DROIT DE LA MER Les nouvelles frontières de l’Arctique

Publié le 28 août 2015 par Blanchemanche
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Vendredi 28 août 2015
Etienne Dubuis
Les pays riverains de l’océan glacial Arctique se disputent ses eaux et ses plateaux. La présence d’énormes quantités d’hydrocarbures attise les ambitions
Une plateforme de forage au large du Groenland. Le réchauffement climatique ouvre de nouvelles perspectives aux compagnies pétrolières. (Keystone)
Le partage de l’océan glacial Arctique est en cours. La Russie l’a rappelé le 3 août dernier en présentant de nouvelles revendications sur le plancher de cet immense espace de 14 millions de km² auprès d’une commission spécialisée de l’ONU. Le processus est d’autant plus important qu’à la faveur du réchauffement climatique cette région particulièrement hostile s’ouvre peu à peu aux activités humaines. Et qu’elle abriterait selon diverses études géologiques d’énormes quantités d’hydrocarbures.La communauté internationale s’est dotée d’un instrument juridique pour gérer les revendications des Etats côtiers sur leur voisinage marin: la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Cet accord, conclu en 1982 à Montego Bay, en Jamaïque, et ratifié depuis par l’écrasante majorité des membres de l’ONU, distingue plusieurs espaces au large du continent: les eaux territoriales, jusqu’à 12 milles marins (20 kilomètres) des côtes; la zone contiguë, sur les 12 milles marins suivants; et la zone économique exclusive, sur une largeur de 200 milles marins à partir du rivage. A chacune de ces étendues correspondent des droits différents: souveraineté pleine et entière dans la première; droits de surveillance dans la deuxième; et droits exclusifs d’explorer et d’exploiter les ressources des fonds marins et de la colonne d’eau dans la troisième.A cela s’ajoute un espace particulier, également sujet à revendications: le plateau continental, soit les fonds marins situés dans la continuité du continent avant leur plongée dans les abysses. La Convention sur le droit de la mer prévoit que les pays riverains peuvent le revendiquer sous certaines conditions au-delà des 200 milles marins: jusqu’à 370 milles marins du rivage ou sur une distance de 100 milles marins après l’isobathe (la courbe de profondeur) de 2500 mètres, selon leur préférence.Le partage de l’Arctique a été quasiment réglé sur terre: il n’y reste qu’un seul contentieux, qui oppose le Danemark et le Canada à propos de l’île de Hans, un minuscule territoire situé entre l’île d’Ellesmere et le Groenland. Les controverses sont plus nombreuses en mer, mais la principale d’entre elles, qui concernait le partage de la mer de Barents entre la Russie et la Norvège, a été réglée en 2010. Les principales dissensions concernent aujourd’hui le plateau continental au-delà des 200 milles marins, un espace sensiblement plus difficile à délimiter et, donc, à répartir.La Convention sur le droit de la mer prévoit que les Etats riverains qui revendiquent un plateau continental au-delà des 200 milles marins déposent une demande en ce sens devant une institution onusienne spécialisée, la Commission des limites du plateau continental. Cette autorité se base sur les données, notamment géologiques, qui lui sont livrées pour accepter la requête, la refuser ou encore demander des compléments d’information.Convaincre la commission de ses droits sur un plateau continental demande un gros effort mais ne suffit pas toujours. Il arrive que des zones revendiquées à bon droit se chevauchent, notamment quand les côtes de deux Etats se font face. Il revient alors aux gouvernements concernés de trouver entre eux un accord ou, si cela se révèle trop difficile, de présenter leur cas devant une instance d’arbitrage, telle la Cour internationale de justice.L’océan Arctique connaît différentes disputes. Trois Etats riverains, le Danemark, le Canada et la Russie, revendiquent par exemple les mêmes portions d’une «chaîne de montagnes» sous-marine, la dorsale de Lomonossov, qui s’étend à relativement faible profondeur du Groenland et de l’île d’Ellesmere au nord-est de la Sibérie. Des géologues danois et canadiens affirment depuis plusieurs années détenir les preuves que ce relief constitue le prolongement du plateau continental nord-américain, tandis que leurs collègues russes le décrivent comme un prolongement du continent eurasien.Les revendications ont afflué ces dernières années en raison des délais fixés par la Convention sur le droit de la mer. Les Etats intéressés doivent exprimer leur demande dans les dix années qui suivent leur ratification du texte. Quitte à peaufiner leur dossier plus tard, si les premières informations livrées sont jugées insuffisantes. «L’essentiel est de présenter un dossier, explique Marcelo Kohen, professeur de droit international à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), à Genève. Pour être dans les temps, de nombreux pays n’ont pas hésité à fournir à la commission des études très préliminaires, qui restaient d’évidence à compléter.»La Russie a présenté sa première requête en 2001, quatre ans après avoir ratifié la convention, bientôt suivie par la Norvège en 2006, le Danemark en 2009 et le Canada en 2013. Sur les cinq Etats riverains de l’océan Arctique, un seul manque à l’appel, les Etats-Unis. Et pour cause: ils n’ont pas ratifié la Convention sur le droit de la mer, faute d’accepter le statut de patrimoine commun de l’humanité accordé aux fonds marins des eaux internationales et le recours obligé à un arbitrage international en cas de différend. Washington n’en reconnaît pas moins les zones définies par le document et les grands principes qui président à leur répartition.La quasi-totalité des ressources répertoriées dans l’Arctique se situent sous la terre ferme ou dans les zones économiques exclusives. Et s’il en existe plus au large, sous les plateaux continentaux actuellement disputés, ceux-ci sont actuellement inexploitables étant donné leur éloignement extrême, éloignement du continent comme de la surface de l’eau. «Tel est le cas aujourd’hui mais pas forcément demain, relève Marcelo Kohen. Les Etats riverains de l’Arctique agissent sans attendre pour ne pas prétériter leur avenir.»Le partage de la région donne lieu de temps en temps à des déclarations fracassantes, notamment en Russie et au Canada. Mais ce genre de rhétorique est utilisé essentiellement à des fins de politique intérieure, par des dirigeants soucieux de se donner une image de fermeté. Le processus se déroule en réalité de manière très civilisée.Les pays riverains se conforment scrupuleusement au droit international, un souci qu’ils ont réaffirmé solennellement en 2008 dans une déclaration officielle dite d’Ilulissat. Ils collaborent dans le domaine de l’exploration sous-marine: au cours de l’été 2008, le Canada et le Danemark ont loué les services d’un brise-glace russe pour mener leurs recherches géologiques. Et malgré leurs graves dissensions sur l’Ukraine, le secrétaire d’Etat américain John Kerry et le président russe Vladimir Poutine se sont entendus en mai dernier à Sotchi pour réguler la pêche dans l’océan Arctique. Un patrimoine qu’ils possèdent en commun et qu’ils entendent exploiter en bonne intelligence, ne serait-ce que pour éviter des interférences extérieures.
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