Un essai stimulant sur les origines de la crise de 2008 et
le poids de l’interventionnisme public, qui peut parfois mener aux pires
catastrophes.
Revue de livre par Johan
Rivalland.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, à la lecture de
son titre, ce livre est loin d »être une apologie du libéralisme ou quoi
que ce soit qui puisse s’y assimiler. Je dirais même que, libéral ou pas,
chacun peut avoir intérêt à le lire, pour y trouver une leçon d’économie
contemporaine tout à fait intéressante et digne d’intérêt, propice à la
réflexion puis sujette à discussion.
Certes, son auteur, économiste et financier international ne
se cache pas d’être un libéral convaincu et entend bien exprimer en quoi il
estime ne pas avoir à s’en sentir fautif, ni coupable de quoi que ce soit. Mais
son ouvrage permet surtout d’y voir beaucoup plus clair sur le scénario fou qui
a précipité le monde dans la crise économique. Sans qu’il fasse une fixation
sur le libéralisme en tant que tel, dont il parle bien peu en réalité.
De
l’interventionnisme public à la crise financière et économique
Ainsi, avec un grand sens de la pédagogie, Charles Gave nous
révèle une série de paradoxes qui sont à l’origine des dérèglements du marché.
Premier paradoxe, pour un libéral proclamé, l’auteur nous
explique pourquoi la monnaie se doit d’être considérée selon lui comme un bien
public, de par les trois fonctions économiques de base qui sont les
siennes. Partant de là, et c’est le second grand paradoxe, c’est un
gouvernement démocrate, en l’occurrence celui de Bill Clinton, qui a privatisé
la monnaie en 1999 en abolissant le Glass Steagall Act, pourtant adopté en 1938
pour tirer les enseignements de la crise de 1929, en séparant obligatoirement les
activités des banques de dépôts et celles des banques d »affaires, ces
dernières assurant traditionnellement leur prise de risque sur leurs propres
fonds.
La raison : le lobbying des banques classiques, confrontées
au déclin face à l’invention des fonds de trésorerie, et le vote d’une loi
distordant la concurrence par les démocrates, pour honorer une promesse faite
en échange de paiement des frais de campagne électorale (!). Il s’en est
suivi une période de création monétaire folle et incontrôlée, doublée d’une
fragilisation du système économique, les dépôts des épargnants étant mis en
danger tandis que plus aucune morale n’intervenait dans l’échelle des
rémunérations des banquiers.
S’y est ajoutée ensuite une seconde erreur de politique
économique, cette fois de la part de Mr. Greenspan, ayant trop tardé et trop
peu à remonter le niveau des taux d’intérêt après la reprise économique du
printemps 2002 consécutive aux attentats de septembre 2001. Une spirale
spéculative s’est alors développée, entraînant une accumulation de dettes
partout dans le monde et une dépréciation du dollar.
Un marché comme devenu fou, sous l’effet de deux erreurs de
politique économique, autrement dit de l’interventionnisme public. Et
comme tout est toujours inter-imbriqué en économie, c’est ensuite à la crise
financière asiatique des années 1990 que Charles Gave remonte, montrant comment
l’interventionnisme via le choix d’un taux de change fixe par rapport au dollar
a, là encore, fait dériver le système et est également en partie à l’origine de
la crise actuelle.
Puis, à travers différents chapitres successifs, l’auteur
nous invite à un voyage à travers la planète, au cours duquel il nous explique
en quoi selon lui l’euro s’est avéré être un désastre pour nos économies (une
explication qui vaut son pesant d’or), puis en quoi certains pays de l’ancien
bloc communiste ont compromis leur économie en cédant à la facilité de
l’emprunt massif en monnaies étrangères, les menant à la même situation de
grave crise que la Thaïlande en 1997, sans oublier le lourd problème des
systèmes de retraites.
Le rôle des banques
et des politiques dans la crise financière de 2008
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux origines
de la crise financière de 2008, due aux excès de prêts et de création monétaire
de la part des banques, compromises dans des dissimulations et mensonges
massifs, avec la complicité des banques centrales, ainsi que des autorités de
contrôle, agences de notation et pouvoirs politiques, qui n’ont pas joué leur
rôle.
Remontant à la dépression des années 1930, Charles Gave
montre comment sont nés, sous l’impulsion de Franklin Roosevelt, Fanny Mae et
Freddy Mac, conduisant à des distorsions du marché des capitaux, les deux
organismes se conduisant par ailleurs comme deux des plus puissants lobbies
américains, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer (corruption
généralisée, fonds propres insuffisants, abus de position dominante, faveurs,
etc.), à côté desquels notre épisode du Crédit Lyonnais ne constituerait qu’une
« aimable plaisanterie » selon l »auteur.
D’où, dans les années Clinton, l’injonction faite aux
banques de prêter aux minorités en vue de leur permettre d’accéder à la
propriété, intention louable dont on sait aujourd’hui qu’elle a conduit à
l’envolée des prix de l’immobilier aux États-Unis, à une spéculation démesurée
et des niveaux ridiculement bas des taux d’intérêt, entraînant à leur tour une
envolée de la masse monétaire, une titrisation des dossiers pourris, avant le
scénario du désastre que l’on connaît.
De manipulations en manipulations (publiques), le système a
complètement dérivé, faussant totalement les mécanismes du marché, conduisant
ainsi à la fameuse « présomption fatale », Charles Gave s’appuyant sur le
concept issu de la pensée hayékienne pour montrer comment les nobles intentions
des élites auto-proclamées (Davos) censées régir le monde ont conduit au
désastre.
Sources d’espoir et
d’inquiétude pour l’avenir
Enfin, dans une troisième partie, à travers une analyse plus
spécifiquement centrée sur la crise actuelle, ainsi que sur les éléments de
démographie disponibles et les principes de la destruction créatrice
(Schumpeter étant l’économiste préféré de l’auteur), présente les sources
d’espoir ou d’inquiétude, quant à l’avenir proche et plus lointain, en
s’appuyant sur la situation de chaque pays.
Nous sommes, nous dit-il, à l’orée d’une révolution à la
fois économique, démographique, technologique, énergétique et
organisationnelle, dont l’importance est tout à fait comparable dans son
ampleur à celle du XIXème siècle. De notre capacité à passer à une économie de
la connaissance, refonder notre système éducatif et révolutionner notre
économie dépendront ses résultats.
Un ouvrage vif, passionnant et stimulant. Même s’il remonte
à 2009, il n’a rien perdu de sa vigueur et constitue une très bonne source pour
tenter d’y voir plus clair dans les débuts de la crise et les éléments liés à
l’histoire de l’économie.
À conseiller à tous les esprits ouverts, pour inviter à un
débat des plus intéressants. On peut aussi retrouver des chroniques plus
récentes de Charles Gave sur son site l’Institut des Libertés.
Charles Gave, Libéral mais non coupable, François Bourin Éditeur,
septembre 2009, 152 pages.