Cinéma: "Under the skin" de Jonathan Glazer

Publié le 26 août 2015 par Paulo Lobo
Parmi les nombreux aspects qui m'ont interpellé dans cet ofni (objet filmique non identifié), j'ai été particulièrement fasciné par le travail de démythification auquel s'est livré le réalisateur sur l'actrice-star Scarlett Johansson. Considérée comme l'une des femmes les plus sexy et les plus belles au monde, elle est ici représentée, filmée, racontée, d'une façon singulière et bluffante. Plutôt que de la sublimer avec moult effets glamour, la caméra pose sur la star un regard interrogateur, distant, presque clinique. Elle est un être insaisissable venu d'ailleurs. Elle a pris l'apparence d'une autre. Elle a carrément pris la peau d'une autre. Elle déambule dans les villes et campagnes écossaises à la recherche d'hommes seuls. Ses proies. Qu'elle séduit de façon machinale pour ensuite les entraîner dans son antre sombre et fatal.
Je n'en dis pas plus, il ne faut pas tout révéler. Mais quelle suprême intelligence de la part de Scarlett d'accepter de se livrer à cet exercice d'auto-subversion! Son interprétation de cette poupée mécanique glaciale est le socle de ce film complètement barré.
"Under the skin" est une oeuvre complexe, relativement conceptuelle, qui refuse d'appliquer les codes qui sont aujourd'hui en vogue pour plaire au plus grand nombre. Le film de Glazer prend sa liberté et son temps, avançant lentement, ne livrant que très peu d'indices sur son propos, restant mystérieux presque tout le temps, optant pour un style elliptique dépouillé à l'extrême.
Ok, c'est lent, parfois un tant soit peu soporifique.
Mais j'ai aimé.
Parce que justement Jonathan Glazer ne livre pas toutes les clés et laisse un champ immense à l'imagination du spectateur.
La maîtrise formelle de Glazer est incontestable. Tout est mis en scène de façon millimétrée. Les plans sont composés au cordeau. L'Ecosse, ses paysages mélancoliques et ses villes imprégnées de nuit et d'hiver sont filmés de façon magnifique.
Qu'est-ce donc que ce film? Thriller métaphysique, oeuvre de science-fiction détournée, expérience arty, exercice de style ? Réflexion sur les apparences et le pouvoir qu'elles peuvent avoir ?
Peut-être tout simplement: un poème coupant comme une lame sur notre pitoyable et fragile humanité ?
J'ai lu plusieurs analyses du film de Glazer, c'est étonnant de constater que chacun propose un peu sa lecture, son déchiffrage, mais qu'au final tous sont contents que "Under the skin" reste absolument et sublimement opaque.
A vous de juger.