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Dis-moi qui je suis, de Samuel Brussell

Publié le 27 août 2015 par Francisrichard @francisrichard
Dis-moi qui je suis, de Samuel Brussell

γνῶθι σεαυτόν, (gnỗthi seautón), connais-toi toi-même, est l'un des préceptes de la Grèce antique. Samuel Brussell a apparemment adopté une autre démarche. Apparemment seulement, puisqu'en faisant cette demande à sa mère, Dis-moi qui je suis, il poursuit le même but, il cherche à se connaître lui-même.

Comment se connaître soi-même? En convoquant ses racines ("les racines sont utiles pour deux choses - les fuir et les retrouver"), en faisant remonter à la surface de sa mémoire ses souvenirs d'une période qui va de ses quatre ans à ses vingt ans, c'est-à-dire avant qu'il ne parte pour les Etats-Unis.

Dans une lettre à son éditeur, reproduite à la fin, il résume très bien le contenu de son livre: "Ce Dis-moi qui je suis est le fruit de mes rencontres, de mes voyages, de mes enquêtes sur moi-même et le monde en somme, comme tout ce que j'ai écrit à ce jour." Et ce, "dans le plus parfait désordre"...

Ce désordre du livre est toutefois ordonné quelque peu, comme se plaît à le faire le cerveau quand il se met à l'unisson de l'humeur vagabonde de la mémoire. Il fait ainsi sienne la profession de foi du poète catalan Gabriel Ferrater (qui se trouve en exergue à son long poème dédié à Elena):

Je serai digressif et cursif, anacoluthique et allusif...

L'ordre du livre est toutefois désordonné quelque peu puisqu'il parle d'abord des années 1960 et séquences précédentes, puis des années 1970 et séquences précédentes, enfin, à l'âge de quatre ans, de son départ d'Israël pour Paris, qu'il évoque dans un post-scriptum.

Ses racines? Ce sont, entre autres, avant sa naissance, les années vécues par sa mère à Casablanca, à Brunoy (en banlieue parisienne), et à Haïfa (au kibboutz Usha), et par son oncle Schlomo aux mêmes points de départ et d'arrivée, mais en passant par l'Algérie avec les Américains du United Jewish Appeal:

Les vies antérieures sont de magnifiques fantômes qui nous accompagnent dans nos nouvelles vies perpétuellement en devenir.

De ses rencontres, de ses voyages, de ses enquêtes sur lui-même et le monde, il tire des réflexions qui peu à peu dessinent ce qu'il est. Voici quelques grands traits du portrait qu'il dresse ainsi de lui, directement ou indirectement:

- L'athéisme aigu des laïcs et des ecclésiastiques, dont il prend conscience en France, à un âge très tendre, l'amène à s'interroger:

Comment peut-on aimer les hommes, comment aimer un pays, comment aimer la vie sans un souffle de reconnaissance pour le divin, pour le sacré?

- Il lui faut du temps pour devenir écrivain:

A quinze ans je sentais confusément que j'avais un monde à raconter - à écrire; simplement je ne savais pas que cela me prendrait une demi-vie pour conquérir la liberté nécessaire pour le faire.

- Le réactionnaire punit le délit; le révolutionnaire l'approuve, ne le considère pas comme un délit mais comme un droit: il est ni l'un ni l'autre. Alors qu'un jour il est accusé de grivèlerie, il comprend qu'il est un conservateur dans l'âme:

Le conservateur libéral se contentait de ne pas juger, de comprendre les obligations et les nécessités des différents protagonistes - et de s'adapter à la situation.

- En aidant une élève à faire une rédaction sur ses vacances, il apprend pourquoi elle fait de la vieille Mercedes de son père une Deux-Chevaux. Elle ne veut pas être saquée par sa prof:

Le fantasme de la pauvreté lié intrinsèquement à l'obsession de faire de l'argent - par tous les moyens et sans s'encombrer d'aucun scrupule - me parut synthétiser le grand malaise de l'époque.

- Pendant la guerre du Kippour, en 1973, il entend quelqu'un dire dans un café, à la cantonade: "J'espère que cette fois ils vont se prendre une bonne raclée!" et ajoute, devant son air intrigué: "J'espère que vous êtes arabe?":

Nous ne sommes jamais que ce que nous sommes vraiment, chair et histoire de nos ancêtres aux yeux de nos semblables, qu'ils nous aiment ou qu'ils nous maudissent.

- Vers la fin des années 1970 il découvre, dans les bureaux de rédaction des revues, la haine de la poésie, donc de l'humain:

La poésie étant l'expression même du je, elle devenait inadmissible - impossible. Des contorsions linguistiques vinrent la remplacer et se logèrent dans la rubrique "Poésie", une rubrique soigneusement réservée à la forme épurée, désindividualisée, politisée - abolissait le genre en redéfinissant le mot. Homme, femme, enfant - trois expressions du divin sur terre. Le divin... qui eût osé l'invoquer?

- Il doit beaucoup à une certaine Anna Lisa francophone de langue maternelle germanique. Or Anna Lisa, de peur d'être mal jugée par la nouvelle nomenklatura qui a pris le pouvoir, refuse qu'il dise de son français qu'il est "exquis de précision":

Par un réflexe de survie, elle dédaignait la précision et l'élégance de son français - et de son allemand -, alors que ce don était l'arme la plus fine pour combattre ce qu'elle abhorrait: le fascisme.

Comment ne pas avoir de correspondances, au sens baudelairien, avec un tel écrivain, qui écrit, à propos de la France, où il n'est pas né:

Je voulais appartenir à ce pays, pour pouvoir l'aimer et le chahuter moi aussi à ma guise, en digne héritier, à l'instar de Stendhal, que j'adorais.

Francis Richard

Dis-moi qui je suis, Samuel Brussell, 180 pages, Grasset (sortie en librairie le 2 septembre 2015)

Livre précédent:

Halte sur le parcours, sorti ce mois-ci à La Baconnière


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