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Montreuil dans la peau
Jean-Fabien Leclanche a Montreuil dans la peau, et c'est en quelque sorte Montreuil qui l'a fait photographe. Depuis 2007, il raconte avec son smartphone sa ville dans les moindres détails, les petites histoires qui, entremêlées, forment cette grande communauté de banlieue parisienne. Il a commencé ce travail compulsivement, sans réfléchir à ce qu'il faisait, et l'a poursuivi avec méthode lorsqu'il a eu une prise de conscience: "Je me suis rendu compte que je photographiais la mémoire éphémère de la ville." Son ambition est de documenter en pixels l'histoire anecdotique d'une ville en perpétuelle mutation.
Jean-Fabien Leclanche
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90 nationalités différentes
Qu'est-ce qui fait de Montreuil un spectacle aussi passionnant? "C'est une ville multiple qui rassemble 90 nationalités différentes. Il y a des lignes de fracture, comme le Bas-Montreuil et le Haut-Montreuil, par exemple." En haut, les zones éloignées de la capitale et enclavées, où les transports sont compliqués. En bas, les loyers chers et la proximité avec Paris. Deux réalité sociales, économiques et culturelles radicalement différentes. "Pourtant, il y a des points de rencontre: la Croix de Chavaux en est un, le marché du dimanche en est un autre. C'est là qu'on peut voir tout le puissant contraste de la ville, là que des bobos blondes peroxydées côtoient des femmes en burka. Ces ponts forment un condensé de ce qu'est Montreuil, dans tous ses paradoxes et ses sourires." Son livre, Good Morning Montreuil, est justement organisé sous forme de diptyques dans lequel, page après page, deux photos se répondent et dialoguent.
Jean-Fabien Leclanche
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"Il y a eu cette image, je lui ai trouvé quelque chose de différent"
Plusieurs déclics l'ont conduit à ce travail. "Quand ma famille m'appelait au téléphone, je n'avais pas toujours quelque chose de neuf à raconter. Je me suis mis alors à regarder autour de moi, non plus seulement voir. Je me suis aperçu que la ville recelait de milliers de trésors cachés, et je me suis mis à tout photographier de mon environnement." Il est devenu photographe le jour où il a donné un sens éditorial à ses images: "Il y a eu cette image, je lui ai trouvé quelque chose de différent. Je me suis dit que c'était une bonne photo, ça a été un choc. Alors j'ai commencé à apporter du sens." C'est alors qu'il a commencé à faire ses photo de manière réfléchie, et à la fois documentaire et esthétique, personnelle. Quant à la photo responsable de cette prise de conscience, il l'a oubliée. Ne lui reste que le moment et ses notables conséquences.
Jean-Fabien Leclanche
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"Un territoire complexe"
Son terrain d'action, aussi proche soit-il, n'est pas simple: "Montreuil est un territoire très complexe à photographier, pour des raisons culturelles et communautaires. Les gens ont peur. Cette société est très paradoxale, car elle est à la fois exhibitionniste et cultive une forme de crispation et de défiance envers le fait d'apparaître sur des images. Et puis il y a certaines communautés qui ne considèrent pas la photo comme un bienfait." En France, la photographie de rue n'est pas une activité de tout repos, et Jean-Fabien Leclanche s'est fait agresser verbalement à plusieurs reprises. "Je me suis déjà fait rentrer dedans par une femme qui m'accusait de prendre en photo son sommier!" Les gens sont décidément bien protecteurs.
Jean-Fabien Leclanche
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Le smartphone, "un objet qui a changé ma vie"
Même s'il travaille aussi avec des boîtiers traditionnels, Jean-Fabien Leclanche mène ce projet comme il l'a toujours mené: au smartphone. C'est un outil qu'il connaît bien puisqu'il travaille dans le numérique depuis de longues années. "Je me suis tout de suite aperçu que le smartphone était à la fois un terminal de réception mais aussi un outil de production." Ce n'est pas l'iPhone qui entraîne cette prise de conscience, mais un Nokia, sorti quelques mois avant: le N95, le premier véritable smartphone, équipé d'un appareil photo 5 mégapixels et d'une optique Carl Zeiss. "C'est un objet qui a changé ma vie." Et quand il tombe sur une scène qu'il pourrait exploiter avec son smartphone ou avec son boîtier, il prend une photo avec l'un, et une deuxième avec l'autre. "J'ai fixé mon langage, ma signature. Donc ça m'intéresse, parfois, de doubler certaines scènes parce que sur une même approche, les deux restitutions différentes apporteront quelque chose de différent."
Jean-Fabien Leclanche
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"Un travail d'authenticité"
Comment justifie-t-on le fait de prendre des photos à l'insu de son modèle? Le photographe a l'habitude d'expliquer son travail: "Concernant le droit à l'image, je sais que je marche sur le fil du rasoir. Mais je témoigne de Montreuil, et Montreuil, c'est ses habitants. Mon travail est documentaire, c'est un travail d'authenticité. Je suis contraint de prendre des photos sans demander la permission car parfois, on ne me la donnerait pas, et alors, ce témoignage serait incomplet et inexact. Je suis contraint d'assumer ce choix si je veux aboutir à une forme de vérité, d'authenticité." Bien sûr, Jean-Fabien Leclanche s'est imposé des limites afin de respecter la dignité des personnes qu'il immortalise: "Je ne les mets pas en scène en les dévalorisant, je ne suis pas intrusif dans leur vie privée. C'est simplement un rapport de passant de témoin dans cette ville que nous sommes des milliers à voir et peut-être à partager sur les réseaux sociaux." Et puis maintenant, il fait partie du paysage. A Montreuil, on le connaît et on connaît sa démarche. "Pour moi, prendre une photo est un acte de reportage."
Jean-Fabien Leclanche
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Le "photographe candide"
Le smartphone est en train de devenir le meilleur ami du photographe de rue. D'un côté, les Français se montrent fiers de la grande tradition hexagonale de photographie de rue, mais de l'autre, photographier un inconnu passe de moins en moins. "Le smartphone me permet d'être dans ce degré de proximité avec le sujet que mon projet exige. Il me permet de m'approcher, d'aller chercher la photo. Je ne peux pas travailler au zoom. La célèbre doctrine de Robert Capa (selon la quelle si une photo est ratée, c'est que le photographe ne s'est pas suffisamment approché) est, je crois, terriblement vraie." Jamais malveillant, Jean-Fabien Leclanche estime faire de la "photographie candide": "Je rends Montreuil aux Montreuillois, j'ai toujours un regard bienveillant sur les gens. Je ne les dévalorise jamais. Simplement, je constate de petites vérités, des histoires personnelles ou collectives."
Jean-Fabien Leclanche
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La grammaire du smartphone
Le smartphone est en train d'ouvrir un nouveau et important chapitre dans le grand livre de l'histoire de la photographie, Jean-Fabien Leclanche en est persuadé. Certes parce qu'il a été l'origine, "le début de la démocratisation des outils de production, jusque là réservés aux professionnels car coûteux et complexes". Mais aussi parce qu'il est en train d'inventer une esthétique: "Cet outil fantastique est en train de déployer sa propre grammaire, son propre langage photographique né de ses contraintes. Avec un appareil classique, tout entre en ligne de compte. Avec un smartphone, on ne s'occupe pas de la profondeur de champ par exemple, cela finit par donner des images propres à cet outil."
Jean-Fabien Leclanche
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"Au lieu de voir des choses, je vois des trésors"
Pour capter le fameux "instant décisif", le smartphone apparaît à Jean-Fabien Leclanche comme l'outil idéal: "Avec, je peux photographier de manière saisissante l'instant présent." Rapidité, proximité... Mais, échange de bons procédés, l'objet a aussi modifié le regard du photographe. "Le smartphone a amplifié ma curiosité à l'égard du monde. Il est un catalyseur extraordinaire: au lieu de voir les choses en gris et noir, j'ai vu des fenêtres, des trésors, des personnes, des architectures et des perspectives." Depuis, le photographe s'émerveille, et en fait profiter les Montreuillois au passage. En 2015, son travail a été exposé sous forme de fresque, sur un immense mur de la ville de Montreuil. 150 clichés y étaient rassemblés, toute la diversité de la ville offerte en retour à ses habitants.
Jean-Fabien Leclanche
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"Je dois tout aux réseaux sociaux"
Les réseaux sociaux sont indissociables de la pratique photographique de Jean-Fabien Leclanche. Expert médias, il les a connus et expérimentés très tôt. "J'ai rapidement pris conscience de la puissance de l'image en tant que vocabulaire universel. Quand on gère des communautés, on veut parler au plus grand nombre. On finit, au bout d'un certain point, par parler en anglais." Et l'image permet de parler à plus de monde encore, en prise directe. Les échanges avec sa communauté nourrissent son travail, et en échange, les réseaux sociaux lui ont apporté la notoriété. "Je dois tout aux réseaux sociaux." Mais avec son livre, Good Morning Montreuil, et son exposition qui se tiendra au Présentoir, à Montreuil, du 9 au 23 septembre, c'est dans la réalité la plus tangible que son travail fait une nouvelle fois irruption. Son livre, Good Morning Montreuil, sort dès début septembre.
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Jean-Fabien Leclanche
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