes : des événements non seulement vécus mais surtout ressentis
jusqu’au fond de ses blessures par celle que le destin a séparée des siens.
Destin par ailleurs inscrit dans la logique d’une histoire collective tournant
parfois à la tragédie.
Car Yanick Lahens ne fait pas l’économie des années pendant
lesquelles un dictateur dirigeait Haïti. Il n’est jamais nommé. Mais, quand
nous sommes au début des années soixante, l’homme au pouvoir est « un médecin de campagne qui parlait
tête baissée, d’une voix nasillarde de zombi, et portait un chapeau noir et
d’épaisses lunettes. » Ses réseaux maillent la terre haïtienne jusqu’à
Anse Bleue, entre terre et mer, où ceux qui ont fait le choix de l’ordre
s’opposent aux plus démocrates. Leurs divergences reposent moins sur des
convictions idéologiques que sur des calculs intéressés. L’effet en est
cependant dévastateur, jusque dans les familles.
Dans ce climat délétère, les habitants d’Anse Bleue vivent
malgré tout, désirent, aiment, haïssent, meurent. La possession des terres est
un enjeu encore plus puissant que celle des femmes et de leur beauté pour
laquelle des hommes se battent, au mépris de la religion que les prêtres
cherchent à leur inculquer. Les traditions ne leur ont pas appris le même genre
de foi : les dieux et les sorciers du vaudou ne sont pas qu’une tradition,
ils rythment l’existence et, dans une certaine mesure, l’orientent.
Une poésie animée par le concret autant que visitée par des forces
obscures donne à Bain de lune la
force d’un chant tenu dans la durée. Il touche trois générations, en un même
lieu qui semble, aux spécialistes venus de l’étranger, déshérité : il
serait possible, disent-ils, d’y cultiver une manne miraculeuse, « blanche comme la farine de la
multiplication des pains de Jésus. » Au prix d’un défrichage intensif.
Et de terribles surprises.