La physique quantique pour les nuls (partie 6)

Publié le 28 août 2015 par Serdj

La physique quantique pour les nuls
(dernière partie)

6 : Le magnétisme,  et comment la solution surgit enfin !


Résumé des épisodes précédents :Toutes les tentatives du prof Schrödinger pour calculer la fonction d’onde des deux malheureux chats intriqués, et enfin pouvoir les réunir, semblent vouées à l’échec. Il faut trouver l’idée de génie !
 Schrödinger me regarda sans comprendre.
-    Oui, Doc ! Pourquoi sans le même sens ?
-    Mais… Parce qu’ils ont le même spin, voyons ! Souvenez-vous qu’ils sont le même chat, en réalité !
-    Oui, mais ne peut-on… je ne sais pas… Annuler ce spin ?
-    Je ne vois pas…
-    Moi, si !

Je m’approchai de l’un des chats, me baissai, et, saisit l’un des chatons au vol (bizarrement, les balles de ping-ping modifièrent leur trajectoire, s’écartant gentiment de moi pour me laisser faire). Prestement, je le retournai et le posai sur le dos. Le chat miaula, et se mit à tourner, sur le dos, dans l’autre sens ! Je m’aperçus alors que l’autre chaton s’était lui aussi mit aussi sur le dos, et avait lui aussi changé de sens !
-    Que se passe-il ? En retournant un chat, l’autre s’est retourné aussi !
-   Bien sûr ! Vous avez agi comme un champ magnétique sur deux atomes, et vous avez inversé simultanément leurs deux spins ! remettez-les à l’endroit, vous allez les rendre fous à tourner ainsi sur le dos !
J’attrapai l’autre chat, et le remis vivement à l’endroit. Le premier chat fit de même. Tous les deux avaient à nouveau changé de sens de rotation, revenant à leur sens d’origine.
-    Pourquoi est-ce que l’autre se retourne tout seul, Doc ?
-    Parce qu’ils sont intriqués, natürlich !
-    Ne pourrait-on pas essayer… de bloquer un des chats pendant qu’on retourne l’autre ?
-    Ne faites pas cela, malheureux !
-    Pourquoi ?
-    Parce qu’alors vous détruirez le délicat équilibre de cet atome d’Edwinium, ce chatome si vous voulez ; l’un des chats s’évanouirait dans la nature, et nous aurions toutes les peines du monde à les remettre ensemble dans cette pièce, vous vous souvenez des difficultés que vous avez eu à le faire la première fois ?
Effectivement. Cela me paraissait un siècle auparavant. Pourtant, je tenais à mon idée.
-    Doc, dis-je, si nous arrivons à les réunir en un seul chat, ce chat aura quel spin ?
-    Eh bien, -1/2 + 1/2 égale zéro, natürlich ! Et d’ailleurs nous ne voulons pas d’un chat qui tourne sur lui-même, nein ?
-    Nein, natürlich, dis-je.  Mais…
-    Mais ?
-    Eh bien, il faut trouver un moyen de les faire tourner en sens inverse, pour avoir un spin total égal à zéro !
La figure du Doc s’éclaira.
-    Ya ya ya ! S’exclama-t-il. Si les spins sont antiparallèles, ils vont s’attirer, et les deux chats fusionneront, en un chat unique de spin zéro ! Oui, c’est cela qu’il faut faire !
-    Mais comment ?
-   Je ne sais pas, avoua-t-il. Nein, je ne vois pas ! Ach ! A moins de reprendre tous les calculs…
J’hésitais. Il y avait un truc qui ne tournait pas rond.
-    Vous avez dit qu’en retournant un des chats, j’avais agi comme un champ magnétique sur un atome. Je ne comprends pas. Pourquoi ?
-    Pourquoi quoi ?
-    Quel rapport entre le champ magnétique et le spin ?
-    Mais enfin, dit Schrödinger, visiblement excédé par mes questions. Le champ magnétique, c’est le spin !
Première nouvelle.
-    Je suis désolé, Doc, mais vous n’avez pas encore parlé de ça. Je ne comprends pas. Il me semblait que le spin était lié à la rotation des particules sur eux-mêmes.
-    Ya !
-    Quel rapport avec le champ magnétique, alors ?
-    Cheune homme, vous savez sans doute que lorsqu’une particule électriquement chargée se déplace, cela crée un champ magnétique ?
-    Non, je ne savais pas.
-    C’est ce qui permet aux électro-aimants, et aux moteurs électriques, de fonctionner. Les électrons sont des particules chargées. Le courant passe, les électrons bougent, champ magnétique ; le courant ne passe pas, les électrons ne bougent plus (en moyenne), pof, plus de champ.
-    Pof, dis-je.
-   Ya, pof. Et, natürlich, fous allez me dire que vous ne savez pas pourquoi il en est ainsi. Pourquoi le mouvement des électrons crée-t-il un champ magnétique ?
-    Tiens, oui, pourquoi ?
-    Vous n’êtes peut-être pas physicien, mais vous êtes curieux, jeune homme. C’est bien, ça. La curiosité est la première qualité du scientifique ! Gut.
-    Gut !
-   Ya, Gut ! Cessez de répéter tout ce que je dis ! Bon. C’est un effet de la relativité restreinte.  Celle de ce petit crâneur d’Einstein, ya. Un électron, puisqu’il est chargé électriquement, crée un champ électrique.  On peut imaginer ce champ comme des petites flèches qui partiraient de l’électron dans tous les sens,  et qui l’entourent selon une forme sphérique, comme les piquants d’un oursin. Mais L’électron est très léger. Lorsqu’il se déplace, il va très vite. Pas à la vitesse de la lumière, mais pas loin. A peu près les deux tiers de cette vitesse. A des vitesses pareilles, la relativité démontre que le champ électrique s’aplatit dans le sens du déplacement. Il n’est plus sphérique, mais ovoïde. Maintenant, on démontre que tout se passe comme si le champ électrique avait acquis une seconde composante, qui n’agit que sur les charges en déplacement. Cette seconde composante, c’est le champ magnétique, ach !
-    Ah, dis-je.
-    Pour l’amour du ciel, cessez de répéter bêtement ce que je dis !
-    Mais, Doc, Je n’ai pas dit « ach », en allemand, j’ai dit « ah », en français !
-    Que… Bon.  Voyez-vous, ceci explique le champ magnétique créé par le courant électrique. Mais il existe un autre moyen de créer un champ magnétique.
-    Lequel ?
-    Devinez !
Là, il m’avait pris par surprise. Je ne voyais pas. Un champ magnétique. Comment créer un champ magnétique sans courant électrique ?
-    Un aimant ! M’écriais-je !
-  Gut, gut ! Nous avons alors une question intéressante : qu’est-ce qui crée le champ magnétique d’un aimant permanent, dans lequel il n’y a pas de courant électrique ?
-    Le spin ?
-    Ya ! Vous devenez très bon, jeune homme ! Mais quel spin ?
-    Celui des atomes de l’aimant ?
-    Soyez plus précis. Un atome, c’est un objet complexe.
-    Celui des électrons qui tournent autour du noyau ! M’écriai-je, ravi d’avoir trouvé. Ils se déplacent, donc ils créent un champ magnétique !
-    Faux ! Dit Schrödinger. Enfin, vrai et faux.
-    Comment ça ?
-    Ce sont bien les électrons, mais ce n’est pas leur déplacement autour du noyau qui crée le champ principal. Souvenez-vous,  les électrons n’ont pas vraiment de position précise. Ils sont partout à la fois, dans leur orbitale propre. On ne peut déterminer que leur probabilité de présence. Mais leur mouvement autour du noyau, si mouvement il y a, n’est pas leur seul mouvement.
-    Le spin, hasardai-je.
-   Oui, le spin ! Il crée un champ magnétique ! Mais seulement dans les atomes qui ont un nombre impair d’électrons.
-    Pourquoi ?
-  Parce dans un atome, les électrons occupent toutes les places possibles, en termes de niveaux d’énergie. Ils se présentent donc avec des spins alternativement positifs et négatifs, ou « haut » et « bas », si vous préférez. Leurs champs s’annulent deux par deux. Il n’y a que si le nombre d’électrons est impair que le dernier électron ne peut pas s’apparier avec un autre et donc la somme totale des spins n’est pas nulle. L’atome est possède alors ce qu’on appelle un moment magnétique de spin. Vous comprenez ?
-    Je crois.
-    Mais tous les matériaux faits avec des atomes « impairs » ne sont pas magnétiques, bien sûr. Sinon, le magnétisme serait bien plus répandu qu’il ne l’est. D’où la question que vous allez me poser…
-    Pourquoi certains matériaux sont-ils magnétiques et pas les autres ?
-    Oui ! c’est cela, la bonne question ! Dans la plupart des matériaux, les atomes sont orientés au hasard. Leurs moments magnétiques pointent dans toutes les directions, et leurs champ magnétique total est nul. Mais dans les matériaux dits ferromagnétiques, les atomes sont orientés tous, ou en majorité, dans la même direction. Le champ magnétique, qui résulte de la somme de tous les petits champs des atomes, est alors très fort.
-    Qu’est-ce que ces matériaux ont de si spécial, alors ?
-  Ach ! Vous apprenez à poser les bonnes questions, je vois ! Mais ce n’est qu’une image commode. Il faut se souvenir que le magnétisme vient des électrons. Le Fer, par exemple, possède 26 protons, donc 26 électrons, un nombre pair. Il ne devrait pas être magnétique !
-    Diable !
-  Mais le Fer est un métal. Dans les métaux, les atomes sont organisés géométriquement comme une sorte de cristal. Et si vous calculez – avec mon équation, notez bien – la fonction d’onde de tous les électrons du métal, vous obtenez, à cause de cette structure cristalline, un résultat curieux : les électrons des couches atomiques les plus externes sont « libres » ; ils peuvent se balader comme ils veulent dans tout le métal. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils conduisent l’électricité. En général, la moitié de ces électrons libres ont un spin « vers le haut », et l’autre moitié « vers le bas ». (Souvenez-vous que le spin est une grandeur quantique, et que quelle que soit la direction dans laquelle on le mesure,  on ne trouve que +1 ou -1). L’aimantation globale est donc nulle, c’est le cas du cuivre par exemple. Mais dans le Fer, la structure cristalline particulière des noyaux atomiques force les électrons libres voisins à avoir des spins identiques, alors que normalement ils devraient être opposés pour minimiser l’énergie.  C’est une conséquence du principe de Pauli. Lorsque des atomes sont très voisins, les orbitales de leurs électrons se chevauchent, et, curieusement, leur énergie est minimale lorsque les spins sont parallèles.
-    Et alors ?
-    Alors si tous les spins étaient parallèles, le Fer devrait naturellement aimanté ! Sauf qu’il ne l’est pas ! Le Fer réagit au voisinage d’un aimant, mais à l’état naturel il n’est pas un véritable aimant !
-    Mais… Pourquoi ?
-    Parce que tous les cristaux naturels ont des défauts. Des zones de fracture, si vous voulez, dans lesquelles l’orientation des spins change brusquement. Dans un morceau de Fer naturel, il y a une myriade de domaines magnétiques différents.  A l’intérieur de chaque domaine, les spins sont parallèles et chacun agit donc comme un minuscule aimant. Mais chaque domaine est un aimant qui pointe dans un sens différent. L’aimantation globale est donc presque nulle !
-    Dites donc ! C’est un vrai roman ! Euh… Mais alors, pourquoi les aimants attirent-ils le fer ?
-  Tout simplement parce que lorsqu’un morceau de fer est soumis à un fort champ magnétique, les spins tendent à s’aligner dans la direction opposée du champ. Les domaines dans lesquels les spins sont déjà bien orientés forcent, pourrait-on dire, les électrons libres voisins à adapter la même orientation. Il suffit, ach, d’une pichenette pour qu’un domaine entier bascule, que tous ses spins s’orientent dans la direction opposée au champ extérieur.  Avec un fort champ magnétique, vous pouvez transformer un morceau de fer en aimant permanent ! Et même si le champ n’est pas assez fort pour cela, les domaines qui sont proches de l’aimant  extérieur vont basculer, parce qu’ils sont attirés par lui !
-    Pourquoi cette attraction, au fait ?
-  Allons jeune homme ! Je croyais vous avoir expliqué qu’en réalité, il n’y a pas de force magnétique ! C’est bel et bien d’une force électrique qu’il s’agit. Les particules qui ont des spins parallèles  se repoussent, ceux qui ont des spins antiparallèles s’attirent, c’est tout ! D’ailleurs c’est pour cela que nos chats se repoussent mutuellement et ne peuvent s’assembler…
J’avais presque oublié les chats. Peste !
-    Dites, dis-je. Vous dites que nos chats sont comme des protons.
-    Deux protons intriqués. Deux images du même proton.
-    Oublions cela pour le moment. Et nos balles de ping-pong..
-    De ping-ping !
-    SI vous voulez. Elles sont comme des électrons.
-    Ya. Ensemble, ils forment une molécule de dihydrogène.
-    Je me souviens que vous avez déjà dit ce mot. Qu’est-ce que c’est ?
-   Une molécule formée de deux atomes d’hydrogène.  L’atome d’hydrogène est le plus simple atome de la nature. Il est formé d’un proton et d’un électron.
-    Oui, mais qu’est-ce qui différencie deux atomes d’hydrogène d’une molécule de, comment dites-vous ?
-    Dihydrogène. Et bien c’est une molécule, c’est tout !
-    Je ne comprends pas.
-    Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ?
-    Vous ne comprenez pas ce que je ne comprends pas ? Ou vous faites semblant ?
-    Je ne comprends pas pourquoi vous dites que je fais semblant de ne pas comprendre ce que vous ne comprenez pas.
Dieu du ciel ! On n’en sortira jamais, pensais-je.
-    Qu’est-ce qu’une molécule ? Demandais-je.
-    Ach ! C’est cela que vous ne comprenez pas ?
-    Oui.
-    Vous auriez pu le dire plus tôt ! Eh bien, une molécule, c’est un assemblage d’atomes qui sont liés ensemble par leurs électrons, du moins ceux de leur couche la plus externe.
-    Comment cela ?
Il soupira.
-    Dans une molécule, ces électrons particuliers perdent leur appartenance à un atome particulier. Quand on calcule leur fonction d’onde…
-    Avec votre équation, bien sûr !
-    Ya, natürlich ! On trouve qu’ils sont répartis tout autour des atomes de la molécule, selon des géométries plus ou moins complexes. Ils empêchent ainsi les atomes de se séparer, et la molécule reste entière.
-    Donc notre Edwinium est comme une molécule formée de deux atomes d’hydrogène.
-    Ya.
-    Dites-moi, l’hydrogène est-il un métal ?
-    Normalement, non. A très forte pression, oui, probablement.
-    Comment-ça, probablement ?
-    La pression nécessaire pour que les atomes d’hydrogène se rapprochent suffisamment  pour que les électrons quittent leurs protons respectifs et se mettent à gambader librement dans le métal se chiffre en millions d’atmosphères ! Personne n’a jamais obtenu, et ne pourra jamais obtenir une pression pareille. Toutefois…
-    Toutefois ?
-    Toutefois il semble que le noyau de la planète Jupiter, la plus grosse planète du système solaire, dont le diamètre est douze fois celui de la Terre, soit entièrement constitué d’hydrogène métallique. Si on pouvait l’extraire, ce serait fabuleux.
-    Pourquoi ?
-    Parce que tous les calculs montrent que l’hydrogène métallique serait  un supraconducteur à température ordinaire.
-    Hum !
-    Vous, jeune homme, vous avez encore une idée derrière la tête.
Effectivement, j’avais une idée.
-    Dites-moi, un proton, c’est tout petit ?
-    Oh oui ! A peu près un femtomètre.
-    C’est quoi, un femtomètre ?
-  Un millionième de nanomètre. Ou un millionième de milliardième de mètre, si vous préférez.
-    Whao ! Et un atome d’hydrogène, c’est grand comment ?
-    C’est beaucoup plus grand. A peu près d’un dixième de nanomètre. Cent mille fois la taille du proton.
-    Cent mille fois !
-    Ya, et alors ? Un atome, en réalité, c’est plein de vide !
-    Mais alors, si nos chats sont comme des protons, les atomes dont ils sont les noyaux devraient être cent mille fois plus grands qu’eux ! Cent mille fois dix centimètres, cela fait… au moins dix kilomètre de diamètre !
-    Diable ! Mais oui !
-    Pourquoi sont-ils si proches, alors ? Ils sont à un mètre l’un de l’autre !
-    Eh bien… je n’ai pas pu calculer leur fonction d’onde, mais je suppose que c’est parce qu’ils sont intriqués qu’ils sont, pour ainsi dire, comprimés…
-    Comme dans le centre de Jupiter, alors ?
Schrödinger sursauta, comme si une mouche l’avait piqué.
-    Diable ! Répéta-t-il. Des chatomes intriqués et comprimés ! Mais alors ils sont…
-    …comme une molécule hydrogène métallique…
-   …formant un seul domaine magnétique. Il suffirait alors d’une pichenette pour les diviser en deux sous-domaines de spin opposés ! Il suffit de soumettre l’un des chats à un champ magnétique pointant vers le haut, et l’autre chat à un champ magnétique pointant vers le bas ! C’est génial !
Je baissai modestement la tête. S’entendre dire qu’on est génial par Edwin Schrödinger, cela n’arrive pas tous les jours ! Einstein n’avait visiblement pas eu cet honneur !
-  Mais comment faire ? Demandai-je.  Comment créer ces deux champs magnétiques opposés ?
-    Là où est l’araignée, dit-il.
-    Quoi ?
-    Dans le plafond !
Allons bon, pensais-je. Voilà qu’il perd la tête à nouveau !

7. Epilogue.

(Résumé de ce qui précède : Schrödinger et moi avons enfin, semble-t-il, trouvé le moyen de ré-intriquer notre chat quantique qui s’était mystérieusement dédoublé. Mais voilà qu’il me dit que la solution se trouve dans une araignée qui serait dans le plafond !)
C’est vous qui avez une araignée dans le plafond, pensais-je. Je le regardai, pris d’une inquiétude grandissante. Il ne semblait vraiment pas dans son état normal. Il était agité de tremblements, un sourire inquiétant ne le quittait pas, et ses yeux étaient fixés vers le plafond. Je suivis son regard. Et alors la lumière se fit.
Le plafond du labo, assez haut il faut dire, était obscur, à peine éclairé par quelques ampoules vacillantes.  Tout comme le sol, et tous les murs, il était couvert de gros câbles électriques sommairement accrochés à des pitons qui semblaient juste suffisants pour les soutenir. Pire, il était couvert de toiles d’araignées.
Là où est l’araignée, répétais-je in petto. Il y avait effectivement deux bosses dans ce plafond, deux toiles d’araignées plus grosses que les autres. On aurait dit deux gros cylindres, de près d’un mètre de diamètre chacun.
-  Ce sont des électroaimants, précisa alors Schrödinger, qui avait suivi mon regard. Les mêmes que ceux qu’on utilisait autrefois dans les casses automobiles, pour  soulever les voitures. Ils n’ont pas servi depuis longtemps, mais ils sont toujours en état de marche. J’espère que j’aurai assez de puissance…
Plus rien ne pouvait m’étonner dans ce labo digne du plus foldingue des profs mabouls.
-    Ach, où donc ais-je mis les commandes ? S’exclama-t-il. Ah, ici !
Il se dirigea vers un mur, déplaça un panneau de bois couverts de feuilles punaisées toutes jaunies et couvertes de formules mathématiques, et découvrit une sorte de compteur électrique munie de deux gros leviers et de quatre autres plus petits. Précautionneusement, il actionna les petits leviers. Apparemment, ils commandaient des moteurs électriques reliés à des filins qui permettaient de déplacer les deux gros électroaimants. Il parvint tant bien que mal à les positionner, chacun au-dessus de l’un des chatons.
-    Attention, dit-il. Je vais actionner les aimants !
Je me reculai précipitamment. Schrödinger me fit un clin d’œil, saisit les deux gros leviers, et subitement, les abaissa. Il y eut une sorte de bourdonnement, puis un flash éblouissant accompagné d’un craquement de tonnerre, et brusquement les plombs sautèrent. Je me retrouvai dans le noir !
-    Doc ! Criai-je. Est-ce que ça va ?
Silence.
-    Doc ! Répétai-je. Vous êtes là ?
Nouveau silence, puis j’entendis le faible miaulement d’un chaton.
-    Edwin ! Tu es là ?
Je n’y voyais rien. Puis je me souvins que j’avais un briquet dans l’une de mes poches.  Fébrilement, je l’allumai.  A la lumière tremblotante, je distinguai un chaton, un seul, qui s’approcha nonchalamment, comme le font tous les chats. Aucune trace de son alter ego. L’expérience avait-elle réussi ? Sur le sol, les deux balles de ping-ping gisaient, immobiles, redevenues deux balles de ping-pong anonymes. Mais Schrödinger restait invisible. J’attrapai le chat, qui se blottit contre moi en ronronnant. Fébrilement, je parcouru l’espace qui me séparait du tableau électrique. Ce dernier fumait. Mais aucune trace de Schrödinger.
-    Doc ! Professeur ! Appelai-je encore une fois. Vous m’entendez ?
Je parcouru tout le labo, réussit à réenclencher le disjoncteur, fouillai toute la maison. Je dus me rendre à l’évidence. L’expérience avait réussi, le chaton était de nouveau entier, mais le prof semblait avoir mystérieusement disparu. Que faire ? Au bout d’une heure, je décidai de rentrer chez moi, en emportant Edwin, bien sûr.
Une fois chez moi, après avoir nourri le pauvre chat affamé, j’allumais mon ordinateur, me connectai à Wikipédia, et découvris à ma grande surprise que Edwin Schrödinger était mort en 1961.  Mais alors, qui était l’homme que je venais de quitter ? Un fantôme ? Etait-il possible que je j’aie été témoin d’un phénomène de non-localité quantique affectant non seulement l’espace, mais aussi le temps ? Je restai longuement assis devant l’écran, à méditer sur l’incroyable expérience que j’avais vécue. Puis Edwin sauta sur mes genoux, m’invitant à le caresser, câlin, ronronnant de plus belle.

-    Tu es vraiment trop mignon, dis-je. Bienvenue dans le monde réel, le monde quantique !
 
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>A voir aussi : la Relativité pour les nuls !
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