Par Julien Le Gros le 24 août 2015
Dans ce contexte, que pensez-vous du projet de loi sur le renseignement voté le 24 juin dernier ?Tout cela est très régressif. Le contexte post-11 janvier a motivé cette loi sur le renseignement, ce « patriot act » à la française qui n’est peut-être pas particulièrement dangereux aujourd’hui, mais contient en lui tous les éléments d’un système de surveillance très strict qui fonctionne déjà aux États-Unis. On a déjà vu que leur manie de surveillance avec la NSA dépasse tout ce qu’on peut imaginer, parce que même Chirac, Sarkozy et Hollande en ont été dégoûtés !Votre ami Stéphane Hessel disait « Indignez-vous », mais il a aussi écrit Engagez-vous. S’indigner ne suffit plus?L’indignation est un moment qui a besoin d’être dépassé par une prise de conscience et une lucidité. Tout dépend de quoi on s’indigne. Les fanatiques du FN s’indignent de la venue des immigrés en France. Ils trouvent que la France se corrompt. C’est une indignation fausse. Je crois à la nécessité d’une nouvelle conscience politique, d’une nouvelle pensée. Ça dépasse la politique, au sens banal du terme. C’est une remise en cause de notre civilisation. Si on prend le problème écologique au sérieux, comme le pape l’a fait dans un très bel encyclique, nos comportements et notre vie quotidienne doivent changer. On doit prendre conscience de ça aujourd’hui. Le refus de Syriza et d’autres de ce diktat de l’argent exprime l’aspiration à une autre civilisation.Avec Tariq Ramadan, intellectuel classé « infréquentable » par certains, à qui l’on prête un double discours, vous avez écrit Au péril des idées. L’idée que l’islam et la république sont compatibles, par exemple?Le Tariq Ramadan que j’ai rencontré est d’accord pour respecter les règles démocratiques et défendre l’idée d’un islam européen. La seule chose sur laquelle on n’a pas débattu, c’est qu’il est un croyant et pas moi. Du moins pas en une religion révélée. C’est la grande différence. La religion est une question inaccessible si l’on n’a pas une culture historique. L’incompatibilité de l’islam dans la démocratie française doit être mesurée à l’aune de l’incompatibilité de l’Église du 13ème siècle. Celle des Croisades en Terre Sainte, contre les Albigeois, de l’Inquisition. Cette Église de l’intolérance condamnait encore à mort sous la Restauration. On ignore que le christianisme s’est montré d’un sectarisme et d’un fanatisme sans bornes. L’islam historique a toujours – avec un statut subalterne – toléré les chrétiens et les juifs. Il n’a jamais voulu les éliminer. Alors que l’Occident chrétien éliminait les Juifs en 1492, et les Morisques (les musulmans d’Espagne) en 1604. C’est une longue histoire dans laquelle les idées laïques, la démocratie, ont fait régresser le pouvoir de la religion sur la vie privée-et non publique. Ça a permis une évolution dans laquelle l’Église, dans sa majorité s’est ralliée à cette situation.
Quant à vous, quels sont vos projets ?J’ai sorti un livre récemment, L’aventure de la méthode, qui est un peu l’aventure de ma vie. J’y résume l’essentiel de mon message. Il y a aussi l’ouvrage Pensées complexes pensées globales, qui doit sortir cet automne et synthétise mes conférences à la Maison des sciences de l’Homme. J’espère aussi confédérer les mouvements de rénovation, de civilisation, qui existent en France pour créer une force, différente de Podemos et Syriza, qui apporte du sang nouveau et de la pensée nouvelle à la politique. C’est ça mon dernier espoir !Le chemin de l’espérance3 est donc toujours ouvert ?Il n’a jamais été fermé, mais il est improbable !Notes :1 Parti socialiste unifié fondé en 1960 et dont Michel Rocard a fait partie2 Courant minoritaire de l’Islam chiite dont font partie les Druzes au Proche-Orient3 Le chemin de l’espérance est un livre co-écrit par Edgard Morin et Stéphane Hessel (Éd. Fayard, 2011)
À lire :. Avant, pendant et après le 11 janvier, avec Patrick Singainy, Éditions de l’Aube, 2015.. Notre Europe, avec Mauro Ceruti, Éditions Fayard, 2014.. La voie pour l’avenir de l’humanité, Éditions Fayard, 2011.. Ma gauche… Si j’étais président, François Bourin éditeur, 2010.
http://the-dissident.eu/7750/edgar-morin-tout-espoir-dhumaniser-leurope-seffondre/