La physique quantique pour les nuls
(5e partie)
5. La supraconduction, la force nucléaire, et comment on
démontre que deux chatons intriqués peuvent former un
boson composite !
Résumé des épisodes précédents : Le prof Schrödinger, désespéré à l’idée que le principe de Pauli l’empêchera à tout jamais de réunir en un seul morceau le pauvre chaton dédoublé par son expérience quantique, vient de mettre le feu à tous ses calculs !
Je restai abasourdi devant la flamme grandissante qui mangeait un à un les précieux calculs du Doc.
- Attendez, dis-je, paniqué Il me vient une idée ! Tout n’est pas perdu !
- Vous, une idée ?
- Oui, dis-je, vexé. Mais pour l’amour du ciel, arrêtez cet incendie !
Schrödinger hésita, puis bondit vers une pile d’objets bizarres (dont un sextant et un électroscope) et en sortit un extincteur, qui, malgré son étiquette « à remplacer avec 1949 » daigna fonctionner encore. Il aspergea de mousse le paquet de feuilles enflammées. L’incendie cessa.
- Dites toujours, dit-il en toussant à moitié, à cause de la fumée. Mais si vous avez essayé de me berner…
- Non, non, dis-je, C’est une vraie idée ! Le rassurai-je précipitamment. Vous dites que les deux chats ne peuvent pas fusionner parce ce sont des fermions, n’est-ce pas ?
- Ya.
- En êtes-vous sûr ?
- Les protons sont des fermions, jeune homme !
- Oui, mais ça, dis-je en montrant les chatons, ça ce ne sont pas des protons. Ce sont des chats. Et des chats intriqués, même. Avez-vous calculé leur spin ?
Je vis distinctement l’éclair de compréhension sur le visage du prof.
- Donner Wetter ! S’exclama-t-il. Un Boson composite !
- Un quoi ?
- Mais oui ! C’est cela ! Vous êtes un génie, jeune homme !
Il me tendit les deux bras, pris les miens, et se mit à danser autour de moi. Ca y est, me dis-je. Cette fois, il est complètement fou !
- Bien sûr ! dit-il. Aveuglé par l’idée que chaque chat était l’équivalent d’un proton, donc un fermion, j’ai cru que le principe de Pauli s’appliquait ! Mais quand on apparie deux fermions, comme nos deux chats, on crée un boson composite ! Et les bosons ne sont pas soumis au principe de Pauli !
- Euh, oui, Doc, mais c’est quoi, un boson composite ?
- Ach ! C’est l’une des merfeilles de la nature !
- Vous voulez dire « merveilles » ?
- Mais c’est che que j’ai dit !
- D’accord, d’accord. Et alors ?
- Souvenez-vous que les fermions ont un spin demi-entier. Imaginons deux protons. Quand vous les collez l’un à l’autre, comme dans un noyau d’hélium, vous obtenez une particule unique, dont le spin est la somme de celui des deux autres particules ! Un spin entier ! Un boson !
- Et alors ? En quoi est-ce si merf… merveilleux ?
- Prenez deux électrons, dit-il. Vous savez que ce sont les électrons qui permettent à l’électricité de s’écouler dans un fil électrique, j’imagine ?
- Oui. Le courant électrique, c’est un mouvement d’électrons.
- Excellent ! Mais comme vous le savez, les électrons sont des fermions. Les noyaux des atomes de cuivre du fil électrique, et leurs propres électrons qui tournent autour, aussi.
- D’accord.
- Alors les pauvres électrons du courant électrique doivent sans cesse éviter les autres fermions, naviguer à travers ce qui est pour eux un véritable labyrinthe, en se cognant sans cesse aux atomes de cuivre, ce qui les ralentit et crée une résistance…
- La résistance électrique ! Dis-je. Je comprends.
- Même les meilleurs métaux conducteurs ont une résistance électrique. Le fil s’échauffe au passage du courant, et une partie de l’énergie est perdue. Mais en fait, précisa Schrödinger, le phénomène de résistance électrique est un peu plus complexe que ce que je viens de décrire. Souvent un premier électron arrive à passer sans rencontrer trop de problèmes, mais son passage bouscule les atomes du métal, qui sont repoussés par lui, s’écartent un peu, et entrainés par leur élan ils se resserrent presque aussitôt dans une sorte de mouvement de balancier, et bloquent le suivant, qui vient cogner dans l’un des atomes, ce qui échauffe le métal. Dans certains métaux toutefois, à très basse température, les électrons se regroupent deux par deux, et parviennent à passer sans rencontrer aucune résistance. C’est ce qu’on appelle la supraconduction.
J’avais déjà entendu le mot, mais je n’arrivais pas à visualiser le phénomène.
- Attendez, dis-je. Je ne comprends pas bien. Pourquoi certains électrons seraient ils bloqués en arrivant tous seuls, alors qu’ils ne le seraient pas en arrivant deux par deux ?
Schrödinger sourit.
- Dans un supraconducteur, les électrons sont intriqués deux par deux, formant ce que l’on appelle des paires de Cooper. Dans chaque paire, leurs spins sont antiparallèles : les électrons tournent sur eux-mêmes dans des sens opposés, si vous voulez, bien que cette image soit fausse. l’un des électrons a un spin égal à +1/2, l’autre à -1/2. De sorte que le spin total est nul. Dans cette configuration, ils forment donc un boson composite. Les deux fermions d’un boson composite ont la même fonction d’onde, parce qu’ils sont intriqués. Vous êtes d’accord ?
- Je suppose.
- Mais dans les paires de Cooper, le spin total des deux électrons n’est pas seulement entier, comme pour n’importe quel boson. Il est nul. A cause de cela, l’énergie totale des deux électrons intriqués est inférieure à la somme de chacun d’eux, pris individuellement. On a donc un double bonus : D’une part, parce que leur énergie est minimale, ils arrivent à passer en bousculant très peu les atomes du métal. Et d’autre part, les deux électrons, parce qu’ils forment un boson, ne sont pas soumis au principe de Pauli : ils peuvent traverser les atomes, en étant déviés certes, mais sans perturber leur délicat arrangement d’électrons en couche d’oignon, ce qui ne les ralentit pas.
Le résultat est, que si les atomes du métal ne vibrent pas trop vite, c’est-à-dire à très basse température, ils n’arrivent pas à enlever aux électrons une quantité d’énergie qui soit au moins égale à h, la constante de Planck : Or toute énergie doit être un multiple entier de cette constante. Donc les électrons conservent 100% de leur impulsion, et arrivent à passer sans aucune perte d’énergie. Dans un câble supraconducteur, la résistance électrique n’est pas seulement très faible : elle est strictement nulle. Si on arrivait à fabriquer des supraconducteurs à température ordinaire, on pourrait ainsi transporter des énergies kolossales sur des distances énormes, sans aucune perte.
- Oui, c’est pas mal. Mais de là à…
- On pourrait par exemple disposer des panneaux solaires au Sahara, et alimenter en électricité toute l’Afrique et toute l’Europe !
- Euh… Il faudrait une sacrée surface de panneaux solaires, non ?
- Un pour cent de la surface du Sahara, cela serait suffisant. Faites les calculs !
- Je vous crois, dis-je précipitamment.
- Malheureusement…
- Malheureusement quoi ?
- Malheureusement les meilleurs supraconducteurs que nous savons fabriquer à l’heure actuelle ne fonctionnent que s’ils sont refroidis à la température de l’Azote liquide : -196 degrés !
- Dommage !
- Oui, c’est très dommage, mais les recherches continuent…
Il est temps de conclure, pensais-je.
- Bien, et pour nos chats ?
- Ach ! Les chats !
- Oui, les chats !
- Eh bien, même si ce sont deux fermions, ils doivent former un boson composite. Dans ce cas, leur Hamiltonien est différent de celui de deux fermions, comme je l’avais supposé initialement. Je dois recalculer la fonction d’onde psi, donc l’Hamiltonien…
- Euh… C’est quoi, L’Hamiltonien ?
Il me regarda avec surprise.
- Mais je vous l’ai déjà expliqué, jeune homme !
- Je ne crois pas. Ou alors, ajoutai-je, n’osant le contredire, je ne me souviens pas.
- L’Hamiltonien, c’est le H dans ma grande équation, E psi = H psi. Vous vous souvenez de cela, quand même ?
- Oui, je crois.
- L’Hamiltonien est la transformée de Legendre du Laplacien.
- Voilà que vous remettez à parler chinois !
Il leva les yeux au ciel.
- Mein Gott ! J’oublie toujours que vous ne connaissez rien aux mathématiques de la théorie quantique. So. L’Hamiltonien est un opérateur différentiel - peu importe ce que cela veut dire, ajouta-t-il précipitamment. Il décrit la structure physique du système que l’on veut étudier. Quand on a réussi à calculer l’Hamiltonien, on peut appliquer ma grande équation et calculer la fonction psi. Mais il faut dire que cet Hamiltonien est, ach, lui-même très difficile à calculer. Très.
- Ça va prendre combien de temps ?
Schrödinger jeta un œil désespéré sur la pile de papier à moitié brûlé, couverts de formules, qui s’étendaient à ses pieds.
- Au moins le double du temps qu’il m’en a fallu pour le calculer dans le cas de deux fermions…
Misère ! Ça lui avait pris toute la nuit.
- …Et même ainsi, je ne suis pas sûr de trouver comment recomposer nos deux chats en un seul.
- Quoi ?
- Eh bien, il ne suffit pas de calculer la fonction d’ondes. Il faut que je détermine quel genre de perturbation pourra suffisamment affecter la fonction d’ondes de nos chats pour les réunir. Pour cela, il faut recalculer la fonction psi, donc l’Hamiltonien, pour chaque type de perturbation possible.
Je frémis.
- Euh… Et ça, ça va prendre combien de temps ?
- Au moins un mois, jeune homme.
Un mois !
- Mais ils seront morts, d’ici là ! Je ne sais absolument pas comment on peut les nourrir, vu qu’ils n’arrêtent pas de tourner sur eux même ! Me lamentais-je, en regardant les deux chatons qui semblaient de plus en plus fatigués.
- Et encore, leur spin vaut 1/2. S’ils avaient un spin entier, ils tourneraient deux fois plus vite.
Nous voilà bien avancés, pensais-je.
- A moins que… Dit-il soudain
- A moins que quoi ?
- A moins que nous arrivions à déterminer sans faire de calculs ce qui les pourrait les réunir à nouveau. Dans ce cas, il suffira de calculer la fonction psi pour cette seule perturbation.
- Ah, Dis-je.
Il y eut un moment de silence.
- Doc, dis-je soudain, je crois que j’ai trouvé.
Je tentai de ne pas voir son expression de franche incrédulité.
- Il me semble que les protons ont une charge électrique positive, dis-je alors.
- Oui, et alors ?
- Alors les particules de même signe se repoussent, non ? Comment voulez-vous les coller l’un à l’autre ?
- C’est vrai, dit-il. La force électromagnétique les empêche de se réunir. Mais je ne vois pas comment passer outre… C’est la force à longue distance la plus puissante de la nature, après tout.
- Mais dans un atome, les protons sont pourtant serrés les uns contre les autres, non ? Comment cela se peut-il ?
- Bonne question, très bonne question ! S’exclama-t-il, rayonnant. Vous devriez faire la physique !
Il me semble que je ne fais que cela depuis un bon moment, pensais-je.
- Dans le noyau d’Hélium, par exemple, poursuivit Schrödinger, il y a deux protons. Ils devraient se repousser. Mais les deux protons ne sont pas tous seuls. Il y a aussi deux neutrons. Et les protons et les neutrons sont liés, par ce qu’ils sont sensibles à l’interaction nucléaire forte.
- Ah, et qu’est-ce que c’est ?
- L’interaction nucléaire forte est l’une des quatre forces fondamentales, à partir desquelles sont issues toutes les autres forces. Ya, il n’existe que quatre forces dans la nature.
- Lesquelles ?
- La plus puissante récit-t-il comme s’il lisait un livre, est l’interaction nucléaire forte. C’est une force attractive, très puissante, mais à très petit rayon d’action. C’est elle qui lie entre eux les protons et les neutrons dans le noyau atomique. La seconde force est l’interaction électromagnétique. Elle est transportée par les photons. C’est elle qui permet à deux charges de même signe de se repousser, où à deux charges de signe contraire de s’attirer. Elle est également responsable du magnétisme. La troisième force est l’interaction nucléaire faible. Elle intervient très peu dans la vie courante, mais c’est elle qui permet la désintégration des atomes radioactifs. Enfin la dernière force, la moins puissante et de loin, c’est la gravitation. Mais, jeune-homme, dit-il soudain, je ne vois pas en quoi cela nous aide. Nous pourrions certes essayer de former une sorte d’atome d’Hélium avec nos chats…
- Un chatome ! Hasardai-je.
- Si fous foulez. Mais si les chats sont comme des protons, qu’est ce qui pourrait être pour eux comme des neutrons ?
Je n’en n’avais pas la moindre idée. Et visiblement, Schrödinger non plus.
- Et puis, dit-il, ce chatome ne serait pas un chat unique. Ce serait juste un système quantique un peu plus complexe que celui que nous observons ici, donc un système d’équations encore plus difficile à résoudre...
Je contemplai les deux chatons, désespéré. Me voyant les regarder, ils miaulèrent misérablement, tous les deux ensembles, sans cesser de tourner sur eux-mêmes. Soudain, il me vint une idée.
- Doc ! Demandai-je. Pourquoi tournent-ils dans le même sens, la même vitesse ?
La suite : Le magnétisme, et comment la solution surgit enfin !