« Les activités de la Démocratie chrétienne, aux manettes de la politique du pays depuis 1942, se sont achevées officiellement en 1994, année où Silvio Berlusconi a gagné les élections. Depuis, le coût de fonctionnement du Parlement italien dépasse désormais ceux, réunis, de l'Allemagne, de la France et de l'Angleterre. »
A l'instar de l'excellent Dolce Vita 1959-1979, un vieux jésuite haut placé au Vatican et sa nièce, journaliste d'investigation, échangent sur la politique, la mafia et l'Eglise, le plus souvent sur le mode épistolaire. L'un est pessimiste et cynique, l'autre révoltée...
« Silvio Berlusconi a débarqué sur la scène politique et sociale comme surviennent les grandes pestes, parce que les temps s'y prêtent, parce que les famines ont préparé le terrain, parce que l'habitat est prêt à accueillir le fléau et à le développer. Berlusconi a été the right man at the right time. L'Italie n'avait pas assez d'anticorps pour se défendre. On n'a pas voulu entendre la voix des Cassandre qui prédisaient le pire. On n'écoute rien, ni les autres ni soi-même, avec une télé allumée en permanence (...). »
Simonetta Greggio peint le portrait sans concession de l'Italie de ces vingt dernières années où politique et mafia sont encore, et probablement plus qu'avant, à tous les niveaux, intimement liées à la vie à la mort, malgré la disparition de la démocratie chrétienne de Giulio Andreotti après l'assassinat d'Aldo Moro.
« Ils souhaiteront passer une radio du poumon, mais pas moyen de prendre rendez-vous : les hôpitaux seront saturés et en manque de personnel, saignés par des "assesseurs" qui auront détourné les fonds destinés à la santé publique. Alors ils seront heureux de décrocher, avec un peu de chance, une visite qui leur coûtera très cher dans une structure privée, probablement pas bien équipée. Ils auront payé deux fois, en tant que contribuables et en tant que malades, et ils seront moins bien soignés. Cela s'appelle corruption, la gangrène de la société. Cela s'appelle aussi la mafia. C'est un genre de vol à main armée, invisible et insoupçonnable. Pour la démasquer, il faut penser, réfléchir, tirer des conclusions.»
Les deux personnages évoquent des juges anti-mafia abandonnés et sacrifiés en plein combat par le pouvoir politique, des preuves qui disparaissent systématiquement, des magouilles, des assassinats et des renvois d'ascenseurs, des doubles meurtres du monstre de Florence, des disparitions au Vatican, des affaires de mœurs, des politiciens et des prêtres véreux, des médias qui divertissent sur fond de corruption...
« En arrivant à l'aéroport, je me suis souvenue du cher ami de Berlusconi, Marcello Dell'Utri, claironnant récemment, sur le mode "la mafia est une invention des communistes", que dédier cet aéroport à Falcone et Borsellino était une honte pour l'Italie. Ah, Saverio... Ils ne se contentent pas de tuer, ils adorent ensuite pisser sur les tombes. »
Les nouveaux monstres, c'est le triomphe de la corruption et du mensonge incarné par un Berlusconi insubmersible malgré l'âge et les condamnations. C'est aussi la conscience humaine, la culture et la démocratie sans cesse piétinées et défaites. Et enfin, c'est l'impuissance, la soumission et la lâcheté d'un peuple qui se réfugie majoritairement dans le déni...
« Pythonisses, soubrettes, ministresses sexy et ex-assistantes dentaires, chefs mafieux et avocats véreux, ils monteraient tous à bord de son jet privé et débarrasseraient le plancher, et nous, on pourrait enfin respirer le "frais parfum de la liberté" comme disait le juge Paolo Borsellino. Toute chose dans ce monde a une fin (...). »
Un roman passionnant.