[Critique] LE PARRAIN, 2ème PARTIE

Par Onrembobine @OnRembobinefr

Titre original : The Godfather : Part II

Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Francis Ford Coppola
Distribution : Al Pacino, Robert De Niro, Diane Keaton, Robert Duvall, John Cazale, Talia Shire, Lee Strasberg, Dominic Chianese, Joe Spinell, Harry Dean Stanton, James Caan…
Genre : Drame/Adaptation/Suite/Saga
Date de sortie : 27 août 1975

Le Pitch :
Michael Corleone a pris le contrôle de la famille, depuis la mort de son père, Vito. Amené à gérer des situations inextricables, notamment face à la mafia juive, il doit aussi composer avec les retombées de ses activités sur sa vie de famille, de plus en plus dissolue…
Des années avant, en 1901, en Silice, le jeune Vito Andolini assiste au meurtre de sa mère, par le parrain local, déjà responsable de la mort de son père. Forcé de fuir pour échapper à un funeste sort, il débarque aux États-Unis, parmi le flot d’immigrants désireux de trouver une vie meilleure. Rebaptisé Corleone à son arrivé à Ellis Island, le jeune garçon fait son chemin, montant peu à peu les échelons de la criminalité, de menus larcins en forfaits plus importants, bâtissant brique par brique l’empire de la famille Corleone, que son fils Michael, aura la lourde tâche de faire perdurer des décennies plus tard…

La Critique :
Le Parrain 2 est la première suite à avoir remporté l’Oscar du Meilleur Film. Depuis, seul Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi a fait de même. Quand on parle de suites, ce monument est devenu une référence. Une sorte de mètre étalon. L’exemple universel du numéro 2 qui a su se hisser au niveau du premier volet. Beaucoup considèrent d’ailleurs Le Parrain 2 comme le plus grand chef-d’œuvre de la saga et affirment qu’il surclasse d’une courte tête Le Parrain. Question de goût mais force est de s’incliner bien bas devant une œuvre complexe, dense, puissante et bien entendu profondément universelle. Une référence en somme toute unique que beaucoup de cinéastes visionnent encore aujourd’hui pour comprendre comme Francis Ford Coppola a fait pour atteindre un tel niveau d’excellence, alors qu’au départ, il ne voulait pas en entendre parler.
C’est ce qu’il y avait de génial avec les années 70 et avec des mecs comme Coppola. À l’époque, les studios n’étaient pas surpuissants et les auteurs avaient encore de la marge pour négocier. Quand on lui a proposé de continuer à écrire sur pellicule l’histoire des Corleone, Coppola refusa, puis se mit d’accord avec la Paramount pour mettre en scène le métrage à la seule condition qu’il obtienne les pleins pouvoirs. Au final, c’est précisément ce qui se produisit, avec une grosse rallonge au niveau du budget, permettant au réalisateur et à l’auteur qu’il adaptait pour la seconde fois, Mario Puzo, de fabriquer un « super » classique du septième-art, en tous points parfaits.
Car oui, Le Parrain 2 est parfait. De combien de films pouvons-nous affirmer cela ? Pas beaucoup c’est certain.

La grande idée qui distingue Le Parrain 2 de son prédécesseur est de se scinder en deux parties. D’alterner passé et présent. De continuer à raconter la montée en puissance de Michael Corleone dans la hiérarchie mafieuse après le décès de son père, et de remonter le temps pour revenir aux origines de l’histoire dans son ensemble, en Italie, quand le futur Don Vito Corleone n’était encore qu’un enfant terrifié et seul après le meurtre de ses parents par un mafieux local. Loin d’opter pour une structure classique, qui s’intéresserait d’abord au parcours de Vito, puis à celui de son fils Michael, Coppola bouleverse les codes de la narration et alterne les scènes dans le présent, avec Al Pacino et celles dans le futur, avec Robert De Niro, en profitant des allers-retours pour instaurer un brillant dialogue entre les deux périodes et dresser à l’arrivée un vibrant parallèle entre les actes du père et ceux de son héritier. En 1974, quand le film sort aux États-Unis, cette façon de sublimer une histoire déjà passionnante à la base, provoque à elle seule un chamboulement. Plus tard, et encore aujourd’hui, nombreux sont ceux qui se sont infiltrés dans la brèche ouverte par Coppola, sans pour autant parvenir à en exploiter aussi brillamment les mécanismes.
Le scénario du Parrain 2 offre donc la possibilité à Coppola et à Puzo d’imposer à l’écran deux personnages forts. Le premier est bien sûr Michael Corleone, incarné par un Al Pacino parfait. Mesuré, sombre et torturé, il ne cabotine jamais et, avec une économie de moyens impressionnante, communique le dilemme au cœur même du rôle, sans se priver, quand les circonstances l’exigent, de monter dans les tours. Il gravit les échelons qui permettent au jeune Corleone de peu à peu se transformer en version plus cruelle de son père. En cela, Pacino et Coppola emmènent très loin Michael, mais savent faire preuve de mesure histoire d’encourager le public à conserver un minimum d’empathie pour celui qui, au tout début du récit, ne voulait pas de cette vie régie par la violence et la corruption. Le Parrain 2, dans la parfaite continuité du Parrain, creuse dans la psyché d’un homme meurtri, pris dans un tourbillon barbare dont même lui ne peut se défaire. C’est malin, impitoyable et bien souvent déchirant.
En face, dans la passé, Robert De Niro fait son entrée, lui qui avait postulé pour le premier film sans succès. Remarqué par Coppola dans le Mean Streets de Martin Scorsese, le jeune comédien s’investit à fond, part plusieurs mois en Sicile pour s’immerger dans la culture italienne et apprendre à en parler la langue. Quand il revient, il ne joue pas Vito Corleone. Il l’est. De ses mimiques propres à la composition pourtant très personnelle de Marlon Brando dans le premier film à cette diction et cette tonalité de voix, De Niro n’oublie rien et démontre d’un sens du détail qui très vite, contribuera très largement à l’installer au firmament des génies de l’acting. Charismatique, impressionnant, lui aussi extrêmement doué pour traduire à l’écran, sans forcément parler, des émotions contenues, le comédien n’a pas volé son Oscar du Meilleur Second Rôle.
Si ils ne partagent bien entendu aucune scène (il faudra attendre 1995 et le Heat, de Michael Mann, pour voir les deux légendes se faire face), Al Pacino et Robert De Niro instaurent bel et bien un dialogue. Grâce à l’écriture intelligente et intuitive, au superbe découpage et à la mise en scène de Coppola, les deux personnages se télescopent. Ils tentent tous les deux de prospérer, à deux époques différentes. L’un en partant de rien, l’autre en tentant de s’imposer comme une entité à part entière et non comme un simple fils de.
Remarquable pour la performance de ses deux têtes d’affiche, Le Parrain 2 n’oublie pas pour autant de soigner les seconds rôles. Ceux que nous connaissons déjà, qui progressent, en passant de l’ombre à la lumière, et qui contribuent ainsi à la progression de la construction d’un univers vaste, tel Talia Shire, l’impérial Robert Duvall et le déchirant John Cazale, mais aussi le grand nombre de gueules qui émaillent un casting à nouveau massif comme une malle de lingots d’or dérobée directement dans les coffres de Fort Knox.

Il est finalement assez vain d’essayer de déterminer lequel du Parrain ou du Parrain 2 est le meilleur. En soi, si il est indéniable que le troisième volet se détache du lot, il est tout aussi évident que les deux premiers films forment un tout incroyablement homogène et pertinent au vue de ses propres enjeux. La dernière séquence du Parrain 2 va d’ailleurs carrément dans ce sens, en rameutant notamment James Caan, pour un ultime flash-back lourd de sens. Il n’y a pas à dire, Francis sait soigner ses sorties. À nouveau, après le prodigieux final du premier film, il réitère son exploit et clôture son long-métrage de façon absolument impériale. Fourmillant de détails, dont chacun à son importance, rythmé à la perfection (à nouveau, les 3 heures 20 passent en un éclair), traversé de fulgurances de mise en scène spectaculaires (mais pas tape à l’œil), violent, sauvage, dramatique, poétique et crépusculaire, Le Parrain 2 fait partie de ces rocs, sur lesquels le temps n’a pas d’emprise. 40 ans après sa sortie, sa force n’a fait que se décupler. Dans le jargon, on appelle cela une référence absolue. Un chef-d’œuvre définitif. Un classique inoxydable. Ne pas rayer la mention inutile car ici, pour le coup, tout est vrai.

@ Gilles Rolland

Crédits photos : Park Circus