Que n’avait-on entendu au sujet d’Emmanuel Macron lorsque, nommé après l’éjection d’un Montebourg aussi frétillant qu’inutile, le sémillant énarque s’était mis en tête de libérer le pays de certains des carcans qui l’encombraient ! Z’allez voir ce que vous z’allez voir, avec Macron, ça va cogner du chaton corporatiste, qu’on vous dit… Quelques mois, des douzaines de cris à l’Assemblée, au sein des partis et dans les syndicats, et quelques centaines d’articles plus tard, la loi est votée…
De compromis en petits arrangements, d’arrondissages d’angles en polissages frénétiques, la loi en question n’est plus ni vraiment piquante, ni vraiment révolutionnaire, ni même franchement libératrice ; elle s’est même carrément dégonflée. Comme je l’expliquais récemment, le gouvernement nous avais promis le Pérou, il nous a présenté un projet qui dépassait à peine Maubeuge, et le temps est maintenant venu de constater qu’il peinera à rejoindre Sèvres-Babylone avec son petit ticket de métro.
Dans certains cas, des compagnies de cars pourront desservir des villes françaises, quelques participations d’État seront cédées, mais pour le reste, on est dans le changement à la marge, l’ajustement millimétré et la petite plomberie.
Ah oui, il y a aussi eu un « relâchement » des contraintes entourant l’ouverture dominicale.
Aaaaah, l’ouverture du dimanche… C’est un bien vaste sujet, pour un pays qui se veut pourtant très très laïc. C’est une question fort épineuse, ce jour de repos hebdomadaire, fixé arbitrairement le même jour que celui du Dieu catholique, pour des syndicats qui sont tous officiellement non confessionnels, voire athée, voire anti-cléricaux. Et c’est un sujet vraiment polémique pour une société qu’on prétend toujours plus libéralisée, toujours plus apte à accorder tout ce que veulent les grandes multinationales capitalistes dévoreuses de familles ouvrières…
Et dans un pays qui a obstinément décidé que tout ce qui concernait l’entente entre deux adultes consentants ne pouvait pas se passer d’une bonne grosse louchée de lois, de règlements et de garde-fous juridiques nombreux et confus, imaginer qu’un commerçant puisse s’arranger directement avec ses employés pour définir les modalités de travail, sans en passer ni par les syndicats, ni par les inspecteurs du travail ou que sais-je encore, c’était bien trop complexe. Heureusement, la loi Macron a bien vite évité cet écueil et — simplification oblige — s’est empressée d’ajouter une trouzaine d’appétissants amendements aux dispositions légales déjà en place afin de ménager quelques espaces de négociations supplémentaires.
Très concrètement donc, quelques dimanches par an pourront être travaillés. Dans certaines villes, comme il ne s’agissait surtout pas de lâcher la bride à qui que ce soit (ce vent de liberté folle pouvant entraîner, comme chacun l’imagine, des débordements immondes de gens qui vendent, qui achètent, qui font du commerce et qui créent des richesses insupportables), on a décidé d’instaurer des lieux où l’ouverture de tous les dimanches sera tolérée par les autorités, bienveillantes mais pointilleuses. Avec l’art de la nomenclature et cette touche de poésie délicate qui caractérise nos politiciens, ces endroits ont été baptisés ZTI, pour Zones Touristiques Internationales, et permettra aux commerces qui s’y trouvent d’organiser leurs ouvertures dans un cadre légal qu’on peut largement qualifier de lâche tant, avec ces dispositions et selon certains, les élastiques semblent avoir tous pétés dans la joie et la bonne humeur.
Et justement, devant un tel relâchement, ce qui devait arriver arriva : les syndicats se sont bien vite élevés contre cette insupportable atteinte au pacte républicain, accompagnés par les habituelles idiots utiles du socialisme vaguement gouvernemental. Les premiers rappellent aussi bruyamment que possible que des accords collectifs doivent être négociés, et au sein de la branche « Grands Magasins », par exemple, la CGT, CGT-FO et la CFDT sont bien évidemment opposées à toute possibilité de faire du commerce, engranger des bénéfices le dimanche et donc produire une richesse qui serait pourtant utile à sécuriser de l’emploi.
Quant aux seconds, faisant preuve de leur habituel dogmatisme en béton armé, ils continuent de fustiger cet esprit consumériste absolument catastrophique. Par exemple, à Poitiers dans la « motion Cambadélis », ce pachyderme inutile dont la rumeur voudrait qu’il soit à un poste à responsabilité au Parti Socialiste, on peut ainsi lire « la consommation ne peut être l’alpha et l’oméga de nos vies. Le dimanche doit d’abord être un moment du vivre ensemble » qui déclencherait l’hilarité dans n’importe quel pays moderne (mais pas en France) tant on peut y lire la componction, le dogmatisme et une belle brassée de mots-clefs du bullshit bingo politique.
Bref, concernant l’ouverture du dimanche, la messe (syndicale et politique) est dite : ces ZTI sont d’abominables chevaux de Troie qui cachent les sombres desseins ultra-néo-libéraux dans lesquels les gens font, globalement, ce qu’ils veulent le dimanche et peuvent aller acheter des trucs et des machins en ville — c’est affreux, et c’est dit dans ces termes :
« Le projet Macron a pour objectif la généralisation du travail du dimanche dans le commerce, le tourisme international ne constituant qu’un artifice de communication ! »
Et pour ces gens-là, ce serait horrible, abominable, atroce. Imaginez des gens qui organisent différemment leurs week-ends, qui n’achètent pas tout le samedi. Forcément, ça va être l’anarchie, la fin de la famille traditionnelle (dont on découvre que les syndicats seraient les nouveaux protecteurs). Imaginez des salariés qui préfèrent bosser le dimanche pour avoir leur lundi, imaginez ces individus farfelus qui ne peuvent travailler, justement, que le dimanche, et qui vont donc trouver ce petit emploi qui va leur permettre de payer un loyer. Assurément, ces nouvelles richesses, ces nouvelles opportunités constituent autant d’insultes à la face de ceux qui entendent cadencer la société sur leur schéma mental prédéfini, pardi !
Quant à savoir si la mesure pourrait créer des emplois, cela n’intéresse pas ces gens (ils s’en foutent : syndicalistes comme politiciens ont un emploi, à peu près inamovible de surcroît, et n’ont donc rien à carrer de la piétaille qui en voudrait un aussi). Savoir si cela pourrait créer de la richesse et de l’attractivité pour les zones touristiques en question ne leur chaut guère : ils s’en foutent, des touristes qui ne votent de toute façon pas pour eux.
Et puis surtout, ces histoires de ZTI cachent encore une fois l’occasion pour l’un ou l’autre industriel capitaliste d’ouvrir ses chaînes de magasins, ce qui est insupportable pour nos résidus communistes. Tenez, à l’évidence, si elles existent, c’est pour arranger la FNAC, pardi, et on se fiche complètement des clients de ces centres commerciaux (qu’ils soient, eux aussi, arrangés dans l’affaire, n’intéresse là encore pas nos syndicats qui n’ont pour clients que les à peine 8% de salariés qui votent encore pour eux, à l’occasion et souvent sur un malentendu).
Bref, on le comprend : non seulement la loi Macron a été consciencieusement vidée de sa substance en réduisant à peu près toutes les bonnes intentions, déjà pas franchement révolutionnaires, à leur expression la plus minimale, mais chaque décret d’application, chaque mise en pratique opérationnelle palpable et concrète sera âprement combattue par tout ce que le pays contient encore de ces Forces de Progrès qui lui assurent un immobilisme aux semelles plombées.
Le pays avait un besoin impérieux d’un grand ballon d’oxygène pour lui éviter la catastrophe. La loi Macron lui offre une petite bouffée rapide. Les syndicats la transforment en prout malodorant.
Forcément, ça va bien se passer.
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