Le Larousse donne la définition suivante d'un vivarium: "Établissement aménagé en vue de la conservation de petits animaux vivants dans des aquariums (animaux aquatiques, poissons), insectariums (insectes) et terrariums (petits vertébrés terrestres)."
De fait, le Vivarium de Thomas Kryzaniac abrite de grands animaux, les trois principaux personnages de ce roman, que l'auteur donne surtout à voir à travers les grandes baies vitrées, sans voilages ni rideaux, d'une cabane au milieu de nulle part, sur une île des Caraïbes, au nom improbable d'Odessa.
Le narrateur, Léon, un peu moins de trente ans, est invité sur cette île par un écrivain, Joseph Rivière, la cinquantaine. Celui-ci se considère comme "infréquentable" et se dit dans la lignée scandaleuse "de Daudet fils à Rebatet, en tirant jusqu'à Bloy ou Maistre".
Léon a admiré un temps ce colérique de Rivière, qui n'est connu que d'"un maigre public". Mais ses "incartades à droite à gauche" (qui ont fait un temps illusion), son "comportement erratique", son "inconstance", sa xénophobie, ses maladies de la persécution et du complot ont fini décidément par l'en éloigner.
Léon n'a commencé à s'intéresser de nouveau à lui que parce que ce misanthrope lui a fait part dans ses épîtres de l'existence de son concubinage revitalisant avec Mathilda, la trentaine, belle cantatrice doublée d'une fervente admiratrice. Ce qui ne pouvait qu'éveiller sa curiosité, Rivière n'étant pas spécialement dans son esprit un homme à femmes.
Avec dans l'idée d'écrire un long article sur ce reclus, ce soi-disant pestiféré de Joseph Rivière, voire de réaliser un long métrage sur lui, Léon débarque donc un jour de septembre par bateau sur l'île d'Odessa, après avoir pris l'avion à Paris pour Kingston. Et là les choses ne se déroulent pas du tout comme il se l'imaginait.
La première phrase du livre, et la dernière, donne bien l'ambiance dans laquelle baigne ce roman tropical, qui s'avère infernal: "J'ai rencontré Mathilda au milieu d'un cauchemar. Je n'aurais pas pu la rencontrer ailleurs." Et le fait est que ce livre foisonnant apparaît au lecteur comme un véritable cauchemar dans lequel le narrateur a bien du mal à distinguer le vrai du faux.
L'auteur prend d'ailleurs un malin plaisir à brouiller les pistes, dans lesquelles il laisse sciemment s'engager et se perdre son lecteur. Il le malmène comme Joseph, sa créature, le fait avec son autre créature, Léon. A qui Joseph explique un jour en ces termes pourquoi tous deux ne peuvent de toute façon pas se comprendre:
"Au sein d'une même langue, un mot change de sens selon la bouche qu'il franchit. Par conséquent, chaque mot est prononcé une seule et unique fois avant de disparaître à jamais. Ou alors, pour faire simple: aucun mot n'existe."
En conséquence, Joseph ajoute à l'adresse de Léon: "Tout ce que vous pourriez recevoir de moi ne servira qu'à forger l'image d'une personne entièrement différente, peut-être bien mon exact contraire." Si l'image que Léon se fait de Joseph est trouble, et troublante, celle qu'il se fait de Mathilda ne l'est pas moins trouble, et troublante, d'autant que, jusqu'à la fin, il lui manque une donnée essentielle, et diabolique...
D'avoir été malmené tout du long par l'auteur pourrait bien sûr déplaire au lecteur. Mais rien n'est moins sûr. Car c'est pour la bonne cause (celle de maintenir la tension jusqu'au bout) que l'auteur mène ainsi son récit comme un raisonnement dialectique, pour arriver à une conclusion qui ne peut que laisser le lecteur pantois.
Francis Richard
Vivarium, Thomas Kryzaniac, 350 pages, L'Âge d'Homme
Livre précédent chez le même éditeur:
Le pyromane (2013)