Histoire vecue de petites imperfections medicales

Publié le 23 août 2015 par Dominique Le Houézec

Un ami me raconte qu'il a été hospitalisé. Il a été très bien traité et il a été soulagé rapidement d'une douleur qu'il considère comme atroce. Par ailleurs au cours de cette hospitalisation de 48 heures, il a vécu une petite imperfection presque insignifiante : à midi, alors qu'il ne souffrait plus, il s'est demandé si la perfusion qu'il avait à son bras était bien utile. Il a demandé à l'infirmière qui lui a dit qu'elle allait demander au médecin. A 21 heures, il a de nouveau demandé si la perfusion était indispensable et l'infirmière, qui n'était pas la même, lui a dit qu'on ne  lui avait rien dit et que, dans la  mesure où il avait une perfusion et où on ne lui avait pas dit de l'enlever, elle ne pouvait pas l’ôter.


Il a dormi avec sa perfusion, il avait peur de ne pas pouvoir rechercher librement la meilleure position de sommeil, mais il avait énormément de sommeil à récupérer et la perfusion n'a pas gêné son sommeil. Le lendemain matin, le médecin est passé, il a dit que tout allait bien, qu'il fallait enlever la perfusion et que M. X (mon ami) devait passer dans son bureau prendre une ordonnance pour décider de la suite.


Il s'agit donc d'un "micro-événement" sans conséquence, mais ce qu'il m'en dit me semble intéressant et soulève une  hypothèse qui mérite qu'on y réfléchisse.
Je lui demande de me la préciser par mail et il m'écrit :

" Cher Jean-Pierre, je t'ai dit que ma douleur était atroce. Au moment où j'écris ces lignes, je ne sais plus quoi t'en dire. Je pense que ne peuvent parler de la douleur que ceux qui l'éprouvent. Et ceux qui éprouvent une douleur atroce ne peuvent pas en parler, en tout cas, pas au moment où ils l'éprouvent. En mesurant mes mots, je crois qu'une douleur atroce ou une expérience atroce ont quelque chose de commun avec la mort. C'est indicible et inaudible. C'est incompréhensible si comprendre veut dire prendre avec soi.

Mais, c'est de cet incident infime que je voudrais te parler: la perfusion enlevée non pas à ma demande, mais enlevée plusieurs heures plus tard, à la demande du médecin."

Nous avons souvent parlé du désir qu'ont eu les générations précédentes de médecins de tenir le  malade dans une  position subalterne et dépendante. Ils ont parlé latin, ils ont adopté une position paternaliste et assumée, comme telle, au moins jusqu'aux années 70.

Je me demande si ce refus, cette incapacité, cette impossibilité d'entendre ma demande et d' y répondre n'obéit pas à la même logique.

"Courage Cap'taine. - Personne n'est prfaiat "


Le mécanisme serait le suivant: le médecin se dit (ou plutôt son inconscient se dit) en 3 temps :

1) Si je suis merveilleusement efficace, si je fais énormément de bien, alors toutes les petites imperfections sont négligeables et le malade sauvé ou extraordinairement soulagé ne peut que me remercier pour le bien énorme et ne  peut qu'oublier ou laisser tomber les imperfections.2) Si je fais des imperfections et si le malade ne proteste pas, c'est qu'il considère que ces  imperfections sont négligeables par rapport au bien que je lui ai fait3) Multiplions donc les imperfections et donnons nous  la preuve répétée que nous faisons un bien considérable"
Voilà: Si mon intuition est juste, il faut s'attendre à ce que très longtemps  persistent dans le monde médical des imperfections. Elles auront valeur de  réassurance. Des médecins inquiets et peu sûrs d'eux mêmes mettront en scène le scénario " Les divas sont odieuses et elles restent reconnues comme divas et on leur passe toutes leurs excentricités. Je vais être insupportable et si on me supporte c'est que je suis une diva. "




Jean-Pierre LELLOUCHE