M'aide le conseil de ce moine qui m'a dit tout net : « Tant que votre ego ne sera pas lui-même en vacances, vous n'atteindrez jamais à la paix, à la cessation des tiraillements, à la disparition de la fatigue. Aussi longtemps qu'il s'accroche, qu'il poursuit avidement, du matin au soir, des buts, toute rémission vous sera interdite. » Le diagnostic posé, ne reste plus qu'à trouver le remède, car nous risquons fort de tourner carrément en rond jusqu'à l'épuisement, et il y a quelque chose d'éreintant à échapper à l'insatisfaction.
Épicure nous livre déjà une clé pour nous mettre un peu au vert : « Notre seule occupation doit être notre guérison. » Et si prendre des congés, c'était avant tout prendre soin de soi, ménager notre corps, oser quelque halte et véritablement franchir une étape ? Mais guérir de quoi ? D'abord, il convient de s'éloigner des poisons, de couper le téléphone, de fermer Facebook et pourquoi pas s'inscrire, pour une période, aux abonnés absents ? Qui a dit que ce retrait momentané participait de l'égoïsme alors que c'est tout le contraire ?
Mais rompre avec les habitudes ne suffit pas. Il s'agit, comme le préconisaient les philosophes grecs, de nous prescrire un kanôn, une règle à suivre. On peut continuer longtemps à se réveiller dans la dispersion, à vivre sous le mode du pilotage automatique, mais vient l'heure où l'urgence est à la pratique. Sans s'encombrer d'une armada d'outils, il y a un chemin qui s'ouvre.
Dans la Vie parfaite, Catherine Millot dit mieux que quiconque celui dont je dois prendre congé : « Le moi est avant tout une instance de maîtrise. C'est un système de défense, au service du principe de plaisir, contre le dehors, mais aussi contre ces pulsions, intimes et étrangères à la fois, qui nous habitent. Ce sont ces remparts qu'il s'agit d'abattre, ce barrage contre le Pacifique qu'il faut ruiner. Disons-le autrement : le moi est une organisation pour résister à la passivité essentielle du sujet à l'égard de l'Autre. Le moi est foncièrement résistance à Dieu (...). »
Voilà le véritable périple : entreprendre ce déménagement intérieur, ce décentrage, oser le grand saut, renoncer à la pleine maîtrise. Pour notre malheur, nous avons associé l'abandon, la confiance, le laisser-être, l'ascèse à quelque chose de triste, voire à une corvée. Alors que s'échapper des bornes de nos schémas mentaux, quitter un peu l'étroitesse du coeur conduit à un bonheur redoutable pour l'égo.
Alexandre Jollien est un philosophe et écrivain né en 1975 à Savièse, en Suisse. Son dernier livre, Petit Traité de l'abandon, est paru au Seuil.