La physique quantique pour les nuls
(2e partie)
2. Le principe d’incertitude et l’intrication
Résumé de l'épisode précédent : Après une rencontre avec un individu étrange appelé le professeur Schrödinger, je me suis retrouvé propriétaire d’un chaton, rescapé d’une expérience de physique quantique bizarre au cours de laquelle, selon le prof, le chat serait à la fois vivant et mort…)Plusieurs jours se passèrent et je finis par oublier le Doc Schrödinger et sa théorie quantique. Edwin est maintenant un jeune chat vif et n’a pas du tout l’air de se trouver dans une superposition d’états quantiques. Je finis par me convaincre qu’il avait trouvé un moyen d’ouvrir la boîte verte sans se faire tirer dessus. C’est en revenant chez moi un beau soir, que je compris que quelque chose de bizarre venait de se passer : Pour m’accueillir, il n’y avait plus un chat, mais deux, identiques au poil près !
- Ça alors ! Edwin, tu as un frère jumeau ? M’étonnais-je. Lequel des deux est-tu ?
Ils étaient vraiment identiques. Mais leur comportement était bizarre. Ils bougeaient sans cesse, comme s’ils avaient été piqués par une puce. Je tentais alors d’en attraper un. A ma grande surprise, l’autre accéléra, et disparut à toute vitesse, en passant à travers le mur !
- Ça alors ! M’exclamais-je en reposant le chat par terre.
Mais je n’étais pas au bout de mes surprises. A peine avais-je reposé le jeune chat qu’il se mit à gigoter. Aussitôt, l’autre chat réapparut, courant lui aussi en tous sens ! Je tentai de l’attraper. C’est le premier chat qui disparut alors à toute allure ! Je réitérai l’expérience plusieurs fois : chaque fois que j’attrapai un chat, l’autre accélérait fantastiquement et s’évanouissait dans un mur, le sol ou même le plafond ! La seule manière de les avoir tous les deux, c’était de les laisser danser la gigue sans chercher à les attraper ou à restreindre leurs mouvements. Et le pire, c’est qu’ils n’avaient pas l’air d’aimer ça ! Ils miaulaient comme si une mouche les avait piqués. Merde, que faire ?
Il était clair que l’expérience bizarre à laquelle le doc Schrödinger avait soumis Edwin n’avait pas été sans conséquences. Il fallait que je retourne le voir, de toute urgence ! Mais comment transporter deux chats dont l’un s’évanouit dans la nature dès que je saisis l’autre ? Soudain, j’eu une idée.
Claquant la porte, je quittai mon domicile et me ruait à l’animalerie du coin. J’achetai deux grandes cages, du genre de celles qu’on utilise pour les hamsters, avec une grande roue à l’intérieur. Je les ramenai à la maison, attrapai un des deux chatons (faisant disparaitre l’autre), et le mis dans la cage, où il se mit à courir dans la roue. L’autre chaton réapparut ! J’eu toutes les peines du monde à le faire entrer dans la seconde cage, sans l’attraper. Enfin, j’y parvins. J’avais maintenant deux chats qui tournaient follement, chacun dans sa cage, de manière parfaitement synchronisée.
Attrapant les deux cages, je me ruais chez le doc et sonnai à sa porte.
- Ach ! Fit-il en ouvrant. Je vous reconnais ! C’est vous qui avez saboté ma belle expérience !
- Euh, oui, excusez-moi, je suis désolé, mais j’ai besoin de votre aide. Vous voyez ces deux chats ?
Schrödinger haussa les sourcils.
- Diable ! S’exclama-t-il. Il y en a deux !
- Eh oui, j’ai découvert le second il y a une heure à peine. Mais ils sont vraiment bizarres. Il est impossible d’en attraper un sans que l’autre ne disparaisse. C’est vraiment…
- Bizarre, acheva-t-il. Mais oui ! Je comprends tout !
- Vous avez bien de la chance !
- Mais entrez, jeune homme, dit-il en s’effaçant pour me laisser entrer chez lui.
La pièce était dans un état encore pire que celui dans lequel je l’avais trouvé la fois précédente. Elle était remplie du sol au plafond d’appareils compliqués d’apparence archaïque. Le congélateur était encore là. Ouvert.
- Comment avez-vous fait pour l’ouvrir ? C’est moi qui ai la clé !
- C’est vous qui me l’avez volée, vous voulez dire !
- Euh… Excusez-moi, mais je voulais seulement vous empêcher de tuer ce chat !
- Oui, oui. Bon, laissons cela. Posez ces cages par terre, voulez-vous ? Bon, continua-t-il tandis que je m’exécutai, j’avais le double de la clef. Mais je l’avais oubliée au fond d’un tiroir ! C’est seulement aujourd’hui que je m’en suis souvenu. J’ai alors ouvert le container et…
- Un instant, l’interrompis-je. Vous voulez dire que… Le deuxième chat… C’est à cause de vous ?
A son tour, il parut gêné.
- Oui. Bon. Donc quand j’ai ouvert le container, j’ai découvert que le compteur Geiger avait bien enregistré une désintégration, mais le révolver n’avait pas tiré, parce que j’avais oublié de le charger ! Quel distrait je fais ! J’ai alors ouvert la boîte verte, et le chat était encore là !
- Quoi !!?
- Heureusement que j’avais mis de la nourriture dans la boîte, hein ? Sinon il serait mort de faim. Mais à peine avais-je essayé de l’attraper, qu’il s’est évanoui en passant à travers le plafond ! C’est incroyable ! Et c’est chez vous qu’il a… Atterri alors ? Diable ! Il a dû synchroniser ses coordonnées spatio-temporelles avec celles de son double intriqué, je ne vois pas d’autre explication !
- Doc, je ne comprends rien à ce que vous dites.
Schrödinger me regarda comme si j’étais le dernier des idiots. Puis il haussa les épaules.
- C’est vrai, j’oublie toujours que vous êtes un béotien. Bon alors je vais tenter de vous expliquer ça simplement. Il n’y a pas deux chats, il en a qu’un seul.
- Vous voulez dire que le second chat est une illusion, c’est ça ?
- Non, non ! Le second chat est tout aussi réel que l’autre. En réalité ils sont le même chat. C’est comme si on le voyait en double. Si vous en tuez un, l’autre mourra.
- Mais c’est terrible !
- C’est pour cela qu’ils remuent sans cesse, poursuivit-il, ignorant mon exclamation. On ne peut pas mesurer simultanément leur position et leur vitesse avec une précision arbitraire, à cause du principe d’incertitude.
- Vous ne pourriez pas arrêter de parler chinois ?
- Le principe d’incertitude, articula lentement le physicien, dit que l’on ne peut pas mesurer avec une précision arbitraire deux variables couplées telles que la position et la quantité de mouvement, l’angle de rotation et le moment angulaire, ou encore l’énergie et le temps.
- Là, ça n’est plus du chinois, c’est de l’hébreu.
- Disons que c’est… de l’allemand.
- Ach ! Dit Schrödinger. L’allemand est une jolie langue pour faire de la physique !
- Certainement, certainement, acquiesçai-je, ne voulant pas le contrarier.
- Pour une raison mystérieuse, probablement à cause du plutonium que contient mon appareil, notre chat semble dédoublé, et de plus il se comporte comme une particule, probablement un proton. Il est impossible de mesurer simultanément sa position et sa vitesse. Vous comprenez ?
- Oui ! C’est beaucoup mieux quand vous parlez français.
- Je suis sûr que si je tentais d’en immobiliser un, l’autre acquerrait aussitôt une vélocité formidable et on le verrait s’éloigner à la vitesse de la lumière…
- Doc ! C’est exactement ce qui s’est passé chez moi ! J’ai essayé de les attraper tous les deux, mais…
- Ya, Ya ! Vous foyez, j’ai raison !
J’avais déjà remarqué que lorsqu’il s’excitait, il prenait un accent allemand de plus en plus prononcé. Je devais tenter de le calmer un peu.
- Mais qu’est-ce qu’on peut faire ?
- Ce qu’on peut faire ? Ce qu’on peut faire ? Mais des expériences !
- Des expériences ?
- Mais oui ! Ce chat quantique est un trésor fabuleux pour la physique ! Fous fous rendez compte ? C’est extraordinaire ! Normalement, les phénomènes quantiques ne sont observables qu’à l’échelle microscopique ! Or ici, nous avons un chat quantique ! Je dois prévenir tous mes collègues ! Bohr, Heisenberg, Dirac, Pauli, Einstein, Podolsky et Rosen !
- Doc ! Criai-je, scandalisé. Il n’est pas question de ça ! Il faut le rendre à son état normal !
Schrödinger haussa les sourcils en signe d’incompréhension. Puis il se détendit.
- Natürlich, ya ! Mais comment foulez-vous que je fasse sans étudier d’abord ce chat ?
- Fou… Vous voulez dire que vous ne savez pas ce qu’il faut faire ?
Pour toute réponse, le vieux physicien se dirigea vers une cafetière qui trônait de manière incongrue sur une paillasse de chimiste, entre deux rangées de cornues en verre et d’alambics en cuivre.
- Café, jeune homme ? Avec un peu de schnaps, c’est délicieux, vous savez ?
Pourquoi pas, après tout. J’acquiesçai. Il me servit, m’invita à m’assoir dans l’unique fauteuil, et prit place sur une sorte de transformateur cylindrique, qui bourdonnait de manière inquiétante.
- Voyez-vous, dit-il, les deux images de ce chat sont intriquées. Ils partagent la même fonction d’onde.
- Qu’est-ce que cela veut dire ?
- Cela veut dire qu’ils possèdent des propriétés qui sont différentes de celles qu’on obtiendrait avec deux chats réels, même parfaitement identiques. L’intrication est un phénomène quantique fascinant. On peut expérimentalement l’obtenir avec des photons simultanés issus d’un même atome. Les photons sont alors corrélés…
- Je suis désolé, mais vous recommencez à parler chinois.
- Décidément, il faut tout vous expliquer, à vous. Vous n’avez jamais été à l’école ?
- Si, mais je ne suis pas physicien.
- Personne n’est parfait. Ach. Bon, vous connaissez l’origine de la lumière ?
- L’origine de la lumière ?
- Oui. Celle du soleil, d’une ampoule électrique, d’une LED, toutes les sources de lumières.
- Euh…
- Les photons sont émis par les électrons des atomes. Lorsque un atome est excité, parce qu’il a été chauffé par exemple, ses électrons sont instables, et ils peuvent se désexciter spontanément en émettant un photon de lumière, revenant ainsi à un état stable.
- Je ne savais pas.
- Vous êtes bien ignorant. Bon. Dans certains cas, avec des lasers, on peut placer le nuage électronique qui entoure un atome dans un état doublement excité. Peu importe ce que cela veut dire, continua-t-il en voyant mon air ahuri. Ce qu’il faut retenir, c’est que cet atome va alors émettre deux photons d’un seul coup, dans deux directions opposées.
Je ne voyais pas du tout où il voulait en venir.
- Oui, et alors ?
- Alors ces deux photons sont étranges. Ils sont intriqués. Les mesures que l’on fait sur l’un conditionnent instantanément l’état de l’autre, comme s’il n’y avait qu’un seul photon. Comme notre chat.
- Ah ! Je vois. Ou plutôt, je ne vois pas du tout. Qu’est-ce qu’un état intriqué ?
Schrödinger sourit.
- Je vais vous donner une analogie. Imaginez que j’envoie chaque jour deux lettres à deux de mes collègues, disons Bohr et ce petit prétentieux d’Einstein. Dans chaque enveloppe, je ne mets qu’un bout de papier, portant soit le signe « + » soit le signe « - ». Je choisis au hasard un des deux signes et je l’envoie à Bohr, puis j’envoie le même signe à Einstein. Tous les jours, pendant des années. Si un jour Bohr et Einstein se rencontrent, ils pourront comparer la série des signes qu’ils ont reçus l’un et l’autre, et ils constateront que les deux séries sont aléatoires, mais parfaitement corrélées. Chaque fois que l’un a reçu « + », l’autre a reçu « + » et vice-versa.
- Oui, et alors ?
- Alors ça, c’est une corrélation, mais ce n’est pas une intrication. L’intrication quantique, c’est beaucoup plus étrange que cela.
Je ne sais pas pourquoi, une phrase que j’avais lue quelque part apparut brusquement dans mon esprit : Deux cœurs qui ont interagi dans le passé ne peuvent plus être considérés de la même manière que s'ils ne s'étaient jamais rencontrés. Marqués à jamais par leur rencontre, ils forment un tout inséparable. Je sentais que j’étais sur le point de comprendre quelque chose. Mais Schrödinger continua à parler. L’impression disparut.
- Considérons un photon de lumière. Nous connaissons parfaitement sa vitesse, donc imparfaitement sa position parce après tout, c’est aussi une onde. Les seules choses que nous pouvons mesurer, ce sont sa fréquence, qui est proportionnelle à son énergie, et sa polarisation.
- Sa quoi ?
- Vous n’avez jamais fait de photographie ? De la vraie photographie, avec un véritable appareil reflex et pas un téléphone de merde ?
- Si, avouai-je.
- Alors vous savez qu’on peut mettre devant l’objectif un filtre polarisant. Ce filtre est formé d’une myriade de petites rainures parallèles, qui ne laissent passer que les photons qui vibrent dans le même sens, disons verticalement. Si vous positionnez un second filtre polarisant derrière le premier, mais orienté à quatre-vingt-dix degré du premier, donc horizontalement, vous allez bloquer presque tous les photons. C’est le principe des lunettes de soleil polarisantes.
Admettons, pensais-je.
- Oui, et alors ?
- Alors il se trouve que l’on ne peut mesurer la polarisation que dans une direction à la fois, disons verticale ou horizontale, mais pas les deux. Pour mesurer la polarisation d’un photon, il faut le faire passer à travers un filtre polarisant orienté, disons verticalement, puis le faire tomber sur une cellule photoélectrique et mesurer l’énergie reçue. Vous obtenez alors l’intensité de la polarisation verticale, pour simplifier soit « + » soit « - ». Mais vous ne pouvez plus mesurer l’intensité de la polarisation horizontale, parce que le photon, en passant à travers le filtre vertical, a acquis une polarisation strictement verticale et que sa fonction d’onde dans le sens horizontal a été réduite à zéro. En fait, il est impossible de connaitre exactement à la fois la polarisation horizontale et la position verticale d’un seul photon. C’est une des conséquences du principe d’incertitude. Vous me suivez ?
- Euh…
- Juste avant la mesure, le photon est dans un état superposé « horizontal Plus vertical » avec des coefficients qui donnent la probabilité de le trouver dans l’un ou l’autre état. Mais dans le cas de deux photons corrélés, ou intriqués, émis simultanément par le même atome, les polarisations des deux photons sont toujours obligatoirement identiques. Si l’un est vertical, l’autre est aussi vertical et vice-versa. Et nous avons alors un paradoxe.
- Lequel ? Demandai-je, un peu perdu, mais intéressé néanmoins, même si je ne voyais pas encore le rapport avec la choucroute, et encore moi avec le problème des deux chatons.
- Eh bien, avec un premier appareil, nous allons mesurer l’intensité de la polarisation horizontale du premier photon. Et avec un second appareil, éventuellement très loin du premier, nous allons mesurer l’intensité de polarisation verticale du second photon. Nous avons alors un moyen de déterminer à la fois la polarisation verticale et la polarisation horizontale, ce qui est impossible d’après le principe d’incertitude !
Mouais, pensais-je, mais quel rapport avec la choucroute ?
- Mais en réalité, poursuivit Schrödinger, le principe d’incertitude est toujours respecté. L’expérience ne marche pas. Ou en fait elle marche trop bien. Le fait expérimental, vérifié des centaines de fois, est que chaque fois qu’on trouve que l’un des photons est polarisé verticalement, l’autre est toujours polarisé verticalement lui aussi et la mesure de polarisation horizontale donne toujours zéro. Et vice-versa. Il est impossible en pratique de mesurer les polarisations dans les deux sens, même avec un appareillage conçu exprès pour ! C’est comme si, dès que je trouve que l’un des deux photons est vertical, l’autre acquérait toujours instantanément une polarisation verticale. Et ce, quelle que soit la distance entre les deux appareils. Vous voyez en quoi cela ressemble à mon expérience avec les enveloppes que j’ai envoyées à mon grand ami Bohr et à ce petit con prétentieux d’Einstein ?
- Euh… Eh bien non.
Schrödinger leva les yeux au ciel.
- Comment vous faire comprendre ? Reprenons depuis le début.
Cette fois, c’est moi qui levais les yeux au ciel.
- Supposons, reprit Schrödinger, ignorant ma mimique, que j’envoie à mon ami Bohr une lettre contenant deux petites enveloppes marquées « H » et « V ». A l’intérieur de chaque petite enveloppe, je mets un papier contenant soit le signe « + » soit le signe « - », en choisissant au hasard à chaque fois. Il peut y avoir deux « + », ou deux « - », ou un « + » et un « - », je choisis au hasard pour chacune des deux enveloppes. L’astuce, c’est que j’ai muni ces deux petites enveloppes d’un dispositif astucieux qui fait que dès qu’on ouvre une des deux enveloppes, le contenu de l’autre sera immédiatement effacé, de sorte que Bohr pourra seulement connaitre le contenu de l’une des deux enveloppes. En terme quantiques, il ne pourra connaitre que le résultat d’une seule mesure de polarisation. Vous me suivez ?
- A peu près.
Il reprit son souffle.
- Ach, c’est ici que cela se corse. Bohr, en recevant l’une de mes lettres, disons la numéro 91, va devoir choisir laquelle des deux petites enveloppes il pourra ouvrir, puisque le contenu de l’autre se détruira aussitôt. Il choisit donc au hasard, disons l’enveloppe H. Et il note le résultat que contient l’enveloppe, disons « 91 : H+ ». Comme j’ai choisi au hasard ce que j’allais mettre dans chaque enveloppe, le résultat est parfaitement aléatoire. Einstein, de son côté, fait de même. Il note, disons « 91 : V-». Là aussi, cela lui semble dû au hasard. Mais lorsque, plus tard, après avoir reçu des centaines de lettres, ils comparent leurs résultats, ils sursautent car cela leur semble magique.
- Comment cela ?
- Tout d’abord, pour chacune des lettres pour lesquelles ils ont choisi la même petite enveloppe (H ou V), les signes + et – qu’elles contenaient sont les mêmes. C’est normal, se disent-ils, nous recevons les résultats de mesures sur deux photons intriqués donc les mesures de polarisations sont identiques. Mais s’ils ont choisi des enveloppes différentes, les signes sont opposés ! Si pour la lettre 18 Bohr avait choisi l’enveloppe H, et noté « 18 : H+ » alors Einstein, en ouvrant l’enveloppe V de la lettre 18, verrait qu’elle contient le signe « -» ! Ceci parce que la mécanique quantique interdit de mesurer à la fois une polarisation verticale et horizontale ! Comme ils ont choisi au hasard, chacun de leur côté, et sans se concerter, quelle enveloppe ils allaient ouvrir, cela leur semble magique ! Comme si le fait que Bohr choisisse une des enveloppes déterminait instantanément le contenu de l’enveloppe qu’Einstein s’apprêtait à ouvrir de son côté !
- C’est très joli, dis-je. Mais quel rapport avec mon chat ?
- Et la nature est vraiment comme ça ! Poursuivit Schrödinger sans me répondre et visiblement emporté par son sujet. Toutes les expériences le confirment, quelle que soit la distance entre les deux mesureurs de polarisation ! Notez que cela ne permet en aucun cas à Bohr d’envoyer un message codé à Einstein, parce les enveloppes qu’il ouvre, pour lui, ont un contenu parfaitement aléatoire. Et réciproquement.
- Oui, mais pour mon chat ?
- Ah oui, le chat ! Eh bien, il faut considérer que nous avons deux chats intriqués. Pour eux, la position et le mouvement sont les deux variables corrélées, de la même manière que les deux polarisations de nos photons sont leurs deux variables corrélées. Pour les « désintriquer », si vous me permettez cet aphorisme qui est en fait un euphémisme, à mon que ce ne soit un apophtegme, voire un apophtegmorisme,…
- Au fait, au fait !
- Eh bien, il faudrait mesurer simultanément leur position et leur vitesse, ce qui est apparemment impossible. Sauf…
- Sauf ?
- Si nous les refroidissons suffisamment. Le froid les ralentirait, et permettrait peut-être de les rapprocher suffisamment pour...
Je jetai un œil suspicieux vers le congélateur qui trônait toujours au centre de la pièce.
- Vous n’allez pas les remettre la dedans ?
Il sursauta.
- Grand Dieux, non ! Je pensais à un refroidissement quantique, bien entendu !
- Un refroidissement quantique ? Qu’est-ce que c’est ?
- Pour refroidir encore davantage les atomes d’un gaz très froid, on les éclaire avec un laser qui a presque la fréquence que leur fréquence naturelle d’émission ou d’absorption, juste un peu en dessous. Lorsque l’atome se rapproche du laser, la fréquence lumineuse que l’atome perçoit est, du fait de l’effet doppler, un peu supérieure à sa fréquence vu par un observateur fixe et devient égale à la fréquence naturelle de l’atome. Il absorbe alors un photon, ce qui le ralentit, donc le refroidit. Mais… (il réfléchit) Pour notre chat, cette fréquence serait bien trop élevée. Et puis un laser de cette puissance le tuerait. Non. Il y a peut-être un autre moyen. Vous jouez au ping-pong ?
La suite : L'équation de Schrödinger