Cela faisait des années que j'étais en contact avec Olivier grâce au forum LPV. La vie faisant bien les choses, il habite lui aussi près de Liège. Lorsque nous discutons de la forme que peut prendre notre rencontre, je lui propose de venir faire le chef à domicile. Une offre que son épouse et lui ont vite accepté. Et me voilà donc enrôlé une journée entière pour une mission périlleuse : accompagner une dizaine de pépites dénichées dans la très belle cave d'Olivier.
Au départ, Olivier voulait partir juste sur une entrée, un plat et un dessert, avec une palette de vins assez variée. Je lui ai dit que si on voulait de beaux accords, on avait plutôt intérêt à mulitiplier les plats, quitte à faire des petites portions. Et ainsi fut fait.
J'ai donc imaginé de faire deux variations : une autour du cabillaud (trois plats), et une autre autour de l'agneau (deux plats). L'idée était de montrer que l'accompagnement et la cuisson étaient plus importants que l'ingrédient lui-même. Dire par exemple que tel vin accompagne bien l'agneau ne veut rien dire si l'on ne sait pas comment cette viande est préparée.
Chaque plat était accompagné de deux vins ayant un profil proche tout en ne provenant pas de la même région, à l'exception du troisième plat de cabillaud qui s'est contenté d'un vin. Il se suffisait à lui-même.
A l'exception du Champagne, tous les vins ont été ouverts le matin trois raisons différentes :
- vérifier que le vin n'avait pas de souci
- lui apporter une aération douce (les vins étaient nettement meilleurs le soir qu'à l'ouverture)
- les goûter (2 cl) pour être sûr d'aller dans la bonne direction pour les plats
J'ai refait les courses dans le même magasin où j'étais allé le samedi précédent pour préparer mon anniversaire. J'ai perdu moins de temps car je commençais à connaître les lieux. Et puis, aidé d'Olivier et de son épouse, j'ai préparé le repas le reste de la journée. Même si je n'ai jamais arrêté, c'était plutôt cool car les plats étaient relativement "simples".
[Je précise que les photos qui vont suivre ne seront pas terribles. Elles ont été prises avec mon téléphone...]
Pour démarrer, un produit que nous avons découvert au magasin : du boeuf Angus séché 10 mois, sans aucun additif hormis du sel. Il n'était pas trop salé, et avait un délicieux goût de noisette et des notes épicées. Il était tranché plus finement que la viande des Grisons que je trouve souvent trop épaisse. Vraiment un régal !
Pour l'accompagner, le Champagne Les Ursules de Cédric Bouchard (acheté chez #lastagiaire). Le nez est bien mûr, sur la pomme chaude, la pêche et la brioche. La bouche est ample, tendue sans être raide, avec des bulles discrètes mais toniques. L'équilibre général est vraiment harmonieux. La finale est d'abord finement mâchue pour devenir ensuite plus crayeuse, saline. L'accord avec l'Angus se fait très naturellement.
La première paire de vins était accompagnée par des pétales nacrés de cabillaud, citron confit, citron caviar et thym citron, juste nappés d'une huile au combava et saupoudrés d'un poudre de zeste de citron. L'idée était de servir un plat froid, à la texture délicate, dominé par les saveurs citronnés, plus là pour servir de rampe de lancement aux deux vins que pour jouer jeu égal avec eux.
Le premier vin était un Riesling Grand Cru Sommerberg 2008 de Boxler. Le nez est mûr et intense, évoquant les terpènes d'agrume et la mangue, avec une pointe de rose. La bouche est droite, enrobée par une matière intense, presque confite. La finale déploie une mâche impressionnante, soulignée par de nobles amers.
Le second vin était un Sancerre Clos de la Néore 2008 de Vatan. Le nez est plus fin et moins expansif, sur des notes de pomelo, de fruits exotiques, mais aussi de craie mouillée. La bouche est une d'une grande ampleur, très aérienne, avec la sensation d'une grande pureté. La puissance arrive en finale avec d'intenses notes de citron confit.
Le deuxième plat était un dos de cabillaud "cuisson parfaite" avec une sauce crémeuse au citron et des champignons de Paris. L'idée était ici d'avoir un plat classique qui mettrait en valeur des vins tout aussi classiques, d'un certain âge. "Surtout ne pas nuire", disait Hippocrate.
Le premier vin était un Meursault 1er Cru Perrières 2006 de Pierre Morey. Le nez est marqué par citron confit, le beurre et une pointe de vanille. La bouche est élancée, avec une tension impressionnante, avec la sensation de "caillasse liquide". L'ensemble est d'une rare intensité tout en restant d'une précision millimétrique. Un vin d'orfèvre qui tire plus sur Puligny que Meursault. La finale est très expressive avec des amers qui confinent au sublime.
Le second vin était un Saumur Brézé 2002 du Clos Rougeard. Le nez est plus discret, mais il fait clairement plus Bourguignon que Ligérien. Par contre, la bouche est impérieuse, d'une puissance et d'une densité impressionnante, que seul un léger perlant allège un peu. La finale continue sur la même lancée, et donne un début d'idée de ce qu'est l'infini. Ca envoie vraiment grave !
La dernière variation sur le cabillaud jouait sur un registre totalement différent des deux autres. L'idée est ici de trouver du répondant à la grande expressivité aromatique du vin, une sorte de partenaire de tango ;-) D'où l'utilisation de lait de coco, de gingembre, de citronnelle, de coriandre fraîche, de combava, avec du croquant apporté par la julienne de pois gourmands et de patate douce (à peine cuits). C'était sûrement l'un des accords les plus passionnants de la soirée !
Le vin était un Condrieu "Coteau de Vernon" 2005 de Vernay. Le nez est foisonnant, sur la citronnelle, la verveine, l'abricot bien mûr, la vanille... La bouche est riche, concentrée, onctueuse, et en même temps bien fraîche, avec ce qu'il faut de tension. La finale est épicée, prolongée par des amers d'écorce d'agrume. Un très beau vin qui touche au magnifique avec le plat.
Le premier plat était un filet d'agneau snacké rapidement à la plancha, suivi d'un repos de quelques minutes pendant lesquelles j'ai fait revenir les champignons (pleurote, girolle, shii-take) sur la même plancha. Puis la viande est repassé vite fait sur la plancha pour la réchauffer un peu. La sauce est à base de vin rouge, de fond de veau, de confiture d'airelle et de chocolat noir (belge !).
Le but était d'avoir une viande à la chair tendre et rosée, car elle devait s'accorder avec des vins très fins et soyeux, aux tannins imperceptibles. La sauce devait répondre aux arômes des vins (avec une bonne acidité). Les champignons devaient aussi bien de marier avec les vins légèrement évolués.
Le premier vin était un Musigny Grand Cru 2008 de Mugnier. Le nez est très fin, sur la griotte, les épices et le sous-bois. La bouche est ronde, délicate, au soyeux ensorcelant. La finale à la mâche fine, légèrement amère, nous rappelle que ce vin est issu d'un terroir argilo-calcaire.
Le second vin est un Châteauneuf du Pape Rayas 2002. Le nez superlatif et aérien évoque la rose fanée, l'orange sanguine, la fraise confite, le thé fumé.. (un Gewurz rouge, ai-je dit). La bouche est très aérienne, limite impalpable, d'une amplitude impressionnante, avec des tanins faits de soie sauvage. La finale ne se durcit pas, mais elle est tout de même corsée, avec une légère amertume.
L'épaule d'agneau a cuit sept heures avec des légumes du sud, des gousses d'ail, des olives noires, du thym et du romarin. J'ai fait une simple purée de pommes de terre, car il n'y a pas grand chose de meilleur au monde lorsqu'elle est gorgée de jus. Un plat parfait pour la Grange des Pères, mais surtout un plat préparé en quelques minutes d'une efficacité maximale.
Le premier vin était donc une Grange des Pères 2005. Le nez est très expressif, sur les fruits noirs confits, le lard fumé, le fameux anchois, le tabac.. La bouche est d'une fraîcheur éclatante, avec une matière dense et séveuse qui vous envahit le palais. Un vin majesteux, superbe, qui épouse le plat à la perfection.
Le second vin était une Côte Rôtie Côte Brune 1995 de Jamet. Le nez est plus fin, sur des fruits noirs moins mûrs que le précédent, l'âtre de cheminée, la fourrure et l'olive noire. La bouche est encore plus fraîche que la Grange des Pères, avec une matière moins baroque, mais toute aussi intense, avec un très beau velouté. Je ne sais pas si c'est la finale mentholée qui m'a subjugué. Mais juste à côté, j'ai noté "sublime" (ce que je ne mets pas souvent).
Les desserts les plus simples sont les meilleurs si l'on ne veut pas desservir les vins ;-) Avec deux beaux liquoreux ligériens, un peu de mangue et un sorbet aux fruits de la passion suffisent (et c'est vite préparé, surtout en achetant le sorbet !).
Le premier était un Coteaux du Layon "Noëls de Montbenault" 2005 de Richard Leroy (son dernier millésime). Le nez est dominé par l'écorce confite d'orange, le coing et une pointe de thérébentine. La bouche est droite, d'une grande fraîcheur, avec une matière riche mais digeste. La finale est intense, avec un retour sur le coing confit, sans la moindre lourdeur.
Le deuxième était un Coteaux du Layon Quintessence 2002 de Juchepie. Le nez est plus confit que le précédent, avec des notes marquées de safran. La bouche est plus ample, plus déliée, avec un tranchant cristallin qui évoque les Rieslings mosellans. La matière est d'une texture voluptueuse qui confine au sublime. Et la finale riche et éclatante est interminable. Quel bonheur de terminer ce repas avec ce vin d'une perfection absolue !
Eh bien voilà : ma mission était accomplie. Il faisait nuit depuis longtemps sur la terrasse d'Olivier, mais l'on réussissait tout de même à voir briller les yeux des différents convives. Il me fallait rentrer, car une très (très) longue journée m'attendait le lendemain...