Vous vous dites, elle ne lit plus. À quand remonte le dernier compte rendu de lecture? J’ai vérifié : le 28 juillet dernier. Un mois jour pour jour. Entre temps, j’ai assisté aux Correspondances d’Eastman et j’ai fait un camp littéraire pour faire avancer mon manuscrit en chantier. Ce qui ne m’a pas empêchée de lire. En fait, j’ai mené diverses lectures en parallèle : Les Créateurs de Daniel Boorstin, Introduction à la poésie québécoise de Jean Royer, Iotékha’ de Robert Lalonde, Thérèse pour joie et orchestre de Hélène Monette et Un jour ils entendront mes silences, de Marie-Josée Martin. Je veux vous dire quelques mots de ces deux derniers, terminés hier, et qui ont en commun de prendre appui sur la mort pour mieux parler de la vie.
Un jour ils entendront mes silences
Corinne souffre de paralysie cérébrale. Aléas de l’accouchement. Incapable de bouger ni de parler, elle est cependant une témoin lucide des joies et des souffrances des membres de sa famille, de la culpabilité de sa mère, de l’incapacité de son père à accepter le handicap de sa fille, des crises conjugales qui en découlent, des efforts de son grand frère pour se faire une place dans ce contexte. Incapable de se défendre par la parole, Corinne est victime de la bonne volonté et de l’acharnement des sarraus blancs et de la confiance sans limites que leur voue sa mère, subissant chirurgie sur chirurgie jusqu’à la révolte de la mère. La naissance d’une petite sœur de six ans plus jeune qu’elle accentuera l’inévitable comparaison entre l’enfant brisée et l’enfant parfaite. Si la souffrance et la douleur sont omniprésentes, le récit donne également à voir de beaux moments de tendresse entre Corinne et sa mère, son frère et sa petite sœur.
Marie-Josée Martin mène avec beaucoup de dextérité ce récit dont le narrateur n’est nulle autre que Corinne, qui, de l’au-delà, retrace ses treize courtes (longues aussi) années de vie. Elle sait décrire la souffrance de l’enfant murée sans tomber dans le pathos. En ce qui a trait à la qualité littéraire de l’œuvre, qu’il suffise de mentionner qu’elle a été couronnée de plusieurs prix : le Prix du livre d’Ottawa 2013, le Prix Christine-Dumitriu-Van-Saanen 2014, le Prix Émergence-AAOF 2014 et le Prix LeDroit 2014. On sort changé de cette lecture absolument touchante et authentique.
Thérèse pour joie et orchestre
Hélène Monette a écrit ce livre en hommage à sa sœur disparue en 2005. Hommage, le mot semble faible pour décrire ce qui transpire de ce texte en vers. C’est un hymne d’amour, une vocalise de tendresse.
En 2008, Hélène Monette écrivait : « Tereza Trezor/avec les yeux brouillés de la mort, tu m’as saluée/méconnaissable mais toujours pleine d’esprit/entre les maudits trous noirs/et ton prochain cauchemar/toujours avisée, tu m’as dit/à la prochaine! /sans bouger, pourtant, comme dans un élan vers moi/tu m’as fait un signe de la main/d’un seul doigt minuscule
J’ai cru voir la mort sourire/tandis que tu m’ouvrais le ciel/(serais-je donc la prochaine/ou tu voulais simplement dire/que nous nous reverrons? en es-tu sûre et certaine? »
En 2015, à son tour, Hélène Monette mourrait. Elle n’avait que 55 ans. Ces vers prémonitoires font frissonner.
Mais au-delà de du caractère tragique de ces disparitions, Thérèse pour joie et orchestre foisonne de vers frémissants. « j’entends les nuances sublimes de ta divine petite voix/ton imaginaire m’enchante/et ton âme danse avec moi »
Et ailleurs :
« ange au grand cœur d’authentique grande sœur/m’entraînant de pèlerinages naïfs en florissantes oasis/dans le voyage de la pensée »
Ce livre couronné du Prix du gouverneur général ne se donne cependant pas d’emblée à qui ne fréquente pas assidûment la poésie, ce qui est mon cas. Je crois qu’il faut le lire plus d’une fois pour en butiner le miel.
Marie-Josée Martin, Un jour, ils entendront mes silences, Les éditions David, 2012, 203 pages
Hélène Monette, Thérèse pour joie et orchestre, Boréal, 2008, 153 pages