On retrouve dans Une famille à louer la sensibilité que l'on avait apprécié il y a trois ans dans les Emotifs anonymes qui était déjà (un peu) autobiographique. Cette fois l'humour est décuplé et Jean-Pierre Améris signe là, avec Murielle Magellan, le scénario d'un film très réjouissant.
Le rire est spontané, jamais stupide ou bêtifiant, et on ressort dopé de la projection. Encore plus quand on a eu la chance d'écouter les confidences du réalisateur et de suivre l'analyse qu'il fait de la vie de famille.
Paul-André est un homme timide et plutôt introverti. Riche mais seul, il s'ennuie profondément et finit par conclure que ce dont il a besoin, c'est d'une famille. Violette est menacée d'expulsion et a peur de perdre la garde de ses deux enfants. Paul-André lui propose alors de louer sa famille contre le remboursement de ses dettes, et de goûter en contrepartie aux joies de la vie familiale ! Enfin c'est ce qu'il pense.Jean-Pierre Améris s'exprime avec un naturel confondant, annonçant d'emblée que Paul-André, interprété par Benoît Poelvoorde, est directement décalqué de sa propre personnalité, hormis la richesse, parce qu'il n'a pas fait fortune, ni dans l'informatique comme son personnage, ni dans le cinéma.
Une vision de la famille ambivalente
On est triste quand on n’en a pas et comme c’est pénible quand on en a ! Cette considération pourrait résumer le point de vue assez négatif que Jean-Pierre Améris a (avait) de la famille, une telle zone de conflits qu'à près de cinquante ans il ne s'imaginait pas dans une vie de couple et avec des enfants (même des beaux-enfants). Et pour ce qui est des travers de personnalité, son acteur est assez raccord aussi. Vous devinerez que dans un tel contexte Benoit Poelvoorde n'ait pas eu à se forcer beaucoup pour incarner Paul-André et rendre sa composition vraisemblable.Quelques scènes pointent cette vraie violence où un proche ne peut s'empêcher de vous balancer une méchanceté, en disant "mais je plaisante" après vous avoir meurtri. Et puis les moments où tout le monde crie, comme si gueuler était un ton naturel.
Si Jean-Piere Améris assume les petites pilules, la lampe frontale pour lire au lit dans le noir, et une tendance à préférer l'ordre au désordre, par contre il a emprunté à son acteur la manie extrême de la propreté. La scène où il va chercher un aspirateur pour nettoyer la terre sous les pieds d'un visiteur est directement inspirée d'un moment vécu chez Benoit Poelvoorde dans la (grande) maison de Namur, où il lit beaucoup, en compagnie de son chien.
Les deux hommes se connaissent très bien. Benoît Poelvoorde avait joué dans Les Emotifs anonymes et le rôle a été écrit en pensant à lui. Mais le mimétisme n'est pas complet. L'acteur s'entend très bien avec sa mère, à la différence de ce qu'on lui a demandé de montrer à l'écran.
Tout est traité à la manière d'une comédie et on peut prédire que le public retiendra des moments qui deviendront des scènes d'anthologie. Ce sera sans doute des instants comme la manière de claquer la porte d'un frigo rebelle, comme le montant (exorbitant) proposé comme argent de poche, la conséquence du coup de foudre (un enfant inattendu mais aimé), ou des séquences entières comme celle où Violette découvre dans un grand restaurant ce que sont des amuse-bouches, au grand dam de sa fille.
Au-delà de la comédie on note, aussi bien chez l'homme que chez la femme, la peur de se lier aux autres. Paul-André a choisi la voie de la solitude, la femme celle du sexe, mais en fin de compte ce sont deux coeurs tendres qui, peut-être, finiront par s'accorder.
Les schémas familiaux sont durs à rompre et engendrent de la souffrance. C'est difficile de s'ouvrir aux autres quand on n'a jamais connu d'embrassades dans l'enfance. Quand Paul-André se trouve face à sa mère il finit par se retrancher : je vais te laisser toute seule parce que tu aimes, et moi aussi j'aime être tout seul.
Les enfants, par contraste, sont plus ouverts, plus adultes en quelque sorte.
Un casting est très réussi
Il faut parler de Pauline Serieys qui, malgré de très belles références, n'est pas certaine de vouloir devenir comédienne. Elle a débuté à sept ans dans Palais Royal! de Valérie Lemercier. On l'a vue dans Mes amis, Mes amours réalisée par Lorraine Lévy et My Little Princess d'Eva Ionesco en 2011 (sur lequel je reviendrai prochainement quand je chroniquerai Eva, le livre de Simon Liberati), et bien d'autres encore. Son personnage de Lucie est finement interprété. La honte qu'elle exprime sur son visage dans la séquence du restaurant est au-delà de la consternation, mais sans forcer le trait. C'est une évidence qu'elle va inspirer des réalisateurs.Et c'est à Deauville où elle est venue présenter son film que Jean-Pierre Améris l'a rencontrée et que l'idée de lui confier le rôle s'est alors imposée (alors qu'il avait pressenti une autre actrice). Elle est belge comme Benoît avec qui elle a tourné Mon pire cauchemar. Et surtout elle est devenue une Violette très crédible, une fois qu'elle a accepté de se glisser dans la garde-robe du personnage.
En collants troués, minijupe noire ou short en jeans, décolleté plongeant et adorable blouson fin doré, l'ex-présentatrice de télévision, snobée par les gens qui sont étroits d'esprit, irradie à l'écran, comme Julia Roberts, à mi-chemin entre la Vivian Ward de Pretty Woman de Garry Marshall sorti en 1990 et Erin Brockovich de Steven Soderbergh (2000).
Jean-Pierre Améris fait des citations légères à ces films là. Violette parle au majordome à travers une moustiquaire qui rappelle celle de la porte du mobil home d'Erin, mais elle ne fait que rêver sur une robe dans un hypermarché. Comme tous les réalisateurs il a tant de références en tête qu'elles surgissent dans plusieurs plans.
La mère de Paul-André, dignement interprétée par Edith Scob, évoque la belle-mère de Tippi Hedren dans Les oiseaux d’Hitchcock. Ce genre de femmes qui n’arrivent pas à être maternelle, dépourvue de manifestation de tendresse...
Quand Violette compare compare Paul-André à Batman, elle pourrait tout autant rapprocher Léon du majordome et père de substitution de ce héros. Il est comme Alfred toujours courtois, discret, patient, dévoué à son maître et semble définitivement imperturbable. François Morel porte la cravate et son gilet gris est sans rayures, même s'il fait penser aussi à Nestor lorsqu'il déguste sans doute un grand cru de Bourgogne en l'absence de son maître alors que son homologue boit du whisky dans l'épisode Tintin et les Picaros.
On sait depuis longtemps que François Morel est un grand acteur mais il atteint des sommets dans ce film où il a un de ses plus beaux rôles.
Jean-Pierre Améris nous a confié son désir de tourner une scène de billard comme celle qu'interprètent Paul Newman et Tom Cruise dans La Couleur de l'argent, de Martin Scorsese, mais il a dû la couper au montage. On la verra peut-être ne bonus sur la version DVD.
Deux mondes qu'a priori tout oppose
Ce n'est pas seulement que l'un est riche, l'autre pauvre. Ce sont aussi deux conceptions de la vie diamétralement opposées. Et il fallait bien installer le contraste aussi bien visuellement que musicalement.
Paul-André vit dans un bunker, la Villa Poiret, une villa d’exception classée monument historique mais vide. On reconnait dans les premières secondes ce trésor architectural, signé Rob Mallet-Stevens, et classé monument historique. L'équipe a eu la chance de pouvoir tourner en extérieur comme en intérieur à Mézy-sur-Seine, dans les Yvelines, pendant l'absence du propriétaire au Moyen-Orient.
Bâtie selon des principes cubistes, cette demeure est froide, voire glaciale, et ses quelque 800 m² habitables paraissent immensément vides. Ce n'est pas la touche de rouge du portrait de Francis Bacon, seule note de couleur visible sur un mur en camaïeu de marrons et de gris, qui apportera une vraie fantaisie dans le salon cathédrale de 7 mètres de hauteur. Le peintre est aussi tourmenté que Paul-André. Quand on pense qu'Elvire Popesco vécut là ... bien après le couturier Paul Poiret qui y termina ses jours ruiné.
Le parc planté d’arbres rares, s’étend sur 5 hectares, au-delà de l'allée principale, recouverte de galets et bordée d'oliviers en bacs.
Le contraste est saisissant avec la bicoque de Violette, sur un lopin fleuri, déniché au nord de Sarcelles, au milieu de voisins hyperactifs. La chambre d'Auguste est "un gros désordre"
Paul André est richissime mais ne fait plus rien. Violette est pauvre, surexploitée (par son frère qui profite de sa dépendance affective) mais elle a un talent insolite qu'elle exerce juste pour le plaisir. Elle sculpte des fruits et légumes, et c'est Laurent Hartmann, champion du monde de cet art qui a réalisé les oeuvres qui ont été filmées et qui a donné quelques cours à Virginie Effira.
Jean Pierre Améris aime Tchaïkovski. Alors Paul André écoute la Symphonie n°6 en si mineur, dite la Pathétique dont il prétend à son majordome que ce n’est pas une musique triste : Tout est noir Léonaffirme-t-il avec une quasi philosophie. Plus tard ce seront les variations Rococo, du même compositeur qui installeront le couple dans le romantisme dans un kiosque en ruine où Paul-André finit par faire sa déclaration d’amour à Violette.
L'univers de Violette est haut en couleurs. On le comprend illico en la découvrant dans un hypermarché, se déhanchant sur l’air de She’s a lady, de Tom Jones. On entend aussi des titres plus récents (2013) Bathed in Blue et Saved, extraits de l'album Midnight In The Garden de la très jeuneLily Kershaw.
Avec de tels environnement on comprend que Paul-André soit sur le contrôle et Violette dans la fantaisie et une forme de rébellion : Dans mon monde à moi l’amour ne s’achète pas !
Une fable romantique
Finalement c'est une version revisitée de la Belle et la Bête, tournée dans des décors sans aucun naturalisme. La vraie vie est peu apparente, une cage d'escalier, un magasin, un sentier menant à une école ... Même la couleur orange de la Visa de Violette n'existe pas dans la réalité.Sans parler du lapin sur la table qui est une métaphore de la magie.
Ce qui est heureux avec Jean-Piere Améris c'est que la fiction s'inspire de faits réels, ce qui apporte une forte crédibilité au scénario qui se révèle en fin de compte (conte ?) une jolie leçon d'espérance. car le réalisateur ne s'en cache pas le moins du monde, cette histoire est directement inspirée aussi de la rencontre qu'il a faite avec Murielle Magellan qui partage désormais sa vie.
Elle-même s'est livrée à l'exercice de l'autobiographie l'année dernière dans un roman très émouvant publié chez JulliardN'oublie pas les oiseaux, et qui se termine avec l'arrivée de Jean-Pierre dans sa vie et celle de son fils Samuel. L'enfant promettait de fuguer si l'amoureux s'incrustait. Il y a fort à parier qu'il a renoncé.
La rentrée s'annonce positive avec de telles perspectives.